Un plan pour les demandeurs d’asile : utile, nécessaire, suffisant ?
Tiens, tiens… c’est trop beau pour ne pas le souligner : dans un grand numéro de père fouettard, le Premier ministre nous annonce qu’il va falloir tailler dans les effectifs de fonctionnaires, réduire le train de vie de l’Etat, cesser de se shooter à la dépense publique, etc. Non, ni de gauche, ni de droite, qu’il a dit, le Président. Cinq milliards avant la fin de l’année, allez hop ! Les militaires, qui venaient d’assister, ému, à un Président caressant l’encolure d’un sous-marin nucléaire et murmurant à l’oreille d’un hélicoptère : « on y est, on y reste » (au Mali), n’en reviennent pas…
Mais toute de même, il va bien falloir s’occuper de tous ces étrangers qui errent entre les dunes de Calais, la porte de la Chapelle et la vallée de la Roya : et devinez la solution préconisée ?
Ben, un plan d’urgence, avec plus d’agents publics, de dépenses publiques, un nouveau poste de délégué interministériel, de nouvelles structures d’accueil, etc. Et le pire, c’est que cela ne suffira pas.
Un plan légitime et à mettre en œuvre en urgence
Rendons justice à Edouard Philippe : le plan était inévitable, le sujet demeurait en souffrance depuis bien longtemps, malgré quelques efforts méritoires du gouvernement précédent.
Le plan consiste, en résumé, à :
- Accélérer les procédures (soit faire mieux avec les mêmes moyens, soit mettre plus de moyens, soit les deux), pour réduire celle-ci à six mois, recours devant la Cour nationale d’Asile compris. C’est souhaitable, mais… très ambitieux ;
- Créer 7500 places d’hébergement pour les demandeurs en deux ans. Le dispositif est complètement encombré, du fait des déboutés qui ne quittent pas les centres d’accueil.
- Anticiper l’engagement de la France d’accueillir 10 000 réfugiés dans le cadre de la réinstallation à l’échelle européenne ;
- Accélérer la reconduite à la frontière des « dublinés » (demandeurs qui doivent déposer leur demande dans le pays européen par lequel ils sont entrés), des déboutés de l’asile et des sans-papiers interpelés par les forces de l’ordre : cela signifie non seulement plus de policiers, mais aussi une modification de la loi pour faciliter les procédures.
- Un effort supplémentaire en matière de politique d’intégration (bien étrillée ces dernières années par les coupes budgétaires), notamment pour faciliter l’apprentissage du français.
- Contribuer à un règlement européen de la pression migratoire sur le front Sud, avant que l’Italie n’explose (politiquement) sur ce dossier. Le Comité Carnot publiera prochainement sur cet aspect particulier.
Pour ce qui est de l’asile, il faut bien reconnaître que la procédure est largement détournée, et que le système est engagé dans une course sans fin :
- La poussée migratoire se traduit par une croissance spectaculaire du nombre de demandeurs (85000 dossiers l’année dernière, sans doute plus de 100 000 cette année), la plupart ne relevant pas du droit d’asile. 26 000 ont été admis l’année dernière.
- La plupart des déboutés ne sont pas reconduits à la frontière. Idem pour les 21 000 « dublinés ». Quoi qu’on pense de la sévérité des décisions de l’OFPRA et du bien-fondé des règles posées par le CESEDA[1], il est aberrant de faire suivre une procédure de près d’un an à des gens, leur dire finalement « non », puis laisser la décision inappliquée…
- Les structures d’accompagnement et d’hébergement ne suivent pas, notamment sur l’agglomération parisienne où se concentrent les demandeurs d’asile.
Il est d’autant plus urgent de réformer la procédure et d’en augmenter les moyens que l’Italie se retrouve actuellement seule à gérer la question. Aux termes des règlements de Dublin, le pays d’entrée doit traiter la procédure du demandeur. Or, depuis l’accord euro-turc, la route des clandestins passe par la Méditerranée centrale, donc par l’Italie. En trois jours, entre le dimanche 25 et le mardi 27 juin, 12 000 migrants ont été secourus au large de la Libye et amenés par bateau en Italie. Il est donc équitable que la France augmente le nombre de demandeurs traités sur son territoire.
