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Henri Masson 9 juillet 2006 12:30

Cet article a suscité de nombreuses réactions, souvent fort intéressantes. Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui l’ont jugé intéressant et qui ont contribué à enrichir la discussion. Certes, il y a eu quelques dérives regrettables.

Je voudrais souligner quelques points, et en particulier le fait qu’il est important de bien faire la différence entre les articles définis (le la, les, l’) et indéfinis (un, une, des) quand on parle de tel ou tel groupe humain, que ce soit les journalistes, les agriculteurs, les cheminots, les flics, les étudiants, les Américains ou les Anglais, les croyants de telle ou telle religion, etc., sinon ça conduit à des généralisations dangereuses. C’est tout aussi vrai à propos des usagers et des partisans de l’espéranto. Rassurez-vous Skirlet, je sais que c’est une difficulté linguistique pour des locuteurs natifs de langues slaves, mais cette erreur peut être fréquemment constatée chez des francophones smiley

Ce n’est qu’à partir de la seconde intervention de Bénichou que j’ai décidé de réagir, car là, il a confirmé son penchant à vouloir enterrer l’espéranto dont il ne sait visiblement guère plus que le nom. J’ai été révolté quand il s’est ainsi défendu d’avoir attaqué l’espéranto : « Je répète ce que j’ai dit : c’est une des meilleures idées du monde, une idée fraternelle, généreuse, fraternelle, de fraternité et de... mais qui n’a pas marché du tout, du tout, du tout, du tout ! ». Rien que quatre fois, en martelant avec lourdeur et insistance, comme pour effacer l’impression positive que pouvait donner la première partie de sa réponse ! Puis il a remis ça un peu après : « C’est la meilleure idée du monde. J’ai dit - hélas pour eux [les espérantistes], hélas pour l’humanité, [sic !], ça n’a pas marché ». J’ai été révolté par cet aplomb. Car si cet homme, que certains prétendent particulièrement cultivé, roule ainsi dans la boue, et même dans autre chose, « l’une une des meilleures idées du monde, une idée fraternelle, généreuse, fraternelle, de fraternité, etc. » et ajoute qu’il regrette que « ça n’a pas marché », il est clair que sous le vernis culturel, pas bien épais, il y a quelque chose de pourri, de foncièrement hypocrite, d’intellectuellement malhonnête. La place d’un individu qui prend la goujaterie et l’insulte scatologiques pour de l’humour et de la plaisanterie est-elle dans des émissions de divertissement et d’humour telles que celles de Laurent Ruquier, en l’occurence « On va s’gêner » ? Eh bien, les espérantistes n’ont pas à se gêner ! Et cet article a effectivement permis à un certain nombre d’entre eux de ne pas se gêner !

Au vu des fonctions élevées qu’il a occupées au « Nouvel Observateur », où je suppose qu’il y a encore une certaine influence, je comprends mieux pourquoi, à part deux ou trois exceptions qui auraient pu confirmer la règle, le mot « espéranto » y était fréquemment utilisé dans un contexte dévalorisant et que le droit de réponse n’y a jamais fonctionné à propos de l’espéranto. Les lecteurs du « Nouvel Obs » n’ont pas eu le moindre article d’information sur l’espéranto, et encore moins un dossier sur cette question. Et quand bien même il y en aurait eu un, avec quelqu’un qui imposait un point de vue archi-faux et tordu sur la question, ça n’aurait débouché que sur une conclusion négative.

Si vraiment Bénichou estime que l’espéranto est une idée aussi magnifique qu’il le dit, s’il regrette effectivement qu’il n’a pas marché, qu’il se comporte en journaliste [n’oublions pas qu’il était annoncé comme tel dans la présentation de l’équipe de Laurent Ruquier], rien n’est plus facile à lui que de le démontrer oralement et par écrit. Un journaliste digne de ce nom se pose tout d’abord la question : « Que sais-je du sujet que je dois traiter ? ». Dans le cas de Bénichou, la réponse ne pouvait être que « rien ». Ses seules références sont le ouï-dire. Il se demande ensuite où en est l’espéranto, et là, il bénéficie aujourd’hui d’un outil qui n’existait pas quand il exerçait des fonctions de haut niveau au « Nouvel Obs » (de 1968 à 1996).

