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Morpheus Morpheus 28 avril 2013 15:29

Comme je l’ai écris dans mon dernier article (qui parle également d’un projet visant à changer la civilisation en faisant appel à la méthode scientifique et à la technologie - mais qui n’a RIEN à voir avec le mouvement transhumaniste), je suis méfiant vis-à-vis du scientisme. Je tiens à dire que, comme beaucoup de monde, ma première réaction face au Projet Venus (qui n’a rien à voir, je le répète, avec les délires transhumanistes !) a été celle de la déception : « quoi ? la solution à nos problèmes, c’est la science ? c’est une blague ou quoi ? » Telle fut ma première réaction. Et c’est bien naturel, considérant que, comme l’a très justement écrit Matthieu Ricard dans L’infini dans la paume de la main :

« Certains considèrent que la prétention de la science à tout connaître sur tout est illusoire : la science est fondamentalement limitée par le domaine d’étude qu’elle a elle-même défini. Et si la technologie a apporté d’immenses bienfaits, elle a engendré des ravages au moins aussi importants. De plus, la science n’a rien à dire sur la manière de conduire sa vie. (...) S’adonner pendant des siècles à l’étude et à la recherche ne nous fait pas progresser d’un pouce vers une meilleure qualité d’être, à moins que nous décidions de porter spécifiquement nos efforts en ce sens. »

Ce que dit Matthieu Ricard est pétri de bon sens, toutefois, son observation néglige un aspect important : il juge l’impact de la science sur nos vies et notre environnement à l’aune de la société dans laquelle nous vivons. Or, la science n’est pas la cause de ses propres dérives : ce sont les choix et les orientations des humains d’utiliser les sciences et les connaissances techniques et scientifiques d’une certaine façon et avec certains objectifs (parfois peu glorieux et cachés) qui sont en cause.

Il n’est pas difficile de comprendre que bon nombre de calamités engendrées par des technologies modernes auraient pu être évitées dans un monde qui n’est pas gouverné par le paradigme du profit.

Considérer, dès lors, que c’est la science en soi qui est la cause de ces calamités est erroné. Cet aspect bien compris, il devient facile de comprendre notre propre réaction face à la science, et comprendre que nous sommes trompé par notre propre jugement (comme je le dis parfois « le discernement éclaire ce que nos jugements obscurcissent »).

Dans ce que dit Matthieu Ricard, il ne faut donc surtout pas négliger le passage (...) à moins que nous décidions de porter spécifiquement nos efforts en ce sens.

Ayant compris cela, et tout en restant attentif et méfiant — non pas vis-à-vis des sciences en elles-mêmes, mais des hommes qui les utilisent et des motivations qui les animent —, je peux dépasser ma première (mauvaise) impression. J’envisage dès lors les sciences et la technologie sous un nouvel angle. Je l’imagine dans un contexte socioculturel non plus anxiogène, ou règne la pénurie donc la compétition, la cupidité et la violence, mais dans un contexte socioculturel bienveillant, ou règne l’abondance et l’entraide mutuelle, et où le profit, la cupidité et l’avidité n’ont plus de sens.

Je reste méfiant vis-à-vis des scientifiques, mais ma méfiance demeure pondérée, car je comprends que les scientifiques ne sont pas intrinsèquement fous ou malveillants. Eux aