Turquie : fin du mythe « mariage heureux entre islam et démocratie », le modèle choisi par des peuples musulmans aspirant à plus de liberté ?
En février 2011 est paru un sondage qui indiquait que la Turquie était considérée comme un modèle par une majorité d'habitants du Proche et Moyen-Orient. Une enquête qui a été conduite par la Fondation turque d'études économiques et sociales (Tesev), auprès de 2300 personnes interrogées en Arabie saoudite, Egypte, Irak, Iran, Jordanie, Liban, Syrie et dans les territoires palestiniens.
Cette étude montre que 66% des sondés voient dans la Turquie un modèle de développement. Et la preuve que l'islam et la démocratie sont compatibles.
Une victoire pour le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui hélas parvient même à chasser des mémoires le souvenir amer que l'occupation turque a laissé dans plusieurs pays arabes, dont elle a combattu en son temps le désir d'indépendance.
La question alors est : quel est le modèle turc ? La réponse la plus rassurante à cette question réside dans le "modèle turc", supposé figurer un mariage heureux entre islam et démocratie. Mais quel mariage exactement ? (vidéo)
La conversion démocratique de Recep Tayyip Erdogan est intervenue dans le cadre d’institutions parlementaires sans doute imparfaites mais anciennes et bien rodées.Car le jeune Tayyip a milité dans les rangs du parti islamiste nationaliste, le MSP, devenu ensuite le Refah, sous la houlette de son mentor, Necmettin Erbakan.
Charismatique et fin stratège, Recep Tayyip Erdogan se sit élire maire d'Istanbul en 1994 sur une plateforme anticorruption. Il améliora effectivement la gestion des services municipaux et essaya, aussi, de restreinddre la commercialisation d'alcool. En 1996, le Refah, parti islamiste, a pris la tête du gouvernement. Une expérience interrompue un an plus tard, en 1997 par l'armée. Et Recept Tayyip Erdogan fit six mois de prison après avoir lu en public un poème islamique : " Les minarets spnt nos baïpnnettes, les coupoles sont nos casques, les mosquées nos casernes, et les croyants sont nos soldats".
Il contribua en 2001 à la formation du parti de la justice et du développement (AKP), issu de l'aile progressiste d'un des avatars du Refah. Face au parti laïc discrédité par la grave crise économique de l'nnée précédente, l'AKP remporta les législatives de 2002, mais Recept Tayyip Erdogan ne put s'asseoir dans le siège du Premier ministre, car il était interdit de toute activité politique en raison de son séjour en prison. Une interdiction levée en mars 2003. Récept Tayyip Erdogan, qui tirait les ficelles en coulisses accéda enfin au pouvoir.
Depuis lors, le Premier ministre, connu pour son franc-parler mais aussi pour ses difficultés à accepter le moindre contraction, a lancé son pays dans des réformes. Mais Recept Tayyip Erdogan, qui ne parle au demeurant aucune langue étrangère, a aussi envisagé de faire criminaliser l'adultère, une directive a été envoyée aux universités, priées d'admettre les étudiantes avec leur foulard dès 2010 (ses deux filles ont étudié dans des universités américaines afin de pouvoir porter le voile, comme leur mère qui le porte depuis toujours).
Après quelques années de prudence sur la question, ce qui lui avait été vivement reproché par les milieux les plus conservateurs à la fin de son premier mandat, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan lève, un à un, tous les obstacles légaux qui restreignaient la visibilité de ce signe religieux. Le Conseil d'État a abrogé, en janvier 2013, une règle qui prévoyait que le port du voile était interdit dans les palais de justice.
Puis le ministre du travail, Faruk Çelik, a également plaidé pour la suppression de toutes les restrictions appliquées dans la fonction publique au nom de la laïcité. "L'interdiction de porter le voile n'est compatible ni avec les droits de l'homme ni avec les principes démocratiques", a-t-il affirmé.
Une large campagne de "libéralisation" a été lancée par le syndicat de fonctionnaires Memur-Sen, proche de l'AKP. Leur pétition, qui a rassemblé 12,3 millions de signatures, dont celle de M. Erdogan, a été déposée, le 9 mars, sur le bureau du ministre Faruk Çelik.
"Une interdiction qui n'est pas dans la Constitution ne peut pas être protégée par la Constitution", a lancé le premier ministre turc, qui considère cette règle comme "l'héritage du coup d'Etat militaire du 28 février 1997" et "une atteinte aux droits de l'homme". Fort de son soutien électoral sur le sujet, le gouvernement s'apprête à légiférer pour autoriser le port du voile dans la fonction publique.
Dans les lycées religieux, dont le nombre a augmenté ces dernières années, les enseignantes peuvent le porter, mais aussi les élèves. Ce n'est pas encore le cas dans les écoles généralistes ou dans le secteur privé, où la décision est du ressort de chaque entreprise.
Cette visibilité n'allait pas de soi lorsque l'AKP est arrivé au pouvoir en 2002. Les institutions turques faisaient encore rempart contre la remise en question des principes laïcs instaurés par Atatürk en 1924 et durcis par les régimes militaires successifs. L'armée se percevait comme un bastion laïc face "aux assauts des islamistes". Depuis, elle a été "décimée" par les procédures judiciaires lancées pour "complot". Des dizaines d'officiers sont en prison et les auteurs du coup d'Etat de velours de 1997 ont été convoqués devant les juges.
