Le conseil national du 27 mars 2010 que le MoDem a tenu de 9 heurs 30 à 14 heures dans la salle Lamartine, à l’Assemblée Nationale, a été plus que décevant. Pas de mea culpa. Pas d’analyse introspective sur les raisons du double échec (européennes et régionales).
Un conseil national décevant
La réaffirmation de l’indépendance du MoDem ainsi que trois nominations au bureau exécutif montrent un certain autisme quant à la situation grave que traverse le mouvement centriste. Une autre décision aura au moins réjoui les candidats malheureux aux élections régionales qui n’avaient pas dépassé les 5% fatidiques : leur parti va quand même rembourser leurs frais de campagne et les candidats pourront ainsi rembourser les emprunts personnels auxquels ils avaient souscrit.
Quelles sont les nominations ? Le député Jean Lassalle (grand et unique héros des régionales) et le député européen Robert Rochefort sont désignés vice-présidents du MoDem et Marc Fesneau, "jeune" maire de 39 ans tête de liste de la région Centre ayant dépassé les 5%, est désigné secrétaire général, un poste qui n’était pas prévu dans les statuts (mais pas incompatible non plus) et qui manquait cruellement depuis trois ans pour organiser les relations internes. C’est donc un adhérent de la région Centre qui est chargé en principe de faire le ménage dans le parti du centre. Des secrétaires thématiques seront nommés (attendus depuis deux ans) pour renforcer la structure projet.
Jean Lassalle doit-il être fier de son score de 16% en Aquitaine ? Sans doute si l’on le compare à celui du MoDem dans les autres régions. Mais on peut aussi le relativiser avec le score des autres troisièmes (et éventuellement quatrièmes) listes dans toutes les régions où il ne restait pas seulement deux listes. Ainsi, les écologistes en Bretagne ont fait presque 18%, les communistes dans le Limousin presque 20% et je passe sur les bonnes performances du FN et des autonomistes corses. Cela montre qu’il reste un créneau contre la bipolarisation.
La réaction de la direction du MoDem indique que rien ne changera dans sa manière de faire : ni la stratégie suicidaire de refus d’alliance électorale avec l’un des deux blocs actuellement constitués (il faut bien observer actuellement la lutte interne entre un Daniel Cohn-Bendit partisan d’une alliance complète avec le Parti socialiste et une Cécile Duflot beaucoup plus fine que cela, qui cherche à avancer ses pions dans le cadre d’un partenariat avec les socialistes tout en préservant l’indépendance de son mouvement), ni la contestation des médias (qui ne font que décrire une réalité de fait), ni la volonté exprimée clairement d’exclure les adhérents protestataires ne peuvent donner le sentiment que ce parti veut rassembler un grand nombre de citoyens. Il semble vouloir rester une petite "boutique" dont le fonds de commerce est à gérer.
On pourrait imaginer au contraire de l’exclusion que les dirigeants du MoDem souhaitent l’ouverture et la réunification de la famille centriste comme certains déjà s’y attèlent (avec difficulté).
Le refus d’alliance électorale est cependant aujourd’hui sans conséquence puisque la prochaine échéance est l’élection présidentielle de 2012. Le MoDem fera l’impasse sur les élections cantonales de mars 2011 (des conseillers généraux élus pour seulement trois ans), mais il va devoir jouer subtil pour le renouvellement de quelques uns de ses sénateurs en septembre 2011 (Denis Badré et Jean-Marie Vanlerenberghe, entre autres, vont devoir ruser avec les élus locaux UMP pour se faire réélire).
En somme, si on "les" écoute, tout ce qui arriverait aujourd’hui au MoDem serait de la faute des médias et de méchants militants qui trahissent leur parti et qu’il faut exclure.
Je vais reprendre deux éléments essentiels dans la chute de la maison Bayrou : le positionnement politique et la faute des européennes.
Désastreuse stratégie d’indépendance dans l’interdépendance
La stratégie d’alliance est l’indépendance. C’est-à-dire, le refus d’alliance électorale. Cette stratégie n’est valable que lorsque le parti est d’essence majoritaire. À 18%, il pouvait le prétendre. À 4% ou même 8%, c’en est presque naïf. Cette indépendance a été suicidaire dans les faits pour de nombreux sortants qui sont restés fidèles à cette ligne.
