Madeleine Malraux
Est-il possible de vivre toute une vie dans l’intimité totale d’un géant ?
Toute une vie, c’est arrivé parfois. Dans la période récente ce fut le cas en France pour Yvonne de Gaulle, le cas aussi de Clémentine Churchill bien que le lien qui l’unissait à son époux eut été, semble-t-il, moins exclusif. Et le premier de ces deux géants, outre sa personnalité publique, était un homme aux sentiments privés exceptionnels.
La vie de Madeleine Malraux apparaît aussi fidèle que celle d’Yvonne, mais plus détachée, plus indépendante, plus dédiée à elle-même.
En 1944, Madeleine a trente ans. Elle a épousé un an plus tôt Roland Malraux, elle nourrit pour son mari un amour profond. De ce mariage va naître bientôt un petit Alain qui hélas ne connaîtra jamais son père : Roland, résistant actif, est arrêté par la Gestapo allemande en avril, son épouse ne le reverra jamais.
Madeleine est pianiste, professeur au conservatoire de Toulouse. La guerre se termine enfin, mais sans Roland. Madame Roland Malraux vit son malheur discrètement, partage son existence entre sa musique et son enfant.
En 2012, la fille d’Alain, petite fille de Madeleine, journaliste, entreprit de faire raconter à sa grand-mère les épisodes que le destin, l’art musical, et le hasard lui avaient permis de vivre. De ces conversations naquit un livre passionnant, sous la forme du carnet intime que Madeleine aurait pu écrire*.
Car elle fut exceptionnelle, la vie de Madeleine, disparue presque centenaire en janvier 2014. Au cours des mois qui suivirent la Libération on la voit suivre de près la joie des Toulousains tandis qu’elle tente de surmonter son chagrin et qu’elle s’intéresse au renouveau du pays, notant par exemple la visite de de Gaulle venu sermonner les anciens maquisards pour mettre de l’ordre, alors que « chacun voudrait faire sa loi ».
En novembre 1944 son beau-frère André Malraux perd sa compagne Josette, dans un accident de chemin de fer. André reste seul avec deux fils. Madeleine et André conviennent de s’installer ensemble afin de réunir les trois demi-frères en un domicile commun, à Boulogne près de Paris. Madeleine est fascinée par André qu’elle respecte et admire. Lui-même depuis longtemps éprouvait une attirance certaine pour sa belle-sœur. En juillet 1946 leur union devient plus intime et en mars 1948 Madeleine devient Madame André Malraux.
Commence alors pour elle une vie de grande bourgeoise : confort, richesse, honneurs, notoriété. Depuis la Libération, André Malraux est devenu très proche du Général dont il a soutenu le premier gouvernement. Il a fortement participé à la naissance du RPF. À plusieurs reprises de Gaulle rencontre l’écrivain, parfois en présence de Madeleine. D’autres rencontres illustrent leur vie commune, André Gide, Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Raymond Aron, Georges Braque, Robert Oppenheimer, Claude et Georges Pompidou. Et quand en juin 1958 le Général en pleine gestation de son retour aux affaires vient déjeuner, à trois, dans la chambre des Malraux, c’est l’amorce d’une longue période d activité officielle pour le couple. Le nouveau ministère de la culture, inventé par De Gaulle, échoit naturellement à André Malraux qui l’assumera jusqu’à la démission retentissante du Général en avril 1969. Réceptions et voyages officiels se succèdent, les Malraux reçoivent le couple Kroutchev à Versailles, le Shah et Farah Dibah, le roi Baudoin et Fabiola. Le président J.F. Kennedy organise à la Maison Blanche une réception en l’honneur d’André Malraux, ce sera la confirmation d’une vive amitié entre Madeleine et Jackie qui avait débuté en juin 1961 lors de la célèbre visite du couple Kennedy à Paris, celle où ce dernier s’était présenté ainsi aux Parisiens : laissez-moi me présenter, je suis le mari de Jackie Kennedy. Les deux femmes se reverront souvent à New York, leur amitié survivra à l’assassinat de Dallas et au remariage de Jackie avec Onassis.
Mais le piano ? Toute cette vie trépidante ne remplace pas sa musique. Madeleine se conduit en épouse sincère et scrupuleuse, se faisant un devoir et un plaisir d’accompagner et de soutenir le maître. Consciente du déroulement exceptionnel de son existence, elle n’en tire aucune gloire et regrette surtout son indépendance et sa liberté. De plus le caractère ombrageux d’André se durcit peu à peu, conséquence de sa vie publique et aussi de la mort brutale de ses deux fils dans un accident de voiture. Jour après jour, de silences en silences, les époux s’éloignent, jusqu’à la séparation en 1966.
Dès lors Madeleine se consacre, totalement, à sa vie d’artiste. À Paris, à New-York surtout, et dans le monde entier, elle devient elle-même : pianiste reconnue, demandée et applaudie. Elle le restera jusqu’à la fin…
* « Avec une légère intimité », BakerStreet Larousse, 2012.
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