La monnaie en général, et celle du Zimbabwe en particulier
La monnaie s’est écroulée au Zimbabwe. Et l’inflation atteint des chiffres qui n’ont plus de sens.
Evidemment, les Occidentaux, derrière la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, dans la droite ligne de leur campagne médiatique concertée, accusent la politique du "dictateur" Mugabe et son antidémocratie comme origine de l’effondrement du dollar Zimbabwe.
Ils ont tort, et même totalement tort. C’est parce qu’il reste une certaine liberté dans le pays (libre circulation des produits et des marchandises, libre circulation des personnes, frontières perméables dans les deux sens) que la monnaie s’effondre. Et la cause numéro un, ce sont bien les actions économiques contre le Zimbabwe qu’ont pris les Etats-Unis et la GB.
Si cet article va parler du Zimbabwe, il ne va pas parler de Mugabe, mais de la monnaie, et du dollar zimbabwéen, mais surtout de la monnaie en général.
Comment se détermine la valeur d’une monnaie ?
A l’origine des temps (à notre échelle), la monnaie était garantie par de l’or. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le dollar américain était garanti par des dépôts en or, comme d’ailleurs toutes les monnaies du monde étaient garanties par leur stock stratégique d’or.
C’est à Bretton Woods, après la Seconde Guerre mondiale (vous savez, là où ils nous ont inventé la Banque mondiale et le Fonds monétaire international) que tout le système change. En effet, c’est un peu con que tout le monde garde de l’or qui ne sert à rien d’autre, uniquement pour garantir la valeur de l’argent, et donc on va laisser les Américains le faire et tout le monde va se repérer par rapport au dollar.
Ca tombe bien, cela arrange les Américains. Le président de la Banque mondiale sera donc toujours un Américain, chaque dollar sera garanti par de l’or (un peu moins de 0,9 g car le système métrique est sans doute trop compliqué : les chiffres ne tombent pas juste, c’est bête, hein ?), et de 1944 à 1971, toute personne qui le demandait pouvait changer ses dollars contre le poids de référence en or.
Mais, pendant ce temps, le dollar devenant la référence mondiale, la quantité de dollars monte progressivement de 3 milliards à 50 milliards. Il n’y a pas que des billets dans le tas, mais des comptes dans des livres (un chiffre dans un compte en banque, par exemple). Ce dernier point est un peu difficile à comprendre quand on n’a pas l’habitude : l’argent n’est pas une chose sonore et trébuchante. C’est un concept totalement abstrait, des chiffres dans un livre, des traces électroniques dans un ordinateur, etc. Le billet de banque n’est qu’un des symboles de cet argent, et il faut qu’une certaine partie de la masse monétaire soit symbolisée par des billets pour faciliter les échanges.
En réfléchissant bien, vous vous rendrez compte que c’est le cas pour la plupart d’entre vous : vous recevez un salaire par virement, vous payez la plupart des choses par virement, par carte de crédit ou parfois par chèque (qui n’est qu’un ordre de transfert), et finalement, vous ne touchez qu’une toute petite partie de l’argent que vous faites circuler sous forme de billet de banque.
Lequel billet est donc un symbole qu’il faut sécuriser. Les billets euro ont huit systèmes de vérification que tout le monde peut facilement examiner, plus d’autres (comme la micro-impression, par exemple, le papier UV...). Voir l’animation flash.
Bref, pour que cela fonctionne, c’est-à-dire que la population croie à la solidité du dollar américain malgré son érosion évidente qui est du niveau de la règle de trois, il fallait que l’or ne monte pas et, donc, les pays occidentaux ont manipulé la bourse des matières premières (ce qui est interdit par les différents gendarmes de la bourse) en faisant en même temps des ventes massives d’or, ce qui cassait le cours et leur rapportaient de l’argent, et en le rachetant quand il était moins cher pour reconstituer les stocks vendus. C’était le "pool de l’or" et les pays qui y participaient étaient la GB, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. Ils se répartissaient ensuite équitablement les gains entre eux sur le dos des épargnants manipulés.
En 1966, de Gaulle met la grouille en demandant à changer les dollars de la France en or et en augmentant donc le stock stratégique de la France pour soutenir son nouveau franc (introduit en 58). La défiance commence à s’installer et, en 1971, la parité entre le dollar et l’or disparaît.
Les monnaies mondiales sont basées sur la confiance
Le dollar devient une monnaie fiduciaire, du latin fiducia qui veut dire confiance, mais, par habitude, il reste la monnaie de référence. Mais il est aujourd’hui battu en brèche par l’euro.
