La déflation : mythe ou victoire de l’Allemagne ?
« Le faible niveau actuel de l'inflation en zone euro renforce la crainte d'une entrée en déflation. Or, un tel scénario aurait des conséquences macroéconomiques particulièrement défavorables. Une période de déflation (baisse durable des prix, qui se répercute sur les anticipations des agents) se caractérise notamment par un renchérissement de l'endettement en termes réels, voire un report des décisions d'investissement ou de consommation des agents. »
TRÉSOR-ÉCO – n° 130 – Juin 2014
(Editeur : Ministère des Finances et des Comptes publics et Ministère de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique)
Pour 2015, en Europe, les prix vont monter de moins d’un demi pour cent (0,5%) voire même baisser.
Or, la baisse des prix constitue l’un des signes techniques de la déflation. Et c’est paraît-il un spectre effrayant. Si les ménages anticipent la baisse des prix, ils vont cesser de consommer pour acheter moins cher plus tard.
Devant l’éventualité de la baisse de la consommation, et surtout de la baisse des prix des investissements, les entreprises vont reporter leurs achats pour investir moins cher. En plus, le prix du pétrole baisse ! Quelle horreur !
Bref, la déflation combine la baisse de la consommation et celle des investissements. Le tableau fait peur, mais est-il réaliste ?
Tout d’abord, au cours du XIXème siècle, les prix avaient tendance à baisser, et pourtant, il y a eu plusieurs croissances longues.
En fait, la baisse des prix a été le principal moteur de la hausse des niveaux de vie à travers le XIXème siècle. Le monde de l’inflation est né au XXème siècle à partir de la Première guerre mondiale.
Les Britanniques, en particulier, à partir du « Cobden Act » de 1846, ont cherché à réduire les prix des produits agricoles pour élever les niveaux de vie des salariés, c’est l’origine du « Free Trade » (libre échange).
Bien que trois fois plus protectionnistes que la France, les Allemands ont utilisé à plein les bas coûts du charbon de la Rhur pour favoriser leurs industries. D’ailleurs, les exportations de charbon étaient taxées !
La France a été régulièrement dénoncée pour son protectionnisme agricole, mais les responsables politiques savaient que la petite propriété était le fondement sociologique de la République. Et pourtant, les prix agricoles baissaient aussi.
Les Etats-Unis ont été à peu près trois fois plus protectionnistes que la France, mais les gigantesques ressources agricoles et minières tiraient largement vers le bas les coûts de production.
L’histoire du XIXème siècle montre donc que la baisse tendancielle, voire séculaire des prix n’entraîne pas forcément la récession et le chômage. Elle est au contraire fort compatible avec la croissance.
La croissance ne résulte pas de la hausse des prix, elle résulte de l’utilisation des nouvelles technologies issues de la Recherche et du Développement. D’ailleurs, aujourd’hui, les pays d’avenir sont les pays de la Recherche, les autres peuvent au mieux essayer de spéculer sur la vente de leurs matières premières, ou d’exploiter les bas salaires d’une main d’œuvre esclave.
La déflation existe, mais ce n’est pas exactement la baisse des prix, c’est le résultat des politiques déflationnistes.
Il y a politique déflationniste lorsque pour rétablir un équilibre budgétaire, ou pour restaurer la compétitivité des industries, les pays augmentent les impôts, réduisent les dépenses publiques, essaient de forcer la baisse des salaires par le chômage et par la famine des entreprises.
Ces tableaux existent au Portugal, en Espagne, en Italie, en Irlande…et en France. (La Grèce est un cas très spécial qui ne se reproduit absolument pas dans le reste de l’Europe).
L’Espagne et l’Irlande ont confondu la spéculation immobilière et financière (surtout l’Irlande) avec la croissance.
La crise venue, la construction et la promotion immobilière se sont arrêtées, or elles représentaient plus de 10% du PIB espagnol et irlandais. C’est pourquoi, les taux de chômage sont passés de 8% à 20%, c’est un effet mécanique de l’arrêt d’une spéculation.
En Irlande, selon la vieille tradition historique, l’émigration de plus de 400 000 jeunes (près de 10% de la population) a servi de variable d’ajustement, bien plus discrète que la hausse du chômage.
Le Portugal et l’Italie paient leur manque de compétitivité et leurs coûts trop élevés. Depuis 2008, dans ces deux pays, la production industrielle a baissé de 25%.
En France, elle n’a baissé que de 16,5%. En fait, c’est le retour aux années de crise de 1930 à 1938.
En réalité, l’Allemagne a imposé la déflation. Devant l’impossibilité d’adapter les taux de change (on ne dévalue pas dans la zone euro), les pays du Sud ont dû se soumettre à la dévaluation interne, c’est-à-dire la baisse massive des revenus, et de la production industrielle.
La déflation en Europe, c’est la victoire de l’Allemagne.
La France est restée rétive, et surtout les hommes politiques n’ont pas vraiment voulu affronter les électeurs : la dévaluation des coûts reste à réaliser, elle est prévue sous la forme d’une dévaluation interne par la baisse des revenus directs ou indirects (dépenses sociales). Heureusement, comme nos politiques sont mous, ils ne sont pas capables d’obéir à l’Allemagne…
Or, déjà, la production industrielle a baissé presqu’autant que lors des années 30 et le chômage s’installe. Certes, le gouvernement promet la baisse du chômage et la relance économique. Les média le proclament, il faut y croire !
La réalité politique est ailleurs, les peuples décrochent : Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, et en France : chut !
Reste la vieille recette de Bertolt Brecht proposée en juillet 1953 lors des insurrections ouvrières en RDA : « Il faut dissoudre le peuple et en élire un autre qui soit digne du socialisme ».
Morad EL HATTAB & Philippe JUMEL
Auteurs du livre Les Mécanismes de la crise (Ed. Perspectives Libres, janvier 2015)
P.S. : Cercle Aristote, lien internet : http://cerclearistote.com/sortie-des-mecanismes-de-la-crise-de-m-el-hattab-et-p-jumel-aux-editions-perspectives-libres/
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