Ce serait tout à son honneur de reconnaître son erreur, comme le fit le professeur Umberto Eco. Il avait reconnu s’être moqué de l’espéranto jusqu’au jour où, pour la préparation d’un cours au Collège de France sur le thème de la recherche de la langue parfaite (qui a fait l’objet d’un ouvrage publié en 1994 dans la collection « Faire l’Europe » du Seuil), il a reconnu que l’espéranto méritait d’être pris en considération. Le professeur Robert Phillipson, un ancien du British Council, auteur de « Linguistic Imperialism » et de « English-only Europe ? » (Oxford University Press, publiés respectivement en 1992 et 2002), aujourd’hui professeur d’anglais à la Copenhagen Business School, a pu déclarer, après avoir participé comme observateur au congrès universel d’espéranto de Prague, en 1996 : “Le cynisme autour de l’espéranto a fait partie de notre éducation”.

De la même façon, Bénichou pourrait reconnaître que cette erreur d’appréciation, selon laquelle l’espéranto n’aurait pas marché, lui a été inculquée par son cadre de vie. Alors tout ce qui a été dit de vraiment pas gentil à propos de son comportement s’effacera. Et plutôt que de donner aux jeunes, dans le but évident de les détourner de l’envie d’en savoir plus, un avis totalement faux sur l’histoire, l’évolution et la situation actuelle de l’espéranto, il a la possibilité de leur dire : « Ne faites pas comme moi. Je me suis fié à l’avis de personnes qui n’en savaient pas plus que moi, qui tenaient leur avis de personnes qui avaient elles-mêmes eu un avis du même tonneau. »

Personnellement, je ne lui demande pas des excuses, mais rien de plus que le rétablissement public de la vérité établie sur des faits.

En ce qui concerne les remarques de Wàng sur l’anglais, j’ajouterai qu’un ami, Claude Roux, chercheur au CNRS, avait subi des pressions énormes pour publier ses travaux en anglais. Sa lutte contre cette pression, pour ne pas dire cette oppression, avait fait l’objet d’un long article dans « Le Monde » du 25 mars 1992. Claude Roux n’a pas cédé et il a tout de même obtenu, malgré deux rejets successifs, un poste de directeur de recherches au CNRS, alors qu’on lui avait dit : « Votre dossier est très bon, mais vous n’aviez aucune chance d’être retenu car vous n’avez pas publié en anglais ». Il semble utile d’ajouter que - ce que ne disait par un grand nom du journalisme, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz - Claude Roux avait publié, en 1985, un énorme ouvrage de lichénologie en espéranto et qu’il a été réédité plusieurs fois. Ceci m’amène à dire que le courage est payant. L’à-plat-ventrisme n’a jamais suscité l’estime. Si l’espéranto s’est hissé au niveau de 15ème langue de l’encyclopédie libre réticulaire « Wikipedia » et s’il dépasse bien d’autres langues dans bien des domaines, il le doit à des gens qui ont trouvé l’idée géniale et qui se sont efforcés de l’enrichir, de combler des lacunes, par exemple par un travail de terminologie, et non à ceux qui, d’un air narquois, parlent de 250 000 mots de l’anglais alors que le vocabulaire usuel d’un citoyen de bon niveau culturel n’atteint pas le dixième de ce vocabulaire. A quoi bon 250 000, par rapport à l’espéranto qui, grâce à son système d’agglutination nettement plus productif qu’en anglais, avec les 16 780 entrées de la dernière édition du « PIV » (Plena Ilustrita Vortaro de Esperanto, édité par SAT, Paris) multiplie ce nombre par 4, 5, 6 ou même 10 et plus selon les mots. Et ceci sans compter que 21 870 significations ont été dénombrées pour les 850 mots de base du vocabulaire anglais !!!

C’est assez amusant de voir quelqu’un dont le pseudonyme - anglais, bien sûr ! - se traduit par « explorateur », comparer le nombre de participants d’événements sportifs mondiaux, pour lesquels il y a un battage médiatique phénoménal et continuel, ceci avec tout l’argent qu’il y a derrière ça, pour lesquels il y a un véritable conditionnement, et un congrès d’espéranto où l’on ne se rend pas essentiellement pour le tourisme et le divertissement. Les congrès, ce sont des séances plénières, des groupes de travail. C’est la même chose que pour les congrès scientifiques ou spécialisés. La comparaison est débile et du niveau d’une personne qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez et qui, de plus, part de l’idée qu’elle doit dire non et qui se cherche ensuite des raisons, n’importe quelles raisons, pour se justifier. On voit le résultat !

Voici quelques années, un étudiant iranien m’avait contacté sur recommandation d’un éminent sociologue et espérantiste de l’université de Téhéran. Il était venu en France (il est aujourd’hui en Suède) pour perfectionner son français à la Sorbonne. Il m’avait écrit : “L’espéranto est une planche de salut. Il est très facile et, aussi, précis. Il m’a été possible d’écrire des articles pas trop mauvais après 5 mois d’étude de l’espéranto, ce que je ne peux pas faire après 15 années d’anglais.”

