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L’aide juridictionnelle en France

Pourquoi les avocats sont-ils actuellement mobilisés pour la défense de l’aide juridictionnelle en France ? Actuellement, le budget de la Justice est débattu devant le Sénat, et les avocats continuent leur mobilisation pour obtenir la revalorisation de « l’unité de valeur », base de leur indemnisation au titre de l’aide juridictionnelle. Au-delà d’une simple revalorisation, c’est une réforme totale du système d’accès au droit que les avocats revendiquent. Une manifestation nationale est prévue le 18 décembre 2006 à Paris.

Selon les chiffres de l’UNCA (Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats), sur la totalité des avocats français, 47 % effectuent des missions au titre de l’aide juridictionnelle. Sachant que Paris représente 40 % de l’effectif de la profession, et que les avocats parisiens ne prennent en charge qu’environ 5% de la totalité des missions d’aide juridictionnelle, une observation concrète permet d’affirmer qu’environ 75 % des avocats en dehors de Paris effectuent des missions au titre de l’aide juridictionnelle.

L’Observatoire de l’accès au droit du Conseil national des barreaux indique, en septembre 2006 :

« Dans neuf régions, il y a plus d’avocats indemnisés au titre de l’aide juridictionnelle que d’avocats implantés dans la région. Cinq régions sont situées au Sud de la France : Rhône-Alpes, PACA (plus de deux points d’écart), le Languedoc-Roussillon, l’Aquitaine et Midi-Pyrénées et deux sont situées dans le Nord : la Lorraine et le Nord-Pas de Calais.

La carte de France permet de bien visualiser que c’est dans les régions où l’activité économique est la plus forte que se situent les plus forts effectifs d’avocats pratiquant l’aide juridictionnelle."

L’argument ultralibéral selon lequel « avec le système actuel, où va un bon avocat ? Dans des secteurs qui gagnent le plus d’argent, pas auprès de la clientèle « AJ », les pauvres ont de mauvais avocats », est donc une simple vue de l’esprit, ou peut-être la vue d’un esprit simple...

Le mouvement légitime pour une réforme de l’aide juridictionnelle ne peut être réduit à des motivations strictement mercantiles. Les avocats sont des auxiliaires de Justice, c’est ce qui les distingue des experts-comptables et des juristes d’entreprise : les avocats défendent des personnes physiques et morales, ils ont des obligations déontologiques, ils ont une charge de service public, car les avocats sont l’un des piliers de la Justice. C’est pourquoi les avocats mènent un combat pour la refonte totale du système d’accès au droit.

Il ne s’agit pas d’un combat misérabiliste, car au-delà de la revalorisation de l’unité de valeur (qui est la mesure de défraiement des avocats et qui est actuellement fixée à 20,84 euros) à hauteur de 15% pour compenser l’inflation, qui n’est qu’une revendication légitime fondée sur des promesses des gouvernements de gauche et de droite qui n’ont jamais été respectées, le combat des avocats transcende celui pour une juste rémunération de leur activité : il s’agit de défendre l’accès au droit. C’est un combat pour une Justice digne, dotée des moyens qu’un pays prospère comme la France est en mesure de lui accorder.

En 2004, selon le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice, la France a consacré 4,7 euros par habitant à l’aide judiciaire. Le Royaume-Uni, le plus économiquement libéral des pays européens, lui en a consacré 57,9 euros... Le ratio entre le budget annuel consacré à l’aide judiciaire par habitant par rapport au PIB par habitant place la France derrière l’Estonie, le Portugal, l’Irlande, l’Allemagne, le Royaume-Uni... Ceci est à rapprocher du budget consacré à la Justice, qui place la France derrière la Grèce, l’Espagne, l’Italie, la Roumanie, le Portugal, la Hongrie, la Pologne, l’Allemagne et la Russie entre autres... Il n’est donc pas surprenant de constater que la France se trouve reléguée en bas de tableau en ce qui concerne la dotation moyenne par mission d’aide judiciaire qui est de 350 euros, alors qu’au Royaume-Uni la dotation est de 1260 euros et en Islande de 3061 euros...

