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jean-pierre castel 15 février 2016 10:50

 @Socrate

Merci à Socrate pour cette remarquable contribution.

Ce que j’ai voulu dénoncer c’est le mensonge de l’origine païenne de l’antisémitisme, alors que cette origine est chrétienne. Je reviendrai in fine sur la question : le nazisme, une pensée chrétienne ?

La distinction entre antijudaïsme et antisémitisme n’a de sens que si on définit l’antijudaïsme comme une critique de la religion juive, qui relève du débat d’idée, légitime, et l’antisémitisme comme une haine des personnes, du fait de leur seule appartenance au judaïsme. Dès lors, l’accusation de « peuple déicide », les imprécations d’un Jean Chrysostome, l’approbation par Saint Ambroise de l’incendie de la synagogue de Callinicum, la question d’un Pierre le Vénérable "les juifs ont-ils une âme ?", l’Inquisition espagnole contre les  juifs et les marranes, jusqu’à la position de l’Eglise dans l’affaire Dreyfus, relèvent bien de la haine des personnes, donc de l’antisémitisme. Son origine chrétienne est encore attestée par le fait que les communautés juives dans la Rome pré-chrétienne, en Inde ou en Chine n’ont rien connu de semblable à la récurrence et à la justification théologique des violences antisémites européennes.A noter que ’antisémitisme a existé en terre musulmane, mais à un degré moindre qu’en terre chrétienne, du moins avant la création de l’état d’Israël.

La thèse racialiste de l’antisémitisme élaborée au XIXème siècle n’est qu’un habillage pseudo-scientifique, qui ne change rien à l’origine de cette haine, qui remonte à l’accusation de peuple déicide. Affirmer le contraire suppose d’abord d’adhérer à une définition raciale du judaïsme, et ensuite d’expliquer pourquoi cette « race »  a été l’objet de plus de haine que toute autre. Le fait que le christianisme ne soit pas (en général) raciste ne l’a aucunement empêché de développer l’antisémitisme. Quant à affirmer que l’Eglise n’a jamais cautionné de tes actes, c’est oublier rien moins que Callinicum, l’Inquisition, et encore récemment la volonté de Jean-Paul II de canoniser Isabelle la Catholique, la reine qui a installé l’Inquisition espagnole et expulsé les Juifs.

A noter que si Bernard de Clairvaux a sans doute milité pour le respect des Juifs, il fut moins tendre pour les et païens et les musulmans : "Le chrétien se fait gloire de la mort d’un païen, parce que le Christ lui-même en est glorifié« , »Il est bon que vous marchiez contre les Ismaélites". Diriez-vous qu’il n’était qu’une « parodie de chrétien » ?

Le nazisme a certes repris les critique de Nietzsche contre le christianisme. Le cas de Nietzsche illustre précisément l’opposition ci-dessus entre antijudaïste –ce qu’était Nietzsche - et antisémite – ce qu’il n’était pas. Hitler était peut-être nietzschéen, mais ni antichrétien, ni athée. Esprit peu religieux, c’était d’abord un politique, et ses rapports avec l’Eglise ont été des rapports de force politiques.

Vous affirmez que le « christianisme positif », cette « parodie d’Eglise », aurait été le seul christianisme acceptable aux yeux des nazis. Oubliez-vous le Concordat ? Qualifieriez-vous également de "parodie d’Eglise" l’Eglise qui signa avec Mussolini, qui supporta Franco, Salazar ou Pinochet ? Quant à « Mit Brennender Sorge », elle condamne d’autant moins l’antisémitisme qu’elle reprend l’accusation de peuple déicide : "[Le] Christ […] a reçu son humaine nature d’un peuple qui devait le crucifier." (Mit Brennender Sorge, § 19).

Vous dites en conclusion qu’on ne peut attribuer au nazisme une quelconque origine catholique, au sens doctrinal du terme. Tout dépend ce que vous mettez dans la doctrine. Vérité unique, peuple élu, messianisme, refus du pluralisme, parti unique, centralisme, diabolisation de l’ennemi, police de la pensée, etc. : autant de paradigmes inventés par la tradition judéo-chrétienne (je serais très intéressé si vous pouvez les trouver dans une religion antérieure à cette tradition) et qui feront l’armature des régimes totalitaires. Les idéologies totalitaires ne sont certainement pas chrétiennes, mais de filiation chrétienne, comme l’ont développé les tenants de la thèse des "religions séculières", de Raymond Aron à Jacques Pous, en passant par nombre d’anciens communistes.

Il ne faut confondre lion et antilope dites-vous :

Lion ou antilope Pie XI se félicitant de trouver en Hitler "le premier et le seul homme d’état à avoir […] condamné et combattu le communisme" [1] ?

Lion ou antilope les évêques allemands adressant à leurs concitoyens une lettre pastorale indiquant : "Le chef suprême et chancelier Adolf Hitler a vu venir de loin l’entrée en ligne du bolchévisme, et il a mis sa réflexion et ses soins à organiser la défense de notre peuple allemand et de l’ensemble de l’Occident face à cet immense danger. La majorité des évêques allemands considéra comme de leur devoir de soutenir par tous leurs moyens la plus haute autorité de l’état dans cette lutte décisive« et implorant »la bénédiction du Ciel pour l’œuvre du Führer" ?

Lion ou antilope le cardinal Bertram déclarant en chaire pour l’anniversaire d’Hitler : "Seul peut mesurer la profondeur de nos soucis celui qui pressent quelle calamité vivrait notre patrie sous la coupe du bolchévisme menaçant, et celui qui connaît la radicalité d’opposition entre le bolchévisme et la religion catholique" ?

Lion ou antilope Escriva de Balaguer (1902-1975), fondateur de l’Opus Dei, béatifié par Jean-Paul II, confirmant : "Hitler contre les Juifs, Hitler contre les slaves, c’était Hitler contre le communisme."[2]  ?

 

 


[1] Allocution papale Iterum vos, 1933, cité dans Pie XI le pape qui ordonna le ralliement à Hitler, F. Desmurs, Ed. Golias, 2008.

[2] Propos rapporté par Vladimir Felzmann, ancien membre de l’Opus, in La troublante ascension de l’Opus Dei, François Normand, Le Monde Diplomatique, 09.1995.


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