Les valeurs des monnaies les unes par rapport les unes aux autres ne sont rien d’autre que cela : la traduction d’un degré de confiance. Comment imaginer autrement que d’un seul coup, en quelques semaines, le dollar qui valait 1,35 euro tombe à 0,80 et même quelques années plus tard (aujourd’hui) en arrive à 0,64 euro ?
Et si le dollar continue de tomber, c’est parce que tout le monde a un peu intérêt à ce qu’il tombe. Et même si les Américains essayent désormais de le redresser, l’Europe (enfin, la BCE) fait tout pour que les Américains n’y arrivent pas.
Et le dollar zimbabwéen ?
La chute du dollar zimbabwéen a une seule vraie origine : la perte de confiance. Et c’est un système vicieux qui s’auto-entretient.
Le truc est simple à comprendre : le gouvernement impose un taux de change entre le dollar américain et le dollar zimbabwéen (US$ contre Z$). Et il change très volontiers les US$ contre des Z$. Dans l’autre sens, cela ne marche pas aussi bien : si vous arrivez avec des Z$, vous ne récupérerez jamais des US$.
Bien entendu, la banque vous dit que si vous pouvez prouver que vous aviez changé au taux officiel, vous pouvez rechanger dans l’autre sens jusqu’à concurrence du montant initial. Mais, en fait, cela m’est arrivé une fois, et quand j’ai demandé à ravoir des US$ (avec tous les papiers qu’il faut), les deux fois où j’ai essayé, la banque m’a dit que c’était bon, mais qu’ils n’avaient pas de US$. Evidemment...
Je me suis dit que ce n’était pas grave et que j’achèterai en Duty Free avec mes Z$. Après tout, ce n’est pas si mal de faire tourner le commerce. Seul petit problème, après les contrôles de police (sécurité) et avant de rentrer dans la zone Duty Free (où on peut bien entendu payer en Z$), tout étranger se voit confisquer ses Z$, car on n’a pas le droit d’exporter des billets à l’étranger. J’aurais mieux fait de tout donner à la population locale plutôt que me faire racketter. C’est d’ailleurs ce que je fais désormais, mais, surtout, je ne change plus au cours officiel (je reviendrai sur ce sujet plus loin).
Bref, déjà que la population n’avait pas trop confiance dans le dollar zimbabwéen (les avoirs en devises qui auraient pu permettre de garantir sa valeur sont gelés dans des banques occidentales par les Occidentaux), le fait qu’on impose un taux officiel qui ne veut rien dire avec la réalité (et que commence à fixer le marché noir des devises, le vrai marché, car là on peut avoir des US$) fait perdre toute confiance.
Du coup, tout le monde veut du dollar américain, et le marché noir crée un cours basé sur l’offre et la demande où le dollar américain devient plus cher que ce qu’il ne devrait être puisqu’il est rare. Et il est d’autant plus rare que tout ce qui rentre en US$ passe par la banque centrale où ces US$ tombent dans un trou noir (pour acheter des denrées alimentaires, du pétrole pour l’électricité, mais aussi financer les combines des hauts fonctionnaires pour leur permettre de maintenir leur niveau de vie, la combine la plus courante étant d’obtenir des US$ au taux officiel et les revendre ensuite sur le marché noir). On en arrive à des différences de taux hallucinants du genre 1 US$ = 30 000 Z$ au cours officiel pour 1 US$ = 100 millions Z$ au marché noir. Soit un gain d’un facteur de plus de 3 000 sans rien faire ou pas grand-chose... Comme si vous achetiez une pomme 1 euro pour la revendre 3 000 euros !
Pour tenter de diminuer cette inflation, la police fait la chasse au marché noir et limite le droit de retrait de la population en Z$, avec selon les moments une limite débile qui permet de sortir de son compte par jour de quoi se payer une miche de pain. On imagine les queues devant les banques, car désormais les choses sont claires : dès qu’on a des dollars zimbabwéens, il faut les changer contre n’importe quoi d’autre. Car ce n’importe quoi perdra moins de valeur que le Z$.
A une époque, je changeais au marché noir en arrivant. Ce qui est strictement interdit, mais que tout le monde le faisait. Mais, désormais, je reste en US$ et je propose mes prix en US$ en me basant sur le taux de change "petits montants" du marché noir ce qui n’est pas interdit puisqu’en tant qu’étranger il est normal que j’aie de l’argent étranger. Et croyez-moi, cela arrange bien tous les petits commerçants à qui on le propose...
On ne peut pas le faire avec des euros. D’abord, parce que le plus petit billet est de 5 euros et qu’on ne vous rend jamais la monnaie. Et ensuite, parce que 5 euros est un montant important : au Zimbabwe, les choses ne sont pas chères et les prix très stables : mais, évidemment, en n’importe quoi sauf en dollar zimbabwéen...
