Béa Diallo : « Je n’ai pas été agressé ! »
Après une semaine d'émeutes dans la commune bruxelloise d'Ixelles, le maire faisant fonction rétablit la vérité au sujet de son « agression » et en appelle à la tutelle régionale...
Ancien champion de boxe, Béa Diallo est parlementaire socialiste belge, Echevin de la commune d’Ixelles et maire faisant fonction lorsque les émeutes ont éclaté à Matonge.
Selon plusieurs médias belges (1), vous auriez été « agressé et frappé ce vendredi par une vingtaine de Congolais » ?
Béa Diallo : Non, pas du tout ! Tout cela est largement exagéré. Je me suis rendu à Matonge pour expliquer pourquoi j'avais refusé la tenue d'une manifestation. Sur place, plusieurs Congolais m'entourent et m'interpellent. Certains m'invectivent, d'autres me soutiennent. Puis, il y a ce jeune très remonté qui veut me « casser la gueule ». Je lui ai répondu que s'il en avait la force, il ne devait surtout pas se gêner. Il m'a alors envoyé un coup de poing au visage. Avec mon expérience de la boxe, j'ai bloqué le coup très facilement. Je lui ai dit : « c'est tout ce que tu sais faire ? ». Puis, j'ai rigolé et on nous a séparés. Ce type ne m'a rien fait. Je n'ai pas été agressé ! Je n'ai rien, aucune trace, pas une égratignure ! C'est vraiment n'importe quoi : ils sont graves vos collègues journalistes ...
Comment avez-vous vécu cette semaine sous haute tension ?
B.D : On a agi au jour le jour. Le Bourgmestre (maire) d’Ixelles est parti lundi (5 décembre 2011) à quatre heures du matin en voyage officiel, je suis devenu Bourgmestre faisant fonction à 8h00 et l’après-midi, les troubles éclataient à Matonge (quartier africain de la commune d’Ixelles) ! On a été un peu dépassés. Il n’y a eu aucune anticipation dans une situation où les résultats électoraux congolais n'étaient pas connus. Quand la police m’a appelé lundi pour me signaler un rassemblement non autorisé dans les rues de Matonge, j’ai estimé qu’il fallait le tolérer. Aucune demande de manifestation n’avait été introduite mais j’ai pensé que ces personnes devaient pouvoir exprimer leur mécontentement. Malheureusement, cela a complètement dégénéré à cause de casseurs qui ont contribué à la montée de la tension avec les forces de l’ordre. Il y a eu beaucoup d’arrestations (plus de 500 administratives et quelques dizaines judiciaires en une semaine, ndlr) et on a dû prendre un arrêté d’interdiction de tout rassemblement de plus de dix personnes. Après cela, j’ai tenu une conférence de presse où j'ai déploré l'absence d'interlocuteurs congolais ! J’ai alors été contacté par plusieurs d'entre eux, prêts à structurer les choses avec des propositions concrètes pour tenter d'éviter les dérives. Cela a fonctionné pour certaines manifestations, mais les regroupements spontanés et les violences ont continué...
Beaucoup de témoins, congolais ou pas, jugent que les policiers ont été extrêmement violents et ont accumulé les bavures. Qu'en pensez-vous ?
B.D : Je pense que face à un public assez hostile, très mobile, qui insulte ou jette des objets dans leur direction, les policiers sont des êtres humains sur la défensive. Maintenant, c'est vrai, il y a eu des bavures. Notamment à l’encontre de personnes qui se sont fait matraquées dans un théâtre. J’ai leur ai dit de porter plainte et je vous garantis que celles-ci seront suivies ! Derrière ces actes regrettables, il faut aussi comprendre dans quelle type de situation se retrouvent ces policiers. Il y a des gens qui les agressent, qui leur jettent des pierres, qui foutent le feu ! Quand la police se défend, parfois, elle ne distingue plus ... et ce qui est aux alentours se fait « ramasser ». Vous savez, le premier jour, c’était tellement tendu, avec les hélicoptères, ça allait tellement dans tous les sens, que j’ai renoncé à aller sur place. Si je m'étais rendu à Matonge pour appeler au calme en tant que bourgmestre faisant fonction, les policiers fédéraux - qui ne me connaissent pas contrairement aux policiers d’Ixelles - m'auraient embarqué avec tous les autres. Parce que je suis noir et donc venu pour « manifester » ou « casser » … Je suis certain que ce serait arrivé !
Comment expliquez-vous cette fureur immense au sein de la diaspora congolaise ?
