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Economie : A quand la prochaine crise ?

La réforme financière aux Etats-Unis est-elle une victoire comme beaucoup le soutiennent ? Il est permis d’en douter.

La réforme financière aux Etats-Unis est-elle une victoire comme beaucoup le soutiennent ? Il est permis d’en douter. Déjà, même sans entrer dans le détail des dispositions, la première réaction logique au passage de la loi Dodd-Frank est qu’il intervient cinq mois avant que la Commission d’enquête sur la crise financière ne donne ses conclusions. On comprend mal pourquoi administrer un remède avant que le diagnostic n’ait été établi. Pourquoi dépenser de l’argent public dans une commission d’enquête censée trouver les causes de la crise, pour ne finalement pas se servir de ses conclusions ? A moins que certains politiciens, pompiers pyromanes qui pourraient être impliqués dans la crise, aient fait pression pour ce passage prématuré ? Il est vrai qu’il y a des élections de mi-mandat en novembre aux Etats-Unis…

 
La deuxième réaction est que la loi fait plus de 2300 pages et que nombre de ses dispositions laissent une bonne marge d’interprétation aux bureaucrates. Le Wall Street Journal relate comment des juristes estiment que la loi, qui n’a donné qu’un cadre général, va nécessiter pas moins de 243 nouvelles règles formelles établies par 11 agences différentes. La Securities and Exchange Commission (SEC) à elle seule devrait en produire 95. On notera au passage que ces règles seront établies par des bureaucrates, par définition non élus, et tout autant exposés au processus de lobbying.
 
Il sera créé une nouvelle entité le Bureau de Protection Financière du Consommateur, qui dépendra de la Federal Reserve (Fed), doté d’un budget de 500 millions de dollars. Cette création pourrait laisser croire que la finance américaine n’était pas réglementée, que les autorités n’avaient pas assez de pouvoir. Rien n’est plus faux. Le problème est que les régulateurs soit n’ont pas détecté les problèmes pour lesquels ils disposaient l’information, soit se sont mal coordonnés entre eux, soit se sont laissés « capturer » par les réglementés. Les milliers de bureaucrates de la Fed, de la SEC, du Département du Trésor, laFederal Trade Commission etc. avaient donc la possibilité d’éviter la crise avec les pouvoirs dont ils disposaient.
 
Il aurait fallu ici rationaliser la bureaucratie réglementaire pour qu’elle soit plus efficace. Malheureusement, on la démultiplie, ce qui diluera les responsabilités. Le Bureau de Protection Financière du Consommateur jouira par exemple d’une grande autonomie susceptible de nuire aux objectifs généraux des autres agences de réglementation. Les produits dérivés seront, eux, supervisés à la fois par laCommodity Futures Trading Corporation et la SEC... On sait pourtant désormais que complexité et arbitraire réglementaires génèrent une incertitude très peu propice à la responsabilisation des acteurs (ce qui augure de futures crises), et à la croissance.
 
La troisième réaction logique porte sur les porte-étendards de cette loi : le sénateur Christopher Dodd, présidant le Comité sénatorial sur la banque, et Barney Frank, présidant le comité sur les services financiers de la Chambre des représentants. Les deux compères ont en effet poussé chacun pour la politique du logement abordable qui a mené à la crise, et, pire, ils ont refusé de critiquer et de remettre dans le rang Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants parapublics du refinancement hypothécaire largement responsable dans la crise.
 
En juillet 2008, juste avant que les deux géants ne s’écroulent, M. Dodd affirmait que « ce qui est important ce sont les faits, et les faits sont que Fannie et Freddie sont dans une situation saine ». En 2007 M. Dodd s’était opposé à une réforme de Fannie Mae et Freddie Mac voulue par George W. Bush, considérant que cela était « malavisé »… M. Frank a lui aussi systématiquement défendu les deux géants, luttant contre le relèvement des standards en matière de prêt. Ce soutien aveugle (et sans doute intéressé, si on en juge par leur financement électoral par Fannie Mae et Freddie Mac) de MM. Dodd et Frank à ces deux organismes a permis de mener à leur effondrement, qui devrait coûter la bagatelle de 400 milliards de dollars au contribuable américain. MM. Dodd et Frank sont-ils les mieux placés pour mener cette croisade réglementaire aujourd’hui ?
 
Quatrième réaction, en lien avec la précédente : l’aspect sans doute le plus ironique de cette loi est effectivement qu’elle ne traite pas du cas de Fannie Mae et Freddie Mac. Si la crise a été aussi profonde pourtant, c’est en très grande partie du fait de ces deux Government Sponsored Enterprises qui bénéficiaient de privilèges fantastiques, sous prétexte qu’ils étaient les bras armés de la politique du logement abordable, dont le soutien implicite (explicite depuis septembre 2008) de l’administration américaine. En revanche, des services financiers sans lien avec la crise comme le prêt au jour le jour, seront désormais réglementés, et ce, de manière prohibitive.
 
Enfin, la loi Dodd-Frank contourne le problème majeur de la crise du côté des banques : la responsabilisation. Le capitalisme sans responsabilité ne peut pas fonctionner. Ce n’est que du capitalisme de connivence avec le politique : le crony capitalism. Or, plutôt que d’améliorer la loi sur la faillite bancaire, qui permettrait de réinjecter la responsabilité dans le système, la nouvelle réglementation pérennise le système des renflouements (bail-outs).
 
En effet, la Federal Deposit Insurance Company (FDIC) pourra organiser des « liquidations ordonnées ». Mais, au-delà du pouvoir discrétionnaire, problématique, confié à la FDIC en la matière, le fait qu’elle n’a que des moyens financiers limités comparativement à la taille importante des firmes dont elle devrait couvrir les créanciers, laisse deviner qui paiera la facture. De son côté, même si la Fed reçoit moins de pouvoir d’intervention, les créanciers de firmes en détresse entrant dans le cadre des programmes d’urgence de la Fed pourront bénéficier de sauvetages… Le problème crucial de l’aléa moral n’est donc pas résolu, la responsabilité est diluée, la mauvaise gouvernance d’entreprise toujours favorisée.
 
A quand la prochaine crise ?
 
Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org.
 

 


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Auteur de l'article

Emmanuel Martin

Docteur en économie, chroniqueur sur www.unmondelibre.org.


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