D’ailleurs, à la frontière, les prostituées côté Zimbabwe acceptent toute monnaie sauf le dollar zimbabwéen, et se font même parfois payer en liquide : 2 litres de gasoil siphonné dans le réservoir pour une passe. Si on tombe en panne sèche au milieu de nulle part, au village suivant, vous pourrez acheter un petit bidon de gasoil alors qu’il n’y a aucune station service (ça m’est arrivé !).
L’interdiction de fabrication des billets
La Banque centrale du Zimbabwe est donc amenée à imprimer des billets de banque de plus en plus souvent. Et comme elle n’a pas les technologies pour faire des billets sécurisés, elle les commandait à une entreprise spécialisée allemande. La pression de l’Europe sur cette entreprise pour lui interdire désormais d’imprimer des billets pour le compte du Zimbabwe est une pure imbécilité mesquine.
Cela fait que l’entreprise allemande perd un business, que les billets ne seront plus autant sécurisés et que la source naturelle suivante est la Chine, ce qui va encore pousser plus facilement le Zimbabwe dans les bras des Chinois.
Cela ne va en rien gêner Mugabe, mais uniquement la population qui devrait encore plus faire la queue devant les banques par manque de liquidités.
Les hauts fonctionnaires n’apportent plus d’argent pour payer leurs repas dans les restaurants. Ils ont un système de billets à ordre que le restaurateur présente au ministère, lequel lui fait un virement. Ces restaurants sont bien entendu libellés en Z$, et ils sont très chers, car les prix sont basés sur les prix des produits en Z$ au moment où le restaurateur pense qu’il va avoir l’argent...
Le summum, c’est la Banque centrale elle-même qui, lorsqu’elle a vraiment besoin d’US$ (pour du carburant, des engrais, etc.), imprime des billets et va les changer elle-même sur le marché noir pour avoir ses US$, tout simplement parce que personne d’autre ne veut ni d’ailleurs ne peut leur changer des Z$. Et comme ce sont des montants très importants, ils sont basés sur une valeur future à plusieurs mois, ce qui fait encore plus enfler l’inflation qu’on ne peut plus significativement quantifier.
Cela dit, la plupart des devises actuelles viennent quand même de ce que le Zimbabwe arrive à produire avec un matériel obsolète ou rafistolé au système D. Elle produit en gros environ 1/3 de ce qu’elle pourrait faire assez facilement avec du bon matériel, même pas de haute technologie (je parle en particulier des mines).
La dévaluation
La dévaluation ne va ni changer l’inflation ni ralentir son accélération.
Rappel : la Banque centrale du Zimbabwe vient de faire un nouveau Z$ qui vaut 10 milliards d’anciens Z$. Donc, le marché noir actuel de 1 US$ = 340 milliards anciens va devenir 1 US$ = 34 Z$.
Il faut le lire vite, parce que le temps de lire la phrase la cote a changé...
Cela dit payer la même chose avec un billet de 100 milliards anciens ou 10 nouveaux ce n’est franchement pas si fondamental que ça.
Mais alors à quoi cela sert ?
Certains pensent que cela va juguler ou ralentir l’inflation. Ce n’est pas vrai, car ce changement ne modifie rien du mécanisme. Il faudrait qu’il y ait une reprise de confiance et qui ne pourra passer que par un changement politique (un accord entre Mugabe et Tsvangirai), un arrêt des sanctions économiques de la GB et ses copains occidentaux et surtout des prêts pour pouvoir acheter des équipements lourds pour pouvoir exploiter leur richesses naturelles : or, diamants, platine, cuivre, nickel, chrome, charbon, uranium, et j’en oublie... Mais ça, les Anglais ne vont pas l’accepter de bon coeur : toute la guerre qu’ils font au Zimbabwe est pour mettre la main sur une partie du gâteau. La confiscation des terres agricoles et les droits de l’homme ne sont qu’un prétexte.
En attendant, cette réévaluation du dollar zimbabwéen est quand même une bonne chose. Car les entreprises du Zimbabwe vont pouvoir enfin n’avoir qu’un seul compte en banque : ils avaient atteint le plafond de plusieurs comptes et étaient obligés de faire plusieurs comptabilité.
Ah ?
En effet, les logiciels de compta et de gestion des banques viennent d’éditeurs d’autres pays et les montants peuvent avoir un certain nombre de chiffres, mais là il y en avait vraiment trop et les logiciels devenaient incapables de fonctionner en atteignant le nombre limite de digits. Certaines entreprises avaient donc des dizaines de comptes sur la même banque parce que leurs transactions dépassaient les capacités du logiciel...
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