Chili : Historique mouvement étudiant 2011
Teresa Longo* est chercheur universitaire en éducation comparée de l'Université Jules-Vernes. En 2001, elle publiait avec d'autres chercheurs, une étude sur l'éducation du Chili. L'ouvrage paru s'intitule : "La Réforme éducative sous Pinochet : histoire d'une expérimentation néo-libérale." Dix ans après la parution du livre, nous lui avons tendu le micro afin qu'elle nous livre sa perception à propos de la situation étudiante qui a secoué ce pays du Cône Sud en 2011.
1) Depuis avril 2011, les étudiants chiliens sont dans les rues pour remettre en cause le système éducatif et privatif de leur pays. En 2001, vous écriviez un livre à ce sujet. Pensiez-vous que dix ans après l'édition de votre ouvrage, la jeunesse chilienne se révolterait contre une éducation libérale mise en place sous une dictature ?
Teresa Longo : " Je l'espérais ! Les chiliens ont été profondément blessés par le régime et je pensais qu'il aurait fallu un temps plus long pour assister à une réaction comme celle de nos jours. Le néolibéralisme et la dictature ont touché les chiliens dans tous les moments de leur vie. La privatisation des services de santé et d'éducation, la destruction du peu de "Welfare State" qu'Eduardo Frei et Salvador Allende avaient construit, la déréglementation des relations de travail ont été faites par un dictateur. Les enseignants et les étudiants ont été particulièrement touchés et soumis à un climat de peur et de chantage. Ceux qui critiquaient perdaient leur travail et étaient incarcérés. Une fois Pinochet parti, le climat de peur persistait et il était l'obstacle à un processus de démocratisation."
2) Camila Vallejo (ex-présidente de la FECH-Fédération des étudiants de l'Université du Chili) explique que le mouvement étudiant 2011 est le fruit d'une maturation. En quoi ses propos rejoignent-ils l'histoire éducative du Chili ?
T.L : " Les étudiants l'ont dit, ils n'ont plus le sens de culpabilité et de peur qu'avaient leurs parents, et cela leur permet d'exercer jusqu'au bout leur pouvoir de citoyens dans un système démocratique. Ils acceptent la démocratie comme système qui ne peut vivre par la critique et les luttes pour une justice sociale. Pinochet et les Chicago Boys (NDLR : Economistes chiliens formés aux USA) accusaient les socialistes et Allende d'avoir apporté au pays la misère, le désordre et la violence. Une bonne partie de la gauche chilienne avait intériorisé ce discours qui la faisait coresponsable de tant de morts et de violence. Dans le domaine de l'éducation, l'idéologie des Chicago Boys a survécu à la chute de Pinochet. Les principes de marché, de l'efficacité de la modernité assurent la transition et la paix en laissant perpétuer les injustices d'un système éducatif basé sur le marché. Après Pinochet, nous avons deux périodes d'intervention sur l'éducation : Entre 1990-95 : en présence de la Banque Mondiale, se mettent en place des programmes d'ajustement pour sortir l'éducation publique et subventionné de son état de misère. On augmente le budget national pour l'éducation et l'on destine la dépense aux élèves les plus pauvres de l'école obligatoire pour l'achat des livres, pour le verre de lait du matin. Les conservateurs imposent le maintien des frais d'inscriptions dans le privé subventionné et dans l'Université. Ces dernières étaient aussi élevées que le montant du salaire d'un enseignant du secteur public !
