Un sombre bonheur : retour sur l’affaire Battisti
Il y a des crimes qui n’en finissent pas d’être commis. Ils ont tué puis ont été discutés, défendus, voire absous, ils pourrissent les esprits et continuent de révolter, souvent dans l’indifférence générale. J’ai pensé longtemps qu’il en serait ainsi pour le dossier de Cesare Battisti. Que pouvait peser la vérité en face du matraquage audiovisuel dont ont bénéficié les seuls apologistes de cet individu, que pouvait peser l’indignation en face de Fred Vargas, de Bernard-Henry Levy et de tous ceux qui, par commodité ou snobisme, ont suivi les traces de ces illustres éclaireurs ? La formidable lucidité que donne, pour les imbéciles, le fait de n’avoir rien connu d’une affaire, de ne pas porter dans son être les stigmates laissés par le crime, comme une marque de fabrique !
Mais il ne faut jamais désespérer. Dans Le nouvel observateur de cette semaine, un article de Marcelle Padovani est consacré au livre d’Alberto Torregia, J’étais en guerre et je ne le savais pas. La journaliste nous décrit le drame de l’auteur, sa détresse aussi, puis sa volonté, sa révolte, son combat, enfin ses certitudes. C’est l’honneur de cet hebdomadaire que d’avoir le premier ouvert la porte à la restauration de la vérité, à la force de la contradiction.
Qui est Alberto Torregiani ? Le fils de Pierluigi Torregiani, bijoutier milanais assassiné par les Prolétaires armés pour le communisme (les PAC), pour le punir d’avoir résisté lors d’une précédente attaque à main armée. Alberto, lui, sera atteint d’une balle perdue à la colonne vertébrale. Il est resté paraplégique. Il lui aura fallu beaucoup de temps pour accepter de remettre sa mémoire, qui avait tout voulu effacer, au coeur de cette horrible tragédie. Il l’a fait en écrivant ce livre en 2004.
Guillaume Perrault, étayant sa démonstration sur les incontestables sources judiciaires italiennes, humiliées d’avoir été prises pour du vent, avait lumineusement démontré les charges pesant sur Battisti et sa participation notamment à cet assassinat.
Battisti a fui deux fois. Condamné par contumace à la prison à vie en Italie, il se réfugie en France en 1990. Le 10 février 2004, il est arrêté. Libéré sous la pression d’une classe intellectuelle qui se portait garante de cet honnête homme - pensez donc, un auteur ! -, il en profite pour disparaître au mois de mars 2004, contrairement aux engagements pris devant la juridiction qui lui avait accordé du crédit.
Qu’à cela ne tienne, tout s’explique. Sa double fuite est le signe éclatant de son innocence, et ceux qui l’accablent ou qui doutent seulement sont des malfaisants qui n’ont pas le sens de l’écoulement du temps ni celui de l’histoire. Le disparu publie même un livre célébré comme il se doit, et BHL se commet à lui rédiger une préface. Bref, Battisti gagne sur tous les tableaux.
Et Alberto Torregiani vient gâter ce magnifique tableau de l’innocent pourchassé, qui fait si chaud au coeur de ceux qui désespérément cherchent des causes à défendre plus que des vérités à dire. Il a tout lu, tout vu, tout repris à zéro. Il a le temps, il ne peut plus bouger. Il a étudié les 150 000 pages du dossier d’instruction et sa conclusion est claire, irréfutable : Battisti est coupable de l’assassinat de son père.
J’entends bien que, pour beaucoup de partisans de Battisti, les preuves sont secondaires. Elles sont même importunes, puisqu’une seconde, elles viennent altérer la pureté du combat politique ou, mieux encore, du soutien christique !
Mais tout de même ! Le moment venu, le livre traduit, les médias, qui ont "servi la soupe" à une vision unilatérale et confortable de l’affaire Battisti, vont-ils au moins convier Alberto Torregiani à compléter douloureusement la part occultée de la réalité, vont-ils accepter de mettre en scène la vérité plus que les célébrités ? Ce serait la moindre des élégances. A défaut, Guillaume Perrault et Marcelle Padovani constitueraient déjà d’heureux précurseurs.
Ce devrait être une démarche évidente, mais j’entends déjà des phrases : c’est trop tard, on ne peut pas faire ça, cela intéresse qui, l’intelligentsia va protester. Je crains ces atermoiements, ces abstentions que la mauvaise conscience se fabrique pour continuer à s’aimer contre vents, marées et émissions.
La lecture de cet article, dans le NO, m’a procuré un bonheur sombre. Durant quelques minutes, la justice a vaincu le crime et le mensonge.
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