Croissance et désastre alimentaire mondial
On estime à plus de 800 millions le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde à l’heure actuelle et à plusieurs milliards les personnes présentant une forme ou une autre de carence alimentaire. La question de la faim dans le monde, si elle a été posée depuis des décennies, n’a jamais trouvé de réponses au sein de la pensée politique mondiale, et ce malgré les organismes spécifiquement dédiés, notamment dans le cadre de l’Organisation des Nations unies.
Lorsque l’on parle de croissance, et notamment d’agriculture, il est un amalgame très dangereux qui consiste à mélanger les concepts et les différents sens du mot croissance. Aussi, il faut bien comprendre de quoi il s’agit lorsque l’on emploie ce terme, et ne pas jouer avec les mots ou les significations, ni s’arrêter aux mots eux-mêmes, car le mot n’est pas la chose, mais une vue sur la chose ou bien une description ou alors une abstraction. Aussi, une recette de cuisine n’est pas le plat lui-même, et un menu de restaurant n’a jamais nourri une personne affamée.
La croissance, ce dont parlent tous les politiciens, les économistes et les journalistes, n’a rien à voir avec la croissance dans son sens biologique. La croissance économique est définie selon le Produit intérieur brut d’un pays, il s’agit d’une accumulation et d’une mesure liée à un volume de production. La croissance, pour les entrepreneurs, est une recherche de performance, une condition sine qua non à la perpétuation de leur entreprise, au sein d’un marché compétitif et concurrentiel.
La croissance biologique est, en rapport à un organisme vivant, son développement selon les lois naturelles et symbiotiques qui lient cet organisme à son environnement. La théorie de l’évolution décrit le processus qui anime le devenir des organismes vivants sur la planète, au fil des générations. C’est une théorie générationnelle, qui implique le temps et une observation sur une durée.
Dans la croissance économique, il y a prévision et planification budgétaire à court terme, un objectif déterminé, et il s’agit d’une croissance cumulative. Dans la croissance biologique, il s’agit non pas d’une accumulation, mais d’un développement de l’organisme entier, et qui peut muter et se transformer ou se métamorphoser pendant ce développement, participant ainsi, sur la durée, à l’évolution des organismes.
Vous voyez bien, en approfondissant un peu les notions de croissance économique et de croissance biologique, qu’il s’agit de deux concepts qualitativement très différents, et que l’on ne peut superposer la croissance économique à la croissance biologique sans une perte de sens profonde et immédiate.
Et pourtant, c’est ce qui se passe aujourd’hui dans le monde. L’agriculture est devenue un mécanisme de croissance, en tant qu’activité économique, c’est-à-dire, un moyen de production de volumes, en ce qui concerne des marchés économiques. Les organismes vivants sont aussi devenus les outils de cette croissance économique, et doivent donc être incorporés à une logique de performance, de rentabilité et donc d’uniformisation maximale. Et pourtant, malgré l’abondance quantitative qui est celle de la culture agricole à l’échelle mondiale, des millions de personnes meurent encore aujourd’hui de faim dans le monde. L’agriculture, telle qu’elle est aujourd’hui en tant qu’activité humaine, n’est donc pas concernée dans ses fondements par nourrir les habitants de la planète, ce qui serait sa fonction symbiotique, mais sert au contraire un système économique idéologique et généralisé à toutes les activités humaines, en faveur de divers intérêts nationaux, divisant les populations et les êtres humains entre eux.
Aussi, la croissance basée sur la compétition et la concurrence entre entreprises, entre nations ou entre groupes de nations, lorsqu’elle est appliquée au vivant, détruit non seulement les organismes vivants, mais aussi leurs cycles naturels et reproductifs, ce que l’on peut aisément observer aujourd’hui dans la pratique agricole intensive conventionnelle, que ce soit au niveau des cultures végétales ou des élevages. La production sert avant tout le marché, et la finalité première de l’agriculture, qui est de nourrir l’humanité, est ainsi reléguée en second plan, selon que tel ou tel pays, ou telle ou telle personne, soient intégrés ou non au marché.
C’est ce désastre qui se passe aujourd’hui dans le monde, et ce ne sont pas des abstractions ou des concepts politiques, ce sont des faits que vous pouvez vérifier par vous-même. Aussi l’intégration au marché est un facteur de division entre les hommes, et de division entre les nations, et en tant qu’idéologie à nature globalisante, elle impose des normes et des standards servant non plus directement les populations, mais perpétuant ses propres fondements et assurant sa propre subsistance, au détriment de celles et ceux qui par voie de fait sont restés en dehors ou en marge de la société, ou du système, ou du concert des principales premières puissances de la planète.
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