Enfin, il faut urgemment traiter le sujet, car la question de l’attente des migrants se focalise sur quelques territoires où les tensions sont devenues vives : face à Vintimille, à Metz, dans les parages de Calais, en Seine-st-Denis, Porte de la Chapelle à Paris… quelques communes doivent faire face à des situations réellement sensibles, l’Etat doit répartir le fardeau sur les autres territoires.
Un plan sans doute insuffisant et qui va rencontrer une contestation
Le plan est bienvenu, mais insuffisant. En l’absence de la révision des accords du Touquet, il est peu probable que l’agglutinement des migrants autour de Calais cesse. Quant à Paris, elle est naturellement le point d’attraction des errants qui pensent, avec bon sens, trouver plus facilement des opportunités pour vivre et des réseaux communautaires dans la grande ville qu’au fin fond du Massif central. Ainsi, les campements sauvages de la Porte de la Chapelle sont régulièrement évacués, et ils se reconstituent très vite. Anne Hidalgo, après avoir entrepris un effort méritoire pour accélérer le traitement et l’hébergement, appelle avec raison à la solidarité territoriale par un plan qui déconcentrerait l’accueil, la procédure, et l’hébergement.
L’accélération de la procédure est envisageable, mais il faut souligner que l’OFPRA a déjà gagné fortement en productivité et qu’il est dépendant de la complexification des règles et victime d’un renforcement des garanties sous la pression des associations, de juges peu conséquents et de la jurisprudence européenne. Par ailleurs, la réduction des moyens des préfectures (« trop de fonctionnaires, vous dis-je ») qui devrait se poursuivre grâce au plan d’économies budgétaires aggravera encore les délais de prise en compte des dossiers des demandeurs en amont de la procédure de l’OFPRA. Pour économiser à terme, il faut investir…[2]
Pour renvoyer des gens chez eux, alors qu’ils n’ont pas vraiment envie d’y retourner, il faudra davantage de policiers. Il faudra trouver des juges plus complaisants. Il faudra surtout convaincre les autorités consulaires des pays de départ peu enthousiastes de voir revenir chez eux les jeunes chômeurs futurs révolutionnaires. Enfin, le 11 novembre, la clause de sauvegarde qui permet à la France de contrôler la frontière avec l’Italie ne pourra pas être reconduite. Le commissaire européen chargé des migrations ne semble pas favorable à une nouvelle dérogation… Donc, il faut s’attendre à un surcroît de demandeurs gyrovagues sur le sol hexagonal.
Le gouvernement nous promet une nouvelle loi sur l’immigration et le droit d’asile dans les prochains mois. Encore une, serions-nous tentés de dire, après la longue liste qui n’a cessé de modifier le CESEDA ces dernières années. Il peut se permettre de durcir les règles ; si l’on en croit la dernière enquête de l’IFOP sur la perception des Français concernant l’immigration, souligne « la proportion importante de Français qui font part d’une position ambivalente face à l’accueil des réfugiés sur le territoire français, empreinte avant tout de craintes et d’un malaise ressenti face à l’altérité dans un contexte économique et social vécu négativement[3] » (diantre, si les responsables de sondage se mettent à écrire comme des énarques, où va-t-on … ? ). L’étude souligne surtout que les Français sont partagés entre lassitude et persistance d’un sentiment de solidarité. A trop vouloir insister sur le premier, le gouvernement risque de heurter le second, et d’apparaître plus de droite que de gauche aux yeux de l’opinion publique, qui commence à s’interroger sur la nature réelle du centre de gravité politique de ce nouveau pouvoir. Plus subtil qu’un Guéant en la matière (bon, certes, pas difficile…), le Premier ministre a également esquissé un programme d’intégration : nous suivrons avec attention la mise en œuvre de celui-ci, et ne manquerons pas d’en dénoncer la pauvreté, le cas échéant. Mais, en annonce de plan comme en matière de droit d’asile en cas de dilemme, nous éviterons… le procès d’intention.
[1] Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
[2] Cf. sur ce thème l’article de Lionel Rouillon, « Investir dans l’Etat, un choix compétitif et responsable », www.comitecarnot.org.  ;
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