Les inégalités d'accès et de résultats à l'école restent importantes et les premières données statistiques nationales montrent la faible qualité de l'école publique et de l'école subventionnée par rapport au privé. Ces problèmes seront posés dans la seconde phase d'intervention qui commence en 2000, après la victoire de Ricardo Lagos à la présidence du Chili. Plutôt que d'ajustements, dans cette période, on discute des changements profonds de la Constitution de 1980 et des réformes. Le débat éducatif est très intéressant pour nos pays européens. On discute sur l'idée de droit à l'éducation et le droit arrive à ne pas faire changer la Constitution de 1980 qui attribue aux familles la priorité dans le domaine de l'éducation : "Los padres tienen el derecho preferente y el deber de educar sus hijos. Correspondéra al Estado otorgar especial proteccion al ejercicio de este derecho." (Cap. III. Art. 10) La liberté des choix des familles dans le domaine de l'éducation reste un principe de la Constitution, mais la Concertation (NDLR : Alliances des partis de gauche qui seront au pouvoir après 1990) attribue à l'Etat un rôle de promotion et reconnaît la gratuite dans le domaine de l'éducation de base. L'instruction supérieure reste en dehors de ces principes et l'Etat ne peut qu' "encourager" son développement. Les Universités restent comme l'ont voulue en 1981 les Chicago Boys, des entreprises qui offrent des produits, et pour cela , elles demandent des frais qui varient selon la qualité de l'offre. Aujourd'hui, la liberté de choix de l'étudiant dépend des possibilités de sa famille de payer. Le mouvement étudiant chilien 2011 a vécu cette contradiction et revendique une éducation supérieure plus cohérente avec les principes de justice de la démocratie."
3) Les deux principaux slogans des étudiants sont : " Elle va tomber l'éducation de Pinochet !", et "Une éducation publique gratuite, digne et de qualité." Ils reflètent les deux pensées de deux personnages centraux de l'Histoire du Chili : Pinochet et Allende. A quel niveau, leurs points de vue éducatifs divergents, auraient-ils pu permettre à la jeunesse du Chili un meilleur avenir éducatif ?
T.L : "Les politiques éducatives de Pinochet ont permis aux fils de grandes familles d'avoir une instruction de bonne qualité, mais ces jeunes ont vécu dans des milieux séparés. Ils n'ont pas connu les autres jeunes du pays, comment peuvent-ils participer à la vie démocratique ?
Allende prônait pour l'école, de la mixité sociale. Cela a généré la révolte des familles conservatrices qui ne voulaient pas payer les impôts pour les autres, et surtout ne voulaient pas faire grandir leurs enfants à côté des enfants du peuple. La réforme d'Allende n'a pas eu le temps d'être mise en place, mais elle aurait permis cette rencontre sociale qui n'a jamais existé au Chili."
4) Quelle conclusion donneriez-vous, depuis la parution de votre livre en 2001, et le conflit étudiant chilien de 2011 ?
T.L : "Quand j'ai écris le livre, ainsi que d'autres chercheurs, je voulais montrer aux pays européens les risques des politiques éducatives néolibérales. Nous avons été accusés d'idéologisme en nous opposant l' "objectivité" de l'école de l'efficacité. Ce mouvement étudiant sait répondre au néolibéralisme par une nouvelle manière de vivre que j'aimerais mieux connaître ! Un autre Chili qui peut nous apprendre beaucoup et cette fois par une belle expérience !"
Madame Longo, muchas gracias.
* Teresa Longo est retraitée depuis juillet
Bon à savoir :
***A l'heure d'écrire ces lignes, un troisième ministre de l'éducation chilien est nommé : Harald Beyer. http://www.lanacion.cl/ministro-beyer-las-puertas-estan-abiertas-para-los-estudiantes/noticias/2011-12-29/204604.html
.......................
"La Réforme éducative de Pinochet : Histoire d'une expérimentation néo-libérale" T.Longo (2001) http://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2001-1-page-104.htm
Camila Vallejo (Vice-présidente FECH 2012) vient de sortir un livre sur la situation étudiante du Chili : "Nous pouvons changer le monde"
Réflexions sur le Mouvement Etudiant Chilien 2011 : livre OTRO CHILE ES POSIBLE
http://www.lemondediplomatique.cl/
Fernando Ramirez III- journaliste/photographe chilien
http://www.flickr.com/photos/fernandoramirez/5887968863/in/photostream
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