Les espérantistes ont souvent été complexés du fait des critiques humiliantes et même blessantes qui ont été dirigées contre eux et contre la langue qu’ils ont découvert souvent par hasard, rarement par l’enseignement public ou privé, ou par les médias (Vive Internet et AgoraVox ! smiley J’ai moi-même commencé à l’étudier pour ainsi dire en cachette afin de me forger un avis, car l’idée me paraissait foncièrement bonne, même si j’éprouvais un certain scepticisme du fait que tous les avis que j’avais eus autour de moi laissaient penser que cette langue appartenait au passé. Si je ne l’avais pas appris, si je n’avais, pas étudié son histoire et son évolution, et surtout pratiqué, je serais probablement de l’avis de ceux qui ne voient pas de salut en dehors de l’anglais.

Si j’avais voulu parler la langue de chacun des locuteurs avec lesquels j’ai eu des échanges oraux ou écrits, il m’aurait fallu en apprendre pas moins de cinquante. Je connais personnellement quelqu’un qui a été amené, durant sa carrière de fonctionnaire international, à l’Onu et ses agences, à parler, écrire et traduire pas moins de 50 langues, dont l’espéranto, qui a été l’une des premières langues apprises durant sa jeunesse. C’est Georges Kersaudy, l’auteur de « Langues sans frontières » (éd. Autrement), dans lequel il présente et décrit 29 langues de l’Europe, dont l’espéranto. Après la parution de ce livre et après avoir fait la connaissance de son auteur, j’avais suggéré à Laurent Ruquier de l’inviter, car Gorges Kersaudy a eu une vie vraiment extraordinaire. Il avait un tel don pour raconter des anecdotes, souvent amusantes et drôles sur ce qu’il a vécu, qu’il aurait eu sa place dans une émission de divertissement. Malheureusement, en raison de son âge et de son état de santé, on peut craindre que ce ne soit plus possible. Georges Kersaudy a en effet été amené à traduire, parfois même à interpréter, ce qui est une tâche autrement plus difficile, des entretiens avec des personnages tels que Bokassa et même Staline. Dommage qu’une telle occasion ait été manquée...

Je trouve ce dérapage de l’émission de Laurent Ruquier particulièrement regrettable car je pense que c’est un éternel blagueur, un amoureux des jeux de mots, des mots d’esprit, avec des réparties fulgurantes, souvent très adroites, mais je ne sens pas en lui un penchant maladif à blesser, souiller, humilier. Après avoir cité Jean-Pierre Mocky, il avait ajouté un commentaire irréprochable que l’intervention de Bénichou a fait déboucher au niveau de la cuvette des toilettes : « Et c’est vrai, il y a peu de sujets dont on est capable de parler tous ensemble, quels que soient les niveaux sociaux, les niveaux de culture, les niveaux... ». Et dans la suite de l’émission, puis dans la seconde, le niveau est resté pitoyable. Le seul qui ait été propre dans l’affaire a été Mustafa qui a tout simplement reconnu ne rien savoir de la question et a préféré ne pas se prononcer.

Un ami espérantiste vient juste de me transmettre des articles de médias anglophones, l’un sous le titre « Bad English, bad education », comme quoi la propagande dit que l’anglais est déjà international mais que la réalité démontre le contraire, vu que les enseignants eux-mêmes ne le maîtrisent pas (Journal Group of Publications) : http://www.journal.com.ph/index.php?page=news&id=6468&sid=1&urldate=2006-07-09

http://www.smh.com.au/news/national/concern-at-how-top-post-for-english-was-decided/2006/07/08/1152240535852.html The Sidney Morning Herald (Australie) « Concern at how top post for English was decided », comme quoi une bonne connaissance de l’anglais ne suffit pas : il faut de l’expérience sur le sujet à enseigner (source originale : « The Sun Herald »)

http://www.humaneventsonline.com/article.php?id=15879 (États-Unis) Foreign Language Ballots Cause a Rebellion « Human Events » 03-07-2006 (...) « To any extent that it is true that we have large numbers of native-born Americans who don’t speak English, this means that immigrants are not assimilating into the American culture but instead are keeping their native tongue into the second and third generations. »

Recollez les adresses si nécessaire. A part ça, les espérantistes n’ont pas les yeux en face des trous et ne sont pas au courant de la situation linguistique mondiale ! smiley)))


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