Révision de la Constitution : ce flou qui demeure sur les relations de la France et de l’UE
Le droit communautaire est une composante du droit international public, et l’une des sources du droit administratif français. L’article 55 de la Constitution française de 1958 institue en effet que le traité est supérieur à la loi, ce qui de fait soumet l’ordre juridique interne aux normes de droit international.
Celles-ci peuvent prendre principalement trois formes : les stipulations conventionnelles, les règles de droit international public et les actes dérivés. Des actes dérivés, René Chapus donne la définition suivante dans le manuel Droit administratif général : ce sont les actes accomplis par les institutions créées par voie de traité et investies par eux du pouvoir de prendre des mesures applicables dans les Etats membres. Dans le cadre de l’Union européenne, il s’agit des mesures prises par le Conseil et la Commission, et qui prennent la forme de règlements, de directives, de décisions ou d’avis, comme le stipule l’article 248 (ex-189) du traité de Rome.
Les directives communautaires se distinguent en ce qu’elles n’obligent les Etats destinataires que relativement à un objectif, contrairement aux règlements qui sont obligatoires dans tous leurs éléments et n’induisent pas d’intervention de l’Etat, puisqu’ils ont un effet direct.
Ainsi, les directives communautaires supposent une transposition en droit national, et ce dans le délai imparti. C’est l’article 248 (ex-189) du traité de Rome qui l’énonce en ces termes : « La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. »
Toutefois, le silence que garde le traité sur les effets des directives dans l’ordre juridique interne contraste de façon significative par rapport à la précision dont il fait preuve relativement aux règlements : le traité laisse donc une large place à la jurisprudence sur cette question.
Ce qui pose problème actuellement, c’est le problème de jugement des "compétences" des Etats et de l’Union par la Cour de justice européenne. Et également le problème de "compatibilité du traité de Lisbonne avec notre Constitution.
A l’heure actuelle, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article I-6 du traité de Lisbonne, proclamant la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit des Etats membres ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne comme conformes à la Constitution française du 4 octobre 1958. En revanche, il a jugé que la ratification du traité constitutionnel (car s’en est un, autant que le TCE) nécessite une révision préalable de la Constitution française en ce qui concerne certaines dispositions relatives à des matières dites régaliennes qui transfèrent des compétences à l’Union européenne ou qui modifient les modalités d’exercice de compétences déjà transférées à celle-ci.
Sont notamment concernées les dispositions relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice et la politique étrangère et de sécurité commune, les dispositions qui permettent le passage du vote à l’unanimité à la majorité qualifiée au sein du conseil de l’Union européenne et les nouveaux pouvoirs attribués aux Parlements nationaux.
Cette décision suscite un double sentiment contradictoire. Par sa grande habilité politique, elle peut être saluée. Elle contribue à faciliter le chemin du oui à la procédure d’autorisation de la ratification du traité constitutionnel.
Elle laisse cependant perplexe tant elle entretient le clair-obscur et les tours de passe-passe juridiques qui ne satisfont ni les partisans ni les adversaires de l’intégration européenne. En estimant que l’article I-6 du traité constitutionnel ne confère pas au principe de primauté une portée autre que celle qui était antérieurement la sienne et qu’il ne modifie pas cette portée par rapport à celle qui résulte de l’article 88-1 de la Constitution française, le Conseil constitutionnel méconnaît ouvertement et le texte même de l’article I-6 et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui proclament sans ambiguïté la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national dans son ensemble.
En indiquant que cet article I-6 serait atténué par l’article I-5 qui dispose que "L’Union respecte l’identité nationale des Etats membres inhérentes à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles", le Conseil constitutionnel met sur le même plan deux dispositions qui ne se situent pas au même niveau.
L’article I-6 concerne les rapports de normes sous l’angle de l’ordre juridique tandis que l’article I-5 concerne les rapports entre les Etats et l’Union européenne sous l’angle de l’ordre institutionnel. En faisant des réserves d’interprétation "forçant" l’adéquation du traité constitutionnel avec des valeurs républicaines interdisant le communautarisme et la manifestation des signes d’appartenance religieuse, le Conseil constitutionnel a transformé approximativement ces valeurs en principes qui feraient partie des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres de l’Union alors qu’il s’agit de principes partagés par la France... avec elle-même ou avec une très faible minorité d’Etats membres de l’Union européenne ou futurs membres de celle-ci.
Grâce à cette décision "politique" voire "politicienne", l’Europe peut encore avancer, on ne s’en plaindra pas. Mais elle continue à avancer masquée. Cela servira-t-il sa cause à moyen et à long terme ? La clarté est-elle réservée au véritable moment constituant ?
Ces considérations dites, il me paraît donc avantageux que l’on profite du débat constitutionnel, pour "protéger" notre Constitution, c’est-à-dire les principes, valeurs, et identité du pays. Car la jurisprudence du Conseil constitutionnel reste imparfaite, dès lors que sont considérées comme "communes" aux vingt-sept les valeurs françaises, alors que, par exemple, la laïcité ne fait pas partie de ce "bloc" de valeurs communes.
Pour protéger la Constitution, et pour rassurer par ailleurs les Français, qui craignent légitimement de voir l’UE "absorber" leur souveraineté, qui plus est par défaut, puisque le Parlement apparaît un peu comme l’instrument pour faire passer (sans le dire) la souveraineté d’un peuple qui ne consent pas toujours à ces transferts, il me semble donc important de clarifier les relations entre l’UE et la France.
Quelques suggestions :
Faire en sorte que tous les traités européens passent par le référendum. A l’heure où l’UE n’est plus un espace économique, mais devient un espace politique, on ne peut plus prétendre "faire le bonheur du peuple à la place du peuple". La question n’est pas de savoir si le Parlement est compétent ou non, il l’est, mais s’il est légitime. En effet, tant qu’on n’aura pas restauré un semblant de "confiance" entre les citoyens et leurs élus (93 % d’élus disent oui au TCE, 55 % des Français disent non : comment veut-on que les citoyens, sur cette question, se sentent bien représentés ?) il me paraît absolument indispensable d’instaurer l’obligation de ratification par la voie référendaire. Pour le bien de l’UE d’ailleurs : on ne peut pas avancer sans soutien populaire.
En s’appuyant sur l’article 16 de la Déclaration, qui ne peut être révisé car sa suppression signifie la mort de la Constitution, considérer que tous les articles de la Déclaration ne peuvent être révisés.
En s’appuyant sur le préambule de 1946, déterminer que, dans le cadre des traités européens, la "clause de solidarité" engageant la France dans des combats, ne peut être possible qu’en respect des articles traitant du droit international, qui interdisent à la France de transférer sa souveraineté à une instance internationale... Dès lors que les actions entreprises ne visent pas la paix.
En s’appuyant sur la limite révisionnelle édictant que "la forme républicaine du gouvernement" ne peut être révisée, définir celle-ci en englobant dans la "forme républicaine du gouvernement" les valeurs typiquement françaises : la démocratie (postulat d’un peuple souverain), la République (laquelle ne peut être sans démocratie), la laïcité, la séparation des pouvoirs, les droits inaliénables de l’homme, les droits sociaux et économiques déterminés dans le préambule de 1946, etc. Ceci permettra, en cas de "problème" avec la Cour de justice européenne, de faire primer le droit national en la matière, et de donner une "sécurité juridique" à la Constitution.
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