Heureusement, la France est un des pays qui permettent un accès des plus amples à l’aide judiciaire, et le ministre de la Justice ne s’est pas privé de le rappeler lors de la non-discussion des amendements préparés par la Commission des finances de l’Assemblée nationale pour la revalorisation de l’unité de valeur à 15%, à l’occasion des débats parlementaires du 16 novembre 2006 relatifs à la loi de finances pour 2007 :

"Deuxième engagement : rendre la justice accessible à tous les citoyens. L’accès au droit doit être favorisé, et particulièrement le droit pour les plus démunis à disposer d’un avocat. Sur ma proposition, le Premier ministre a décidé un effort important en faveur de l’aide juridictionnelle, dont les crédits progresseront de 6,6 %, soit 20 millions. Sur cette somme, plus de 16 millions seront consacrés exclusivement à la revalorisation de l’unité de valeur, qui permet de fixer la rétribution des avocats. Le solde ira aux actions conduites par les barreaux en faveur d’une défense de qualité, compte tenu de la stabilisation du nombre d’admissions à 881 000 bénéficiaires - nous sommes champions de l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe ! Le budget total de l’aide juridictionnelle sera ainsi de 323 millions en 2007."

C’est un effort de solidarité nationale qu’il ne faut en aucune sorte abandonner. Mais c’est un effort qui pèse essentiellement sur les épaules de la profession d’avocat. Non pas sur 4% de la profession (4% est la part de l’aide juridictionnelle dans le chiffre d’affaire de l’ensemble de la profession), mais sur 47% (voire 75% en province) des avocats de France. C’est une charge déséquilibrée que les avocats ne peuvent plus tolérer. C’est ce que le Conseil national des barreaux (CNB) et la Conférence des bâtonniers, organes représentatifs de la profession au niveau national, n’ont eu de cesse de faire valoir auprès des gouvernements depuis 2000 : la France doit garantir un accès au droit digne pour le justiciable.

Dans ce combat pour une meilleure justice pour la France, les avocats ne peuvent que se solidariser avec les revendications de l’ensemble des syndicats de la magistrature et du personnel des greffes qui visent également à ce que des moyens conséquents soient dégagés pour offrir aux citoyens une justice digne de ce nom.

Pour mémoire :

Extraits du rapport adopté par l’assemblée générale du CNB le 14 décembre 2002 :

"Quant à la prime à l’avocat d’AJ et à la distorsion entre les avocats des pauvres et les avocats des riches, elle sont apparues tout aussi inacceptables, tout comme la suspicion permanente d’un Etat interventionniste qui s’interposait comme « protecteur du consommateur » face aux « abus constants et les fraudes avérées » des professionnels irresponsables que nous paraissions être."

Extraits de la motion sur la réforme de l’accès au droit et à la justice prise par la Commission ouverte d’accès au droit du Conseil national des barreaux, à l’occasion de la Convention nationale des avocats qui s’est tenue à Nice les 10, 11 et 12 octobre 2002 :

La Commission ouverte d’accès au droit du CNB s’insurge totalement et unanimement contre la notion de « profession à deux vitesses ».

Elle insiste néanmoins sur le fait qu’une grande partie de la profession ne doit pas continuer à être pénalisée par la carence d’un service public auquel on lui demande de participer très activement et de plus en plus souvent.

Elle relève aussi comme monsieur le Ministre qu’il existe cependant un réel besoin de société et que cette réforme doit être faite avant tout dans l’intérêt du justiciable.

Extraits du rapport adopté par l’assemblée générale du CNB en 2003 :

La loi inscrit donc comme un droit fondamental l’accès au droit et à la Justice pour tout citoyen. Toutefois, entre l’affirmation du principe et son application, il existe une nuance de taille. Même si des ressources complémentaires peuvent être envisagées par le biais de la protection juridique, il appartient à l’Etat de se donner les moyens de la politique d’accès au droit et à la Justice que les gouvernements successifs affirment.

Par ailleurs, le système mis en application en 1991 n’est plus adapté à la situation, « il y a lieu de le marquer d’emblée : la demande d’une remise à plat du système mis en application il y a dix ans correspond à une véritable nécessité », (préambule rapport Bouchet) :

1°) L’explosion des demandes d’aide juridictionnelle due notamment au relevé significatif des seuils d’admission à l’aide juridictionnelle par la loi du 10 juillet 1991 et la demande de droit de plus en plus pressante dans un environnement juridique de plus en plus complexe nécessitent un effort financier certain.

2°) Nombre de personnes se trouvant à la limite du seuil d’éligibilité à l’aide juridictionnelle ne bénéficient pas d’un véritable accès au droit et à la Justice.

3°) Le système mis en place par la loi de 1991 conçu comme un régime d’indemnisation des professionnels prêtant leur concours au titre de l’aide juridictionnelle a fait peser sur la profession d’avocats une charge devenue insupportable.

Or, il n’y a pas de véritable politique d’accès au droit et à la Justice sans recours à un professionnel compétent et indépendant, seule garantie de l’égalité des citoyens devant la Justice.