Depuis qu'il a entamé sa troisième législature, l'AKP est devenu petit à petit méconnaissable. Le dscours du Premier ministre Erdogan peut ainsi se résumer en ces termes : "J'incarne la nation. Le peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui, moi je le sais. C'est moi qui décide de qui va remporter un appel d'offres ou de ce que la presse peut écrire. Idem en matière de football, d'art, de théâtre, de religion, d'avortement ou de césarienne. Critiquer un gouvernement qui a obtenu la moitié des voix revient à jouer le jeu de l'étranger et s'apparente donc à de la trahison".
La volonté d'Erdogan de faire adopter une nouvelle Constitution fait planer le doute sur la future démocratie de la Turquie. Comment expliquer ce retour en arrière et cette tendance à l'autoritarisme de la part d'Erdogan et de l'AKP ?
Plusieurs thèses circulent à ce propos. Dès lors qu'il domine l'appareil d'État, Erdogan concisère qu'il incarne désormais cet État, ce qui lui permet d'affirmer au passage que tous ceux qui le critiquent sont des "ennemis de la Turquie" !
Cette évolution serait également liée au souhait d'Erdogan d'être élu président de la République. Il aurait en outre renoncé à l'idéal démocratique, qui différenciait la Turquie, pour revenur à une posture conservatrice islamique. Les références à la religion parsèment ses messages politiques, il utilise la religion comme ciment social.
Dernièrement une loi a été votée pour restreindre la consommation d'alcool. Sevan Nisanyan, un intellectuel arménien de Turquie, a été condamné pour "blasphème" à treize mois de prison après avoir critiqué le prophète Mahomet. Et la mairie d'Ankara a appelé les citoyens "à adopter un comportement conforme aux valeurs morales".
Mais le peuple turc ne supporte plus l'emprise de plus en plus prégnante di gouverment islamo-conservateur de Rece Tayyip Erdogan. Au delà des "réformes" constitutionnelles de la République permettant aux conservateurs religieux d'avoir la main mise sur toutes les composantes de l'État, chaque jour un peu plus, les mesures liberticides en faveur d'une "Charia démocratique" l'exaspère. On lui prête aussi cette boutade inquiétante : "La démocratie, c’est comme le bus : une fois arrivé à destination, on en descend." Aujourd’hui, il n’est pas sûr qu’il aurait besoin de descendre du bus pour évoluer vers le rêve d'État coranique que caressait son ancien mentor Necmettin Erbakan, dont il s’est séparé à la fin des années 1990.
Depuis vendredi 31 mai, des manifestations pacifiques de protestation contre la destruction d'un parc au coeur d'Istanbul, pour construire un centre commercial, sont réprimées par le gouvernement avec une très grande brutalité. Il aurait un millier de blessés, dont certains ont perdu la vue. Amnesty International a protesté. Le parc Gezi, place Taksim, en plein centre d'Istanbul, doit être remplacé par un centre commercial et un complexe culturel, selon la décision du maire d'Istanbul, membre de l'AKP. 600 arbres seront déracinés.
Or, l'affaire du parc Gezi et la répression-surprise contre la jeunesse protestataire cristallisent l'exaspération qui couve depuis de longs mois contre le pouvoir. La nouvelle loi sur les restrictions de vente d'alcool, les persécutions constantes contre opposants, minorités ( vastes) kurde et alévi (non sunnite, courant laïque original dans la chiisme) alourdissent le climat. La contestation devient politique, les émeutes gagnent en ampleur, à Istanbul et dans plusieurs villes du pays.
La répression policière est excessive. Alors c'est une vraie colère de tous les milieux qui s'est déclarée face à la volonté claire d'islamiser toujours davantage la société turque, laïque à sa manière depuis Mustapha Kemal Ataturk, père révolutionnaire de la Turquie moderne, figure détestée par les islamistes de l'AKP, bien que Recep Tayyip Erdogan soit toujours contraint de s'exprimer sous les portraits du grand homme.
Le fait que le fameux refrain emblématique du Printemps arabe "le peuple veut la chute du régime" a été copieusement entonné dans les rues d’Istanbul est la preuve que la revendication devient très politique, et qu'elle dépasse largement la simple contestation d’un projet urbanistique mal emballé
La Turquie, qui était aux avant-postes dans la promotion et l’encouragement des "printemps arabes", et qui était un modèle de démocratisation pour les peuples arabo-musulmans exprimant depuis quelques années le rejet de l'autoritarisme et de l'islamisme anti-moderne, vient de se brûler les doigts.
Le modèle turc, dévoyé par Erdogan et l'AKP, ne peux plus être un modèle pour ces pays qui sont à la recherchent de plus de liberté, de démocratie et de justice sociale.
Le mariage heureux entre démocratie et islam n'est pas encore pour aujourd'hui semble-t-il. Les témoignages de plusieurs manifestants le démontrent. (Cliquer ICI)
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