L’Europe sombre
C’est avec des sourires béats et des propos apaisants que les ministres des finances de l’eurozone, réunis au Canada dans le désintérêt général pour le G7, ont assuré pouvoir « surmonter la crise budgétaires que connaissent certains pays européens », et se sont donnés rendez-vous le 20 mai à Berlin. Le souci ? Non pas le sort des pays en difficultés, mais bien rassurer les marchés, et établir le coût de la confiance, pour ce faire : 20 à 25 milliards de dollars (1).
Il faut dire que le mauvais élève du moment,
Après s’être fait taper sur les doigts pour ne pas avoir fourni de chiffres fiables -
Cette chape de plomb posée sur
Pourtant, selon Charles Wyplosz (5), professeur d’économie à l’institut de hautes études internationales à Genève, les réactions boursières relatives à la dette souveraine n’ont pas de sens. Pire, l’austérité exigée par le marché reste, selon lui, totalement contre-productif : « Cette exigence est l’élément le plus pénible de la situation actuelle. La pression des marchés financiers arrive à un moment où il est effectivement trop tôt pour se lancer dans des politiques restrictives ».
Si les marchés sortent de ce très psychologique « effet de masse », à laquelle se réfère l’économiste, ce ne sera que pour appuyer la décision européenne à serrer le garrot autour du cou grec, une sorte de troc revendiquant un retour de la confiance contre des mesures qui paralyseront toutes chances de reprise, reportant l’essentiel du problème aux … calendes grecques. Une reprise indispensable pour ce phénomène presque normal qu’est l’augmentation de la dette, selon Wyplosz, qui pourrait être résorbée, dit-il, reprise à l’appui, sur les 30 ou 50 prochaines années. Mais sans la sainte reprise, bénie soit-elle, faut-il compter en siècles ?
Quelle est la mesure de la gravité ? Grandes divergences sur le sujet : selon les analystes bancaires du Crédit agricole (5), « à court terme,
Si le critère retenu est l’endettement total (dette publique et privée), c’est, selon le Guardian (6)
Par quel biais l’effet domino pourrait-il atteindre les pays les plus solides d’Europe ? Pour la même raison qui va laisser
Traduction : Eviter la sortie de la zone Euro nécessite la mise en place d’un tonneau des Danaïdes de 5.000 milliards d’euros, par quête publique adressée aux pays locomotives européens. Des chiffres qui donnent le vertige, au point que l’expulsion des cinquièmes roues du carrosse hors de la zone euro a été sérieusement envisagée par les juristes de l’union, donnant lieu à la censure de l’éditorialiste du Daily Telegraph (8), Evans-Pritchard. Une sortie de la zone Euro a aussi été envisagée techniquement par Roubini (7).
L’effet domino pourrait également, et de manière complètement indépendante, venir de l’Est, comme le suggérait cet ancien article (9) d’Evans-Pritchard, dont l’acuité de l’époque prend maintenant tout son sens, qu’on en juge par ces propos qui datent d’il y a un an ; « Que cela prenne quelques mois ou quelques semaines, le monde va bientôt s’apercevoir que le système financier européen est coulé, et qu’il n’existe pas encore pour l’Union Européenne un équivalent de
Les possibilités de contagion étant multiples, l’Union européenne pourrait être amenée à faire valoir « les pouvoirs de situation d’urgence », en particulier le très abscons article 122, faute de quoi la situation pourrait dégénérer en « un tsunami de type Lehman qui se répandrait sur l’Europe » (10). Cet article 122, basé autour de la très vague notion d’ « événements exceptionnels hors du contrôle d’un Etat membre », autour de laquelle devrait se jouer l’adoption, ou non, de la notion de moralité appliquée au contribuable (« cet article a pour enjeu de se prémunir contre l’aléa moral. Il donne corps au principe selon lequel il n’est ni raisonnable ni démocratique de laisser les contribuables d’un pays payer pour les erreurs des gouvernements d’un autre pays, sur lesquels ils n’ont aucun contrôle démocratique »), pourrait aider l’UE à biaiser le principe du « no bail-out » (« interdisant expressément aux Etats membres de prendre à leur charge les engagements financiers d’un gouvernement national »). Si ce n’est que
Il est hautement probable que ce soit la main anglo-saxonne qui pilote cette déstabilisation de l’Euro, et notamment le bras armé de Washington, Goldman Sachs (12). Une spéculation de grande ampleur, avec les mêmes agents déjà présents lors de la faillite de Lehman brothers : « Après
Un effondrement organisé par les banques ? Une hypothèse très sérieuse, reprise sur le blog de Jorion (14) : « Il devient de plus en plus clair que ce sont les banques elles-mêmes qui ont occasionné cette débâcle ». Des opérations ponctuelles juteuses, sur le dos des PIGS, dont la déliquescence sera facturée via leur dette publique, ou au contribuable européen (si l’article 122 était activé), voire aux deux. Les Etats-Unis y trouvent leur compte, en redorant le dollar, l’euro ayant chuté vendredi à 1,36 dollar … « les investisseurs fuyant les actifs risqués au profit de la sécurité relative que représente le dollar", a commenté Michael Hewson, analyste chez CMC Markets, à Londres ». (4). Evans-Pritchard conclut de la même manière : « La hausse du dollar va s’accélérer. L’économie américaine - bien que malade - brillera au sein du club de l’OCDE, qui est encore plus mal en point ». (15)
La déstabilisation de l’Euro n’est qu’un faux problème.
Les banques, dopées par l’abrogation du Glass-Steagall act, et gonflées par l’alimentation illimitée, touchée à 0%, que leur fournit le contribuable, poursuivront leurs spéculations sur le carry trade, tout en coupant les robinets des crédits aux entreprises à l’insolvabilité croissante dans cette morosité savamment entretenue. Les plans d’austérité s’étendront à l’ensemble de l’Europe, enrayant à la source toute chance de croissance, et sacrifiant sur l’autel du système financier, qui tourne en circuit fermé, l’économie réelle : réductions budgétaires drastiques, fiscalités accrues, déliquescence des acquis sociaux, explosion du chômage, avec des mouvements sociaux qui iront grandissant. Mais que seront des mouvements sociaux devant l’ampleur de ce holp-up européen ? Un appareil répressif taillé en conséquence, et payé par le contribuable lui-même, et l’affaire est jouée.
Le mot de la fin sera pour Evans-Pritchard : « De plus en plus de fonds spéculatifs vont jouer sur les forces centrifuges au sein de l’Union Monétaire européenne, en prenant le pari que le clivage Nord-Sud a dépassé le point de non retour pour une union monétaire […] En fin de compte, le sort de l’euro sera déterminé par les grèves, les manifestations de rue et les attentats à la voiture piégée, marquant un retour de la primauté du politique. Je doute que le dénouement ait lieu en 2010, mais l’humeur et l’ambiance générale seront suffisamment mauvaises pour ébranler l’euro » (15).
(3) http://www.solidariteetprogres.org/article6297.html
(8) http://www.solidariteetprogres.org/article6273.html
(9) http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2558
(11) http://lupus1.wordpress.com/2010/02/04/droit-l%E2%80%99ue-est-elle-autorisee-a-renflouer-la-grece/
(13) http://www.francebourse.com/fiche_news_59464.fb
(14) http://www.pauljorion.com/blog/?p=7680#more-7680
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