Lakhdar Brahimi parle de la guerre contre le Liban « Le Conseil de sécurité s’est discrédité » Lakhdar Brahimi a sillonné le monde et réglé bien des conflits. Il était Monsieur paix à l’ONU. Il ne mâche pas ses mots lorsqu’il évoque la guerre menée contre le Liban.
Il aborde dans cet entretien exclusif accordé à El Watan la situation d’injustice, le Hezbollah, l’Etat libanais qu’il connaît parfaitement pour avoir contribué sinon conçu les accords interlibanais de Taef, mettant fin à près de 15 années de guerre civile. Il parle aussi de la démocratisation des relations internationales. Selon lui, les Arabes ont raison de dire que le processus de paix dans sa forme ancienne a été tué par Israël et par l’attitude des Etats-Unis. M. Brahimi soutient également que le Conseil de sécurité de l’ONU, en se montrant incapable d’appeler à un cessez-le-feu, s’est discrédité.
Ce mercredi se tient à Rome une conférence sur la Liban. Ne serait-ce pas une réunion de trop ?
Non, ce n’est pas une réunion de trop, mais une guerre de trop. Cette réunion aura globalement trois tendances. La première est représentée par les pays arabes et le secrétaire général de l’ONU qui vont demander un arrêt immédiat des combats. La deuxième, quant à elle, sera composée essentiellement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne qui vont probablement dire oui à un cessez-le-feu, mais avec d’abord une solution politique. Pour le troisième groupe, il s’agira d’aider le peuple libanais sur le plan humanitaire. Ce n’est donc pas une réunion de trop. Les agressions israéliennes contre le Liban se répètent presque à intervalles réguliers. 1978, 1982, 1996 et celle en cours actuellement.
Pourquoi, selon vous ?
Le Liban a toujours été considéré comme un pays d’argent, où les gens aiment s’amuser. Il n’a jamais été considéré comme un pays militant. Mais la vérité est autre. Ce pays a combattu efficacement contre Israël. C’est le seul à avoir été envahi et occupé. Mais c’est le seul à avoir amené Israël à demander à l’ONU de l’aider à partir. C’est Israël qui a demandé à l’ONU de l’aider à appliquer la résolution 425 de 1978 du Conseil de sécurité demandant un retrait immédiat et sans condition d’Israël du Liban. C’est grâce à la résistance et à la persévérance des Libanais.
Mais cette résolution est-elle pleinement appliquée, selon vous, car le Hezbollah et l’Etat libanais demandent le retrait israélien du territoire libanais ?
La résolution 425 traite des territoires libanais occupés en 1978, alors que la zone des Fermes de Chabaa a été occupée en 1967. C’est ce que laissent entendre les initiateurs de la résolution 1559 qui demande le départ des troupes étrangères et le désarmement des milices. La résolution que vous citez parle de deux choses. D’abord, le départ des troupes étrangères, et cela vise l’armée syrienne, et ensuite la possibilité pour l’Etat libanais d’étendre son autorité sur l’ensemble de son territoire. Je ne vois pas pourquoi Israël s’octroie le droit d’appliquer une résolution de l’ONU. D’autre part, il est tellement regrettable que la Syrie ait tant tardé à retirer ses troupes du Liban. Les accords de Taef de 1989 n’ont pas établi de calendrier de retrait, mais celui-ci devait commencer une année plus tard. Elle a quitté le Liban après la mort de Rafic Hariri. D’autre part, le Hezbollah est un parti politique qui siège au Parlement et au gouvernement. Il aura sûrement à cœur de voir l’Etat libanais auquel il contribue, respecté et se faire respecter. L’un des attributs de l’Etat est le monopole de l’utilisation de la force. Sa démilitarisation est donc inscrite dans l’ordre normal des choses au Liban. Mais rien ne justifie la destruction du Liban par Israël. L’enlèvement des deux soldats aurait pu être réglé autrement. Mais les Israéliens sont mal placés pour parler de respect des frontières. Pourquoi toutes ces destructions. Et sachez que les routes qui n’ont pas été détruites ont été minées.
