Il se passe quelque chose
Film d’Anne Allix, avec Lola Dueñas, Bojena Horackova et beaucoup d'inconnus (et non anonymes comme les médias disent sans cesse). Distribution Shellac.
Avignon. Irma, qui ne trouve plus sa place dans le monde, croise sur sa route Dolorès, une femme libre et décomplexée missionnée pour rédiger un guide touristique gay-friendly sur un coin de Provence oublié. L’improbable duo se lance sur les routes. Au lieu de la Provence pittoresque et sexy recherchée, elles découvrent un monde plus complexe et une humanité chaleureuse qui lutte pour exister. Pour chacune d’elle, c’est un voyage initiatique...
Anne Alix réalise un OVNI cinématographique, un long métrage itinérant, fiction et documentaire mêlés. Ce film a fait l’ouverture de l’ACID 2018, sélection parallèle du Festival de Cannes. On pourrait dire qu’il tente l’épuisement d’un lieu, d’une région, comme Georges Pérec avec tenté de faire lui-même par l’écriture.
La rencontre et l’amitié improbables de deux femmes lient une sorte de visite d’un petit pays, la Provence autour de la Camargue. Le tout-début est déroutant : Des chasseurs de fantômes équipés d’appareils radio sonores d’un temps révolu, croient en la présence d’esprits et souhaitent leur parler. Cette situation incongrue et un rien ridicule sera une métaphore du film. Ces gens, qui n’interviennent pas dans l’histoire des femmes ni dans la visite de la région, portent un sens symbolique, on pourrait dire comme la caverne de Platon, ce que vous voyez et croyez être n’est pas ce qui est vraiment, ce qui est vraiment est inatteignable.
Dolores (Lola Dueñas) sillonne la Provence en principe pour écrire un guide touristique gay friendly. Irma (Bojena Horackova) n’a plu envie de vivre depuis la mort de son mari, un an plus tôt. « Avec lui, rien que de le regarder le soir après le travail, la fatigue s’envolait. » Irma se jette dans le Rhône du haut du pont d’Avignon, repêchée par Dolores. Autant l’Espagnole est active et enjouée, autant la Bulgare est taiseuse et mélancolique, qui se laisse porter comme une algue. Les voilà dans la décapotable et dans la même dérive camarguaise, avec des motivations si éloignées.
Et le pays apparaît, cru et nature, un pays de travail, d’agriculture, de pêche, d’usines, de raffineries lumineuses la nuit mais inquiétantes de saleté, un pays de familles, d’immigration, de chômage, de cueillettes des fruits… le pays laborieux et industriel, ou ex industriel, et son peuple d’ouvriers, de petits commerçants et de travailleurs immigrés.
Ce film est plein de non-acteurs qui ont accepté de jouer leur propre rôle dans le film. Et c’est un de ses aspects les plus étonnants : on se trouve dans un apéro de pêcheurs, une scène remarquable de karaoké dans un café, des cueilleurs dans les rangs de fruitiers, des pêchers je crois, le travail dans une sardinerie… la quête des femmes (on oublie assez vite le guide « gay friendly ») nous fait passer par des situations parfois drôles qui sont autant de touches pour dessiner un pays, comme l’impossible traduction par google de phrases, traduction tentée pour parler à un berger roumain. On voit la présence de gens de tant de peuples, ils viennent parfois défiler et se présenter à nous, face caméra simplement, avec leurs prénoms. Le parcours des femmes est le fil sur lequel sont montées des perles et parmi ces perles quelques pépites. On voit un pêcheur qui saute de sa barque et marche dans l’eau pour jeter son harpon sur un poisson tranquille. On voit celui qui court parce que quand on court, on est juste là. Et ce délicieux échange sur l'amour qui n'est ni une idée, ni un sentiment, mais qui entre là, par le bas.
Peu à peu, dans cette confrontation à tous ces braves gens qui tâchent de profiter de la vie sans nuire aux autres, Irma la suicidaire reprend goût à la vie, cherche un emploi, trouve un homme, un amoureux… et le duo se sépare, l’une qui voit sa Bulgarie le Danube dans les paysages et l’autre « cette lumière, c’est l’Espagne » et qu’importe !
Un film d’impros, dont le scenario, semble-t-il, a été déchiré juste avant le tournage et qui donne à voir l’âme d’un pays, où nombre de nationalités ont atterri, et l’âme de deux femmes sur la route. Mais ne sommes-nous pas toujours sur la route ?
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