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7 réactions à cet article    


  • Mm (---.---.237.246) 8 décembre 2006 12:22

    Eligibilité, prononcez vous sur ce cas réel ! Soit une escroquerie de 30 MF. Soit l’un des auteurs percevant 8,5 MF et pouvant par conséquent s’offrir les plus grands cabinets pour assurer sa défense. Soit la victime, ne touchant rien et tirant sur sa cassette pour assurer la défense de ses intérêts. Soit une procédure s’éternisant à travers 3 appels 3 cassations 1 réouverture refusée ... malgré le concours de 7 avocats. Ce tour de magie a trouvé son explication et la procédure doit reprendre. Sous quelles conditions pourrait-il y avoir éligibilité à l’aide juridictionnelle ?


    • Bill Bill 8 décembre 2006 12:50

      Plutot d’accord avec Mm ! Les avocats travaillant avec l’aide juridictionnelle sont ils vraiment motivés ? ils ne sont même pas choisis par leur client, ce qui reste en soi normal.

      Mais ce qui me choque un peu dans tout ça, et je crois que vous y faites allusion, c’est que comme souvent, le français moyen n’a pas le même accès à la justice que plus pauvre que lui, car son salaire avec lequel il peine à subvenir à ces propres besoins est trop élevé ! N’y a t’il pas avec ce phénomène d’aide juridictionnelle des procédures menées un peu injustement ? ne serait il pas judicieux que la personne effectuant cette demande ne verse en fonction de ses revenus une partie des frais de sa défense ?

      C’est un peu la question que je me pose, face à tout cela.

      bien à vous

      Bill


      • Mm (---.---.237.246) 8 décembre 2006 14:19

        je voulais dire, entre autres, que
        - avec de grosses ressources financières on peut mieux se défendre (pour se payer grands avocats , temps à passer sur les dossiers , étude de la jurisprudence ...)
        - en cas de dérapage, on est mal protégé par un avocat débutant ou un petit cabinet qui n’utiliseront pas récusation ou suspiscion légitime.


      • Bill Bill 8 décembre 2006 14:34

        Je l’avais compris cher Mm, je ne voulais pas dénaturer votre commentaire, bien à vous.

        Bill


      • Calvino Pranef 8 décembre 2006 18:03

        Bonjour,

        Mon entreprise vient d’être liquidée et je fais appel à un avocat afin de m’assurer que tout ce qui m’est dû me sera payé. Je n’ai pas encore d’expérience dans le domaine, mais un des avocats que j’ai vu m’a parlé de ce mouvement. Il m’a expliqué qu’un avocat qui accepte (ou est désigné pour - je ne sais pas comment ça fonctionne précisément -) l’aide juridictionnelle est moins bien payé que pour une défense « classique » qui aurait les même enjeux.

        Bien sûr, je suis assez d’accord avec Mm sur le fait que ceux qui ont les moyens peuvent « motiver » leur avocat plus facilement, mais je crois que ce n’est pas le problème. Pour moi, c’est comme si un professeur d’une école peu convoitée était moins bien payé qu’un professeur d’une école réputée, alors que sa mission et le travail à fournir sont équivalents.

        Je rejoins aussi Bill sur une solution genre ratio de participation en fonction des revenus, pour que cela ne laisse pas place à des recours en justice systématiques sous prétexte que « nous n’avons pas les moyens ». D’ailleurs, ceux qui les ont ne s’embarrassent pas de ce genre de questions ...

        Calvino


        • Lucie Fair (---.---.71.55) 12 décembre 2006 13:01

          L’aide judiciaire est une belle chose,mais hélas (pour faire court)beaucoup d’avocats estiment qu’étant que peu payés,ils n’ouvrent pas les dossiers des pauvres gens qui comptent sur eux pour les défendre. Ils ne font rien, et se rendent tout juste aux audiences, ou est la déontologie là-dedans ? On est loin de la défense de la veuve et l’orphelin. Si vous n’avez pas au minimum de 1500€ à 3000€ à consacrer à votre affaire ne comptez pas sur votre avocat, même si il (elle)est réellement compétent(e) (ce qui n’est pas souvent le cas),à part des avocats comme Rippert ,mais cet avocat n’est que l’exception qui confirme la règle...


          • passet (---.---.242.228) 13 décembre 2006 16:28

            déboutee 1 fois divorce en appel puis 1 autre fois, deboutee pensions alimentaires . J ai tout essaye payer et AJ . 15 annees de procedure pour rien. car... il y a un bien immobilier . desesperee, avocats nuls, malhonnetes aucune volonte politique aucun recours possible democratie chancelante. je ne supporte plus

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