B.D : D'après les différents contacts que j'ai eu, c'est principalement en lien avec la situation très difficile au Congo. Là-bas comme ici, beaucoup de gens aspirent au changement. A Bruxelles, les personnes qui réclament ce changement estiment que l'Occident - et en particulier la Belgique - adopte une position attentiste ; refuse de se prononcer sur les meurtres, les agressions et les fraudes qui ont entaché le processus électoral congolais. L'absence de réactions ou de condamnations de la Communauté internationale les révoltent. Maintenant, concernant le message que ces Congolais ont voulu faire passer, j'estime que le bilan est catastrophique. La légitimité de leurs manifestations et de leurs revendications a été dilué par les images de violences diffusées dans les médias. Ceux-ci n'ont montré qu'une chose : ce qui a été incendié et cassé ! Cela a également terni l'image que les gens peuvent avoir des Congolais de Belgique ...
Etait-ce à la Belgique d'intervenir en RDC pour faire cesser les violences et les fraudes autour du scrutin congolais ?
B.D : Ce n'était pas à la Belgique d'intervenir mais à la Communauté internationale. En se prononçant d'abord sur la façon dont se sont déroulées ces élections congolaises. Comme elle s'est prononcée sur les processus électoraux russe et ivoirien ... Si les Congolais de Belgique interpellent l'Etat belge, c'est parce qu'ils vivent ici. Et cette communauté est majoritairement opposée ou très critique vis-à-vis du régime au pouvoir au Congo. Cela n'a rien de neuf. Ce ne sont pas les premières manifestation anti-Kabila ni les dernières. Pour ma part, je ne prends pas position et tiens à conserver ma neutralité.
Les Congolais de Belgique n'ont pas pu voter : cela a-t-il renforcé leur sentiment d'impuissance et décuplé leur colère ?
B.D : En réalité, j'ai appris cela lors de ces émeutes. Dans mon pays d'origine, la Guinée (Conakry), la diaspora guinéenne a toujours pu voter. Moi-même, j'ai toujours voté lors de chaque élections en Guinée. Maintenant, ce n'est pas la Belgique qui va changer cela. Il s'agit d'une disposition congolaise qui doit être modifiée par le parlement congolais. Si c'était le cas, cela changerait-il quelque chose par rapport aux élections ? Je l'ignore. Mais il est clair qu'ici, ça atténuerait ce sentiment de frustration et d'impuissance que j'ai perçu chez nombre d'interlocuteurs congolais.
En 2011, l'Afrique ne quitte plus l'avant-plan de la scène internationale (Tunisie, Egypte, Côte d'Ivoire, Libye et désormais la RDC) : le vent du « printemps arabe » souffle-t-il sur le Congo avec des répliques jusqu'en Belgique ?
B.D : En tant que président de la Commission des relations internationales de la Fédération Wallonie-Bruxelles, j'ai rencontré mardi cinq jeunes bloggeurs tunisiens. Ceux-ci ont activement contribué aux changements intervenus dans leur pays. Ils disaient tous la chose suivante : « Quand on a faim et qu'on a plus d'espoir : on n'a plus rien à perdre. Et quand on n'a plus rien à perdre : on n'a plus peur ! ». Je pense que c'est exactement ce qui est train de se passer dans plusieurs pays du continent. Le printemps arabe, toujours en cours au Maghreb, va arriver en Afrique subsaharienne. J'en suis intimement persuadé. Là, ce n'est plus l'homme politique ni le socialiste qui vous parle. C'est l'Africain, Béa Diallo, qui espère l'arrivée de ce sursaut populaire. On dénonce beaucoup de choses ailleurs, mais en Afrique noire, il se passe des choses intolérables ! Face à cela, je souhaite que les peuples prennent conscience qu'il faut changer les choses. Je n'ai aucune envie que ça se déroule dans la violence, mais je souhaite ce sursaut de révolte des populations africaines. Qu'elles disent : « ça suffit ! On en a assez ! ». Ensuite, l'Occident doit prendre acte - sans traîner les pieds comme la France avec la Tunisie - que les peuples veulent se libérer de leurs dictateurs. En Afrique subsaharienne, nous avons de vrais dictateurs et des systèmes dictatoriaux qui les soutiennent. Ces soutiens, intérieur comme extérieur, doivent cesser. Ce qui changera l'Afrique, c'est l'unité et le panafricanisme.
La réélection de Kabila est officielle. Quel est votre état d'esprit tandis que les émeutes vont se poursuivre à Matonge ?
B.D : Je dois constater que beaucoup de gens sont très déterminés et veulent aller jusqu'au bout. J'ignore vraiment comment vont se passer les prochains jours. Ce week-end risque d'être pire que vendredi ... C'est désormais une problématique qui concerne la Région bruxelloise. Il faut que les Autorités régionales s'en mêlent et trouvent des solutions parce que ça ne peut plus durer.
On rentre donc dans un scénario d'émeutes insurrectionnelles, à la française ou à la britannique ?
B.D : Oui, c'est clair.
Propos recueillis par Olivier Mukuna
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