Vous avez dit que le Conseil de sécurité s’est disqualifié, mais faut-il accabler cette instance ou s’en prendre aux Etats membres de l’ONU ?
Non, il s’est discrédité. Un seul pays l’empêche de faire son travail, mais les autres devraient élever un peu la voix. Ils n’avaient qu’à produire un texte et aller vers le veto, comme cela la majorité se serait réellement exprimé. C’est la première fois en 60 ans qu’en quinze jours de guerre que le Conseil de sécurité n’arrive pas à lancer un appel au cessez le feu.
A quoi est due cette paralysie ?
Elle est due à l’attitude des Etats-Unis. Ceux-ci croient, et ils le disent, qu’ils mènent la guerre contre le terrorisme. Mais je crains que cela ne produise l’effet inverse. Le monde leur a manifesté sa sympathie après les attentats du 11 septembre 2001. Mais quand ils disent qu’ils soutiennent Israël en Palestine et au Liban, cela pose problème. Ils doivent méditer cette réalité. Leur soutien inconditionnel à Israël va renforcer leurs ennemis.
L’Arabie Saoudite vient de lancer une sévère mise en garde. Qu’en pensez-vous ?
Les Saoudiens ont tenu à tirer la sonnette d’alarme. En Irak, la situation glisse vers la guerre entre chiites et sunnites. C’est tout à fait normal que nous soyons préoccupés et que nous disions notre préoccupation par rapport à ce danger. Certains ne voient le Hezbollah que sous l’angle de sa représentation de la communauté chiite libanaise, mais cela est faux. Ne nous laissons pas entraîner par cette guerre confessionnelle.
Mais si l’ONU est paralysée, que peut donc le monde arabe qui a renvoyé à cette organisation le règlement de la crise du Proche-Orient ?
Les Arabes ont raison de dire que le processus de paix dans sa forme ancienne a été tué par Israël et par l’attitude des Etats-Unis. Il est regrettable que l’ONU ait accepté les décisions du Quartette (sur le Proche-Orient, composé aussi des Etats-Unis, de la Russie et de l’Union européenne, ndlr), elle qui n’a jamais considéré le Hamas comme un mouvement terroriste. Savez-vous qu’on ne peut plus envoyer d’argent aux Palestiniens ? C’est un peu trop.
Que vous inspire l’état actuel du monde arabe ?
Je dis à nos jeunes qu’il faut regarder vers l’Est. C’est là qu’on peut trouver des sources d’espoir. Regardez vers l’Inde, la Malaisie, la Thaïlande et la Corée du Sud. Le monde arabe et l’Afrique sont à la traîne. L’Amérique latine, l’Asie et l’ancienne Europe de l’Est ont fait des progrès remarquables. Je n’aime pas utiliser le mot réforme, mais dans nos pays, il y a un problème d’organisation. Il faut établir des règles du jeu pour que l’individu et la collectivité puissent s’exprimer et qu’ils puissent s’épanouir.
Vous n’aimez pas le mot réforme, mais vous êtes l’auteur de propositions pour une réforme de l’ONU. Croyez-vous que celle-ci soit possible ?
Les Etats-Unis et l’Europe n’ont plus le droit de parler des droits de l’homme et de démocratie. Une grande puissance qui dit qu’il faut faire tomber un gouvernement élu et laisser détruire un pays, s’est disqualifiée. C’est le droit de la force contre la force du droit. Kofi Annan (le secrétaire général de l’ONU) a eu une formule polie en disant que les pays qui ont l’Etat de droit chez eux devraient accepter sur le plan international la force du droit, et que ceux qui appellent à la démocratisation des relations internationales devraient appliquer chez eux l’Etat de droit.
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