Etat des lieux de l’économie américaine
Il y a encore seulement quatre à cinq semaines, les Etats-Unis semblaient s’installer durablement dans la récession, les licenciements s’accéléraient à travers le pays et les marchés boursiers semblaient fragilisés à l’extrême. Dans une conjoncture à la fébrilité quasiment sans précédent, la Réserve fédérale procédait à une série de baisses de ses taux directeurs afin d’éviter à l’économie et à un système financier sinistré de sombrer dans une spirale irrémédiable. Bref, il était inconcevable que la première économie mondiale puisse éviter la récession, certains évoquant même le pire, à savoir la stagflation...
Aujourd’hui, le sentiment général s’est amélioré, la récession n’est plus à l’ordre du jour. Ainsi, alors que près de deux tiers des professionnels prévoyaient que l’économie américaine subirait au moins deux trimestres de récession en 2008, ce chiffre s’est à présent réduit de moitié, certains analystes chevronnés estimant même que l’économie du pays parviendra tout bonnement à éviter la contraction. Certes, les statistiques économiques en provenance des Etats-Unis sont loin d’être brillantes, mais l’économie semble s’être stabilisée, les licenciements sont moins massifs, la Fed ayant même annoncé une pause dans sa politique agressive de réduction de taux et, surtout, aucune autre mauvaise surprise n’a explosé du côté des institutions financières. Il est vrai que le gouvernement américain a inondé son économie de liquidités afin de renflouer la croissance et, de plus, un montant global de 168 milliards de dollars a été redistribué aux contribuables américains afin de relancer la consommation. Enfin, les baisses répétitives des taux d’intérêts continueront encore pendant quelques mois à avoir des répercussions favorables sur l’ensemble des intervenants et des consommateurs du pays. Il semblerait donc bien que les Etats-Unis aient évité le pire et que Ben Bernanke, le président de la Fed, ait pu orchestrer le sauvetage éclair d’une économie il y a encore quelques semaines au bord du précipice ! Certes, nul ne prétend que l’économie américaine ne soit sur le point de redémarrer. Au demeurant, Bernanke lui-même a reconnu dans un discours la semaine passée que les marchés financiers n’étaient toujours pas revenus à la "normale", même s’il a constaté "certaines améliorations " sur ce front ultrasensible.
Les intervenants sur les marchés financiers le savent, le constatent et parfois le paient au prix fort : les sentiments d’optimisme et de pessimisme des marchés sont éphémères et fugaces car dès lors qu’une opinion ou qu’une analyse sur une situation donnée prévaut, elle est déjà surannée et le marché passe à autre chose, du reste souvent à son contraire ! Tentons donc de mettre en perspective l’avalanche des statistiques économiques américaines en nous attachant à quatre indicateurs déterminants :
L’immobilier :
M. Bernanke a déclaré, avec raison, que la stabilisation du marché immobilier serait la clé du rétablissement du système financier et de l’économie de son pays. De fait, les prix de l’immobilier américain se déprécient toujours, mais semblent avoir passé le cap de l’effondrement accéléré de ces mois derniers. Ainsi, alors que les ventes de maisons à travers le pays enregistraient une baisse de 25 % à la fin 2007 par rapport à fin 2006, les dernières statistiques font état d’une baisse de 20 % par rapport à la même période de l’année dernière. Au demeurant, ce sentiment de stabilisation de ce marché est fondamental car il permettra aux citoyens américains d’en conclure que le pire est derrière eux et que le krach immobilier vit ses derniers soubresauts... Cependant, ce krach n’appartiendra à l’Histoire que dès lors que la courbe des prix s’inversera, phénomène qui ne surviendra qu’à partir du moment où une famille américaine moyenne pourra se permettre l’acquisition d’une maison grâce à un apport en fonds propres de l’ordre de 20 %. Le niveau toujours élevé des prix de l’immobilier ne permet toutefois pas un tel apport aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle le marché immobilier américain continuera à se déprécier, même si à un rythme moins spectaculaire que les mois précédents.
Les profits :
Les analystes de Wall Street estiment que les plus grands périls ont été surmontés, le marché étant du reste quelque 10 % au-dessus de ses plus bas niveaux enregistrés en mars dernier. Il serait pourtant erroné de scruter les fluctuations boursières, même sur une base hebdomadaire, afin de tenter de dégager une tendance à venir. En revanche, une étude s’appuyant sur les profits générés par les entreprises est nettement plus appropriée car celle-ci nous indique qu’entre 2002 et 2007 les profits avant impôts des entreprises américaines ont bondi de plus de 50 % alors que ces mêmes profits stagnent à présent et sont même susceptibles de baisser de près de 10 % à la fin de ce trimestre par rapport à l’année dernière... Là aussi, le sentiment de l’investisseur et du spéculateur est crucial car les niveaux actuels des bourses reflètent que cette escalade passée du profit des entreprises n’était pas une bulle et que, par conséquent, les entreprises renoueront avec les profits, ce qui justifiera a posteriori des valorisations boursières actuelles tout compte fait assez élevées... En résumé, les bourses se stabiliseront, voire progresseront, dès lors que les entreprises redeviendront profitables, mais ces mêmes bourses paraîtront subitement terriblement surévaluées si les profits ne sont pas au rendez-vous !
L’emploi :
Cette statistique est bien sûr fondamentale même si elle présente quelques lacunes, ne comprenant par exemple pas les demandeurs d’emploi ayant renoncé à se trouver un travail... Néanmoins, il est manifeste que le chômage s’est aggravé aux Etats-Unis ces quatre derniers mois et l’étude des chiffres du chômage sur les cinquante dernières années révèle qu’une récession s’est systématiquement installée à partir du moment où l’économie perdait des emplois pendant six mois consécutifs. En d’autres termes, la conclusion sur ce plan semble similaire à celui du domaine des profits des entreprises : la récession sera inévitable si l’économie américaine ne recrée pas d’emplois d’ici un mois ou deux ! A ce titre, la prochaine publication des chiffres du chômage le 6 juin prochain sera lourde de conséquences.
Les salaires :
L’écrasante majorité des travailleurs conservent leur emploi même en cas de récession, l’impact principal du ralentissement se traduisant plutôt à travers leur salaire qui grimpe à un rythme nettement moins soutenu que l’inflation, forçant du coup ces salariés à subir une réduction de facto de leurs revenus... Ainsi, dans l’ordre, c’est la croissance qui recule provoquant une recrudescence du chômage lequel a un impact négatif sur les salaires eu égard à la marge de manœuvre réduite des travailleurs. De fait, cette chronologie a été suivie au pied de la lettre dans le contexte actuel où l’économie, ayant subi un net ralentissement dès le dernier trimestre 2007, les salaires ont connu ces deux derniers mois une progression inférieure à celle de l’inflation.
En conclusion, s’il est incontestable que l’économie américaine semble moins fragilisée qu’il y a deux mois, les risques d’une récession sont loin d’être écartés, principalement en raison de l’accroissement des demandeurs d’emploi. En effet, une détérioration aussi aiguë du marché de l’emploi que celle survenue récemment aux Etats-Unis provoque immanquablement une spirale induisant dans son sillage un tassement des revenus, une consommation anémique et finalement encore plus de licenciements... Du reste, et même si ce cycle infernal parvient à être évité, la voie est néanmoins tracée pour cette année 2008 qui sera une année de ralentissement généralisé aux Etats-Unis, avec ou sans récession.
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