La deuxième question me semble aller de soi. Les libertés publiques et les droits individuels sont aujourd’hui gravement menacés. La dénonciation anonyme est pratiquement légalisée et rappelle évidemment d’autres époques.
En ce qui concerne la première question, les choses sont plus compliquées. Il me semble qu’un certain nombre de normes morales ou juridiques ne relèvent pas du clivage droite/gauche. Il existe une droite très « libertaire » favorable à la disparition de toutes les normes morales ou juridiques tradtionnelles, le libre marché étant censé régler tout cela au mieux. Milton Friedman, par exemple, l’inspirateur des politiques économiques de la droite conservatrice était un partisan de la légalisation de la vente de drogue. En ce qui concerne les questions liées à l’éthique du début et de la fin de vie, on constate que les clivages droite-gauche sont souvent bousculés. Daniel Ortega, le leader sandiniste récemment élu au Nicaragua est favorable à l’interdiction absolue de l’avortement même quand la vie de la mère est en cause ...
En ce qui concerne l’euthanasie, il me semble qu’il faut distinguer nettement l’euthanasie elle-même et sa légalisation. On peut comprendre que quelqu’un puisse aider un proche à mourir. Mais c’est une décision individuelle qu’on doit assumer. La légalisation en revanche tendrait nécessairement à faire de cette exception « hors la loi » une norme. Au fond il ne resterait plus qu’à trier les vies qui « valent d’être vécues » et celles qui ne valent pas d’être vécues. En outre, cette légalisation serait en même temps sa transformation en acte médical. Ce qui est, selon moi, une grave évolution de la déontologie. La législation actuelle condamne l’acharnement thérapeutique et autorise l’arrêt de traitement avec des dispositifs d’accompagnement des mourants. Cela suffit amplement. Demander au médecin de donner la mort, ce serait franchir un pas aux conséquences morales considérables.
Il n’est rien de plus facile « techniquement » que de donner la mort. Celui qui le fait doit en rendre compte devant la justice, quitte à ce que la justice renonce à la condamner au vu des circonstances — il y a plusieurs exemples récents qui vont dans ce sens. Mais le dernier appartient toujours à la justice.
On parle du « droit à mourir dans la dignité ». Cette expression est selon moi dépourvue de sens. On invoque parfois la volonté du malade. Mais d’une part, personne ne peut vouloir à l’avance ce qu’il voudra au moment décisif. D’autre part, ce n’est pas parce que quelqu’un vous demande de mourir que vous devez obtempérer à cette demande.
Mes positions ne sont pas dictées par des considérations religieuses — mes rapports avec Dieu sont très distants : quand nous nous croisons, nous nous saluons ! — mais par une réflexion morale rationnelle. Je sais bien que je m’éloigne ainsi de nombreux amis de gauche ou libres penseurs. J’en suis désolé. Mais je ne crois pas que tout doive obéir à une logique purement politique ou à idéologie du progrès qui fait eaux de toutes parts.