Orelsan ou les méandres politico-médiatiques...
« Les vieux comprennent pas c’qui s’passe dans la tête des jeunes... Ils sont pas élevés par la télé, par la PlayStation...Ils comprennent pas à quel point on est fêlés... Ils connaissent pas l’rap, les portables, le shit, la Despé... »
Dans le refrain de son titre « Changement », Orel donne le ton, tout est dit, comme à l’image de 95 % de son album : noir, cru, réaliste et défaitiste mais bourré d’humour, dont on oublie souvent de préciser le titre « Perdu d’avance »... On y retrouve dans quasiment tous ces morceaux cet esprit nihiliste, sombre, désanchanté...
Orelsan, c’est l’anti-héros par excellence, c’est l’anti-rap de cité ou de « caillera »... Il le dit, il l’écrit, il le chante... Malgré lui, il est le porte-parole d’une génération perdue, sans repère, sans limite...
Beaucoup s’expriment sur le sujet, des hommes politiques, les médias, des experts musicologues, des sociologues, les censeurs et les anti-censeurs...
Mais quand a t’on donné la parole aux jeunes ? Quand avons-nous entendu les réactions de ceux qui comprennent et chantent ces paroles ?
Et c’est là que réside le problème, le véritable problème, bien au de-là des paroles de cette chanson polémique, provocatrice, violente : « Sale Pute », qui, rappelons-le, a presque 3 ans d’existence, n’a pratiquement jamais été jouée sur scène, ne figure pas sur son album et n’existe pas autrement qu’en clip...
Qu’est ce qu’il se passe dans la tête des jeunes pour qu’ils écrivent des textes comme cela ? Qu’est ce qu’il se passe dans la tête des jeunes pour qu’ils écoutent des textes comme cela ? C’est là que réside le vrai débat, le seul débat...
Les D’Jeunesss....
Nous avons crée une génération perdue, sans repère, bercée depuis leur naissance par des mots comme chômage, précarité, violence... Le Journal télévisé de 20 h les abreuve depuis 10 ans, 15 ans, d’images horribles, d’informations ultra-violentes, déstabilisantes, peu structurantes...
La télévision a profondément changé les codes de notre société...
Un enfant de 12 ans aujourd’hui a certainement vu plus de sang, de violence, de morts à la TV, dans les journaux que moi à 35 ans... Un adolescent aujourd’hui passe les 3/4 de son temps libre à regarder tout et n’importe quoi à la Télé, à se gaver de jeux ultra violents, souvent immoraux et déstructurants sur Playstation, à avoir accès en deux coups de clics sur Internet à n’importe quelle information, image ou vidéo aussi horrible soit-elle...
Lorsque je vois que l’on passe les images à la télé de la décapitation d’un otage, de charniers pendant la guerre, de morts sur l’autoroute, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a peut-être un enfant de 5 ans, 8 ans ou 10 ans qui tombe sur ces images... Sait-on quels sont les impacts psychologiques de la vision d’un mort, de la violence, de l’horreur dans un cerveau en construction ? Je me rappelle très clairement de la première fois que j’ai vu un « vrai mort » à la télé, je devais avoir 11 / 12 ans, j’ai été choqué… Demandez à un jeune aujourd’hui s’il se souvient de cette première fois… Il en voit depuis qu’il est né !!!
Les gamins jouaient à la guerre, à se battre, aux « indiens et aux voleurs » maintenant ils jouent à des jeux d’un réalisme saisissant, d’une violence inouïe sur consoles de jeux, ils mattent des films incroyablement violents, ils dînent devant le journal de TF1...
Notre société n’a pas su protéger ses enfants du monde des adultes, de toute ces aberrations et contradictions, de sa violence et de sa cruauté… Bien au contraire, elle l’a banalisé à outrance, l’a tourné en dérision !
Alors quoi de plus choquant que d’entendre un « Djeun » chanté « je vais t’accrocher à un radiateur en chantant Tostaky » ou « je vais te marie trintigner », qui puisse parler de cul en chantant : « Appelle-moi Démonte-Pneus, Monsieur Le Déménageur…J’crache dans ta femme enceinte et j’te fais un bébé nageur… Mets-toi sur Messenger, j’t’envoie ma bite en émoticône…J’aime ta beauté intérieure quand tu remues tes seins en silicone » Paroles de « Suce ma bite pour la saint valentin », autre titre provocateur d’Orelsan : « Si t’es gourmande, j’te fais la rondelle à la margarine… J’aime pas celles qui avalent, j’aime celles qui font des gargarismes…Moi d’abord je lèche et j’te tèje, et puis tu pars au tri sélectif… » Que dire de plus ??? Ces paroles de « Saint Valentin » qui ont fait connaître Aurélien au grand public par un énorme buzz internet sont le reflet de cette génération, elles peuvent jetter le trouble, tout autant (si ce n’est plus !) que son morceau « Sale Pute »…
Satyre, humour et dérision… Trois mots clés… A prendre au premier degré, on frise la vulgarité et l’horreur absolues, et finalement avec du recul, ça peut même faire rire ! Si, Si !!!! (Bon, faut aimer les Sales Blagues de l’echo et Reiser)
« Qu’est-ce qu’on s’en branle du futur quand on comprend pas l’présent ? », Orel résume en une phrase la problématique générale… Génération no limit !!!!
Lorsque j’avais 15 ans, j’écoutais les béruriers noirs, Gogol 1er, Ludwig Von 88, une autre forme de provocation et de rébellion… Mais, à cette époque, dans la cours du collège, la pire insulte qu’une personne pouvait te sortir, c’était « Fils de pute », tu traitais les parents, c’était bagarre assurée…
Aujourd’hui les jeunes s’insultent pour s’amuser, pour se charrier, inventent les pires horreurs pour parler de la mère de l’autre et ça les fait marrer… On en a même fait une émission américaine de concours d’insultes sur la mère du candidat d’en face qui passe sur la TNT : « ta mère, elle est tellement grosse qu’elle s’est fait prendre par Jumbo qu’… ». Le comble !!!
J’entends une prof de français, 20 ans d’éducation nationale derrière elle me dire : « il y a 10 ans, je surprenais des conversations entre filles de 6 ème, dans les couloirs, pendant la récré, parler de comment on embrassait, de comment on roulait une pelle, les techniques et tout et tout, aujourd’hui, j’entend les filles de 6 ème parler de comment on suce une bite !!! »
Conflit générationnel ?
Décalages symptomatiques d’une société qui va mal ?
Orelsan met le doigt là où ça fait mal, et je ne suis pas loin de penser que ceux qui sont le plus responsables de ce décalage, de cette situation sont certainement d’avantage à chercher dans les adultes d’aujourd’hui, dans les médias et les hommes politiques… Bizarrement, tous ceux qui s’offusquent, s’expriment, en font des tonnes par rapport à un jeune rappeur qui pose des chansons, avec ces mots à lui, avec son désespoir, son amertume, sa violence et surtout beaucoup d’humour et d’auto-dérision, et ça, on ne le dit que trop peu…
Alors un grand Merci à Cali ou à Anaïs et à tous ceux qui osent défendre et programmer dans leurs salles ou festivals ce qui n’est pas « politiquement correct » et ce qui correspond malgré tout à un temps donné, à une époque, à un contexte !!!
Pour moi, Orelsan, c’est le Didier Super du Hip-Hop et lorsque j’entends certains titres de TTC, qui pour le coup sont de joyeux machos, vulgaires, alcooliques et misogynes, passés sur les ondes, je me dis qu’on se trompe de cible et qu’on ne veut pas regarder le vrai débat en face !!!