Le pire, c’est que cette stratégie n’a apporté que des inconvénients (moins de parlementaires) et aucun des avantages escomptés. L’avantage principal, c’était de se dire hors du système (un peu à la manière du FN en réutilisant d’ailleurs son vocabulaire lorsqu’on évoque l’UMPS), et de montrer qu’une véritable troisième voie est possible entre capitalisme et collectivisme (si souvent recherchée dans le passé : par le MPRP et la SFIO sous la IVe République puis par Jean Lecanuet, Gaston Defferre, Pierre Mendès France et Jean-Jacques Servan-Schreiber sous la Ve République).
Bref, depuis trois ans, la théorie, c’est l’indépendance (et c’est même la réalité électorale), mais en pratique, dans les prises de positions, c’est un positionnement à gauche, que ce soit reconnu ou pas. Les rares ralliements proviennent d’ailleurs de la gauche : Danièle Auffray, ancienne adjointe PS à Paris, Jean-Luc Benhamias et Yann Wehrling, anciens secrétaires nationaux des Verts. Quant aux nombreuses défections, elles sont d’origine de centre droit (députés anciennement UDF, Jean-Marie Cavada, Jean Arthuis, Michel Mercier, Corinne Lepage…). Tout, dans les faits, place le MoDem à gauche. Même la proposition d’un parlement de l’alternance qui ferait office du regroupement des partis d’opposition au sein d’un même pôle que François Bayrou souhaiterait chapeauter (comme François Mitterrand a réussi à conquérir de l’extérieur le Parti socialiste en 1971 au congrès d’Épinay). Une proposition qui ne sera évidemment pas suivie par le PS.
De même, une photographie comme celle du 20 avril 2008 peut être très négative pour François Bayrou même s’il souhaite se montrer ouvert et décrispé avec tous les partis politiques. Il y a d’ailleurs une réelle dichotomie entre le discours rassembleur du leader et les consignes d’exclusion des seconds couteaux.
Ce positionnement politique par défaut, qui a fait fuir tous les sympathisants du centre droit que le Nouveau centre a bien du mal à rassembler, aurait peut-être été pertinent s’il avait été réfléchi et concerté avec les autres partis d’opposition. La grande différence avec Épinay (qui "obsède" François Bayrou), c’est que François Mitterrand a commencé son rassemblement à gauche en 1965. Il avait 49 ans. François Bayrou avait presque 56 ans à l’élection présidentielle de 2007. Le parallèle va donc s’arrêter là avec Épinay (François Mitterrand avait 54 ans) : François Bayrou a beaucoup moins de temps que François Mitterrand pour faire une OPA sur sa gauche (projet qui semble définitivement exclu depuis les élections régionales).
Désastreuse campagne des européennes
L’autre point essentiel, dans la descente du MoDem, c’est la campagne des européennes : je reste convaincu que le "coche" a été raté lors des élections européennes de juin 2009. Malgré les difficiles élections législatives de juin 2007, le MoDem avait réussi tant bien que mal à retrouver le niveau de l’ancienne UDF en élus municipaux en mars 2008, au prix d’une communication brouillonne et confuse (alliance à droite, à gauche). Le déplorable congrès de Reims du PS en novembre 2008 donnait au MoDem un espace politique inespéré.
Pour avoir participé à x campagnes, je sais le succès ne tient pas à l’existence d’un beau programme téléchargeable ou imprimé sur papier glacé. Il est dans le sentiment que les électeurs ont que le ou les candidats sont aptes à assumer les responsabilités qu’ils revendiquent et qu’ils sont capables d’agir dans l’intérêt général.
Le livre "Abus de pouvoir" de François Bayrou (sorti le 30 avril 2009) a été publié sciemment pour la campagne des élections européennes et tout a été communiqué (du côté de François Bayrou) pour en faire une attaque contre Nicolas Sarkozy. Pour François Bayrou, ce livre devait être son "Coup d’État permanent" (1964). Il ne cesse d’ailleurs (depuis vingt ans) de se comparer à François Mitterrand mais cherche encore à faire son congrès d’Épinay (comme écrit plus haut, cela risque d’être difficile avec le succès actuel du PS, tant électoral que dans les sondages pour ses leaders).
