TOUT est foutu : Et puis ; non.
La semaine dernière, c’était le sommet de la dernière chance (voir p. V. On le clamait à la une des
journaux : « Il reste dix jours pour sauver l’Europe ! » Aujourd’hui, sommes-nous sauvés ? Pas
sûr. A peine le sommet achevé, les agences de notation dégradaient la note des
banques. Et menaçaient de dégrader toute l’Europe. Pourquoi ne pas dégrader la Terre entière, et baste ?
C’est curieux, cette atmosphère d’apocalypse
lente. Ces mauvaises nouvelles qui se succèdent par vagues incessantes. On a
peur de tout. On ne fait plus confiance à personne. L’ambiance est plombée. On
n’y comprend plus rien. Sarkozy n’arrête pas de sauver la situation ; elle n’arrête
pas d’empirer. Il y a quelque chose qui cloche.
Et voilà qu’au hasard d’un rangement de bibliothèque on
retombe sur ce bref bouquin de Castoriadis. On le relit : Il date de plus de dix
ana. Il parle d’aujourd’hui : « Les
libéraux nous disent « il faut faire confiance au marché ». Mais ce que disent aujourd’hui ces néolibéraux,
les économistes académues eux-mêmes l’ont ré-futé dans les années
30. Ils ont montré qu’il ne peut pas y avoir d’équilibre dans des
sociétés capitalistes. » Qu’aujourd’hui la crise nous colle aux pattes.
Rien d’étonnant, donc. « Ils ont montré que, tout ce que racontent les libéraux sur les vertus du
marché qui garantirait la meilleure allocation possible, qui garantirait
des ressources, la distribution des revenus la plus équitable possible, ce sont des inepties ! » Mais,
ces inepties-là, on continue de les entendre tous les jours, même si au fond
plus personne n’y croit. «
L’humeur, la disposition générale est une disposition de résignation. » On
laisse Sarkozy et Merkel s’activer pour réparer la machine européenne. Les
peuples regardent ça de loin : de toute façon, ils n’ont pas leur mot à dire. « Nous n’en sortirons que par la résurgence d’une
critique puissante du système et une renaissance de l’activité des gens, de
leur participation à la chose commune. » L’Europe, notre « chose commune » ? De moins en moins... Tout
simplement parce qu’on ne sait pas dans quelle direction elle va.
Sauver l’euro ? réduire la dette ? arrêter de vivre au-dessus de nos moyens ?
aller vers plus de solidarité, ou vers le chacun pour soi ?
Castoriadis, toujours : « La
société capitaliste ajourd hui est une socièté qui à mes yeux court à l’abîme à
tout point de vue parce que c’est une société qui ne sait pas s’autolimiter. Et une société vraiment libre,
une société autonome, comme je l’appelle, doit savoir s’autolimiter. » C’est tout l’inverse aujourd’hui
: ce ne sont pas les peuples qui décident de quelle autolimitation ils
veulent, mais « les marchés », comme on dit, qui nous imposent la rigueur,
c’est-à-dire une limitation autoritaire, pas voulue, pas négociée, pas
discutée, qui pèse sur les plus pauvres. « Je crois qu’actuellement tout le monde dans la société -à part 3 ou 5 %
— a un intérêt personnel et fondamental à ce que les choses changent. » Nous sommes les 99 %, disent les
Indignés. Castoriadis est mort en 1997. Ça fait du bien, une pensée toujours
vivante.
Jean-Luc
Porquet
• Cornelius Castoriadis, « Post-scriptum sur
l’insignifiance : entretiens avec Daniel Mermet (Editions de L’Aube,
1999