Le choix de la date de publication ayant été délibéré, il y a trois hypothèses :
1. Erreur stratégique : en pensant "nationaliser" les élections européennes, François Bayrou avait cru gagner à sa cause tous les mécontents. C’est finalement ceux qui ont le plus parlé d’Europe qui ont gagné. Dommage pour le parti se disant le plus proeuropéen.
2. Au contraire, cela aurait été volontaire. François Bayrou aurait préféré faire l’impasse sur ces élections européennes pour mieux lui assurer sa campagne présidentielle de 2012, se disant que parmi ses sympathisants, il y aurait des citoyens proeuropéens et des citoyens antieuropéens, le but étant de ratisser large. L’absence d’affirmation claire de ses convictions européennes est-il un gage de courage politique ? Je ne sais pas. François Mitterrand n’a pas hésité à se dire favorable à l’abolition de la peine de mort contre une majorité de Français au cours d’une campagne présidentielle de la dernière chance.
3. Hypothèse la plus basse que je ne saurais retenir : le but aurait été de faire vendre son livre (c’est un grand succès, ce best-seller) et de profiter d’une campagne pour en donner un meilleur écho. Beaucoup de personnalités politiques font désormais cela, au lieu de délivrer un avis politique, ils préfèrent faire du marketing pour leur livre : Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Lionel Jospin, Charles Pasqua, Pierre Joxe…
Quelle que soit l’intention d’origine, la réalité est que pour un scrutin où le MoDem aurait dû être en avant sur le plan des idées (la construction européenne dans la situation de crise financière et de doute identitaire) et sur le plan de la démarche électorale (le scrutin proportionnel épargnant toute discussion concernant des alliances ou pas au second tour), il n’a pas su utiliser ce double avantage.
La part des médias
Maintenant, est-ce que les médias sont en cause dans le délitement du MoDem ? C’est toujours difficile d’évaluer sereinement et objectivement la responsabilité des médias, entre cause et effet. C’est sûr que le MoDem n’a pas bénéficié d’une couverture médiatique aussi intense que l’UMP, le PS et Europe Écologie. Mais par exemple, le FN et le Front de gauche étaient quasi-inexistants dans les médias et ont pourtant fait de bons scores aux régionales.
Ce qui est assez clair, c’est que les médias ne font que des sujets qui vont avoir de l’audience. Ceux qui promouvaient la candidature d’Édouard Balladur en 1993 et 1994 ont été les premiers à expliquer pourquoi Jacques Chirac a gagné en 1995. Nicolas Sarkozy aussi gagne et perd à ce petit jeu en fonction de sa popularité ou impopularité. Il n’y a rien de nouveau. François Bayrou qui avait violemment contesté les médias en fin 2006 a été porté en février et mars 2007 par ces mêmes médias lorsque sa présence au second tour devenait possible.
Les médias ne sont souvent que le reflet d’une situation de fait.
Un exemple m’avait assez étonné : le dernier meeting électoral du premier tour des régionales de François Bayrou avait eu lieu le 11 mars 2010 à la Bellevilloise pour soutenir Alain Dolium, et au lieu de discourir sur le projet régional de la tête de liste, il n’a fait que justifier le fait du prince de l’avoir propulsé tête de liste. Aucun mot sur le programme dans le cas improbable où Alain Dolium aurait été élu président du Conseil régional d’Île-de-France. Et dans la même intervention, François Bayrou critiquait France 2 qui venait juste de l’interviewer car l’interviewer ne lui avait posé aucune question sur le programme régional du MoDem : de qui se moque-t-on ?
La critique des médias a bon dos.
Tout reste possible pour 2012
Tout reste cependant possible dans un pays en proie aux doutes et aux interrogations. François Bayrou reste encore une personnalité qui peut compter, je ne le crois pas comme un futur élu mais comme un "faiseur de roi". Qu’il prenne du recul. Qu’il soit plus un "sage" qui devienne un recours. Qu’il reprenne ses thèmes de la campagne présidentielle de 2007 qui étaient très porteurs, sur l’État impartial, sur l’endettement, sur la construction européenne, sur la pacification des rapports sociaux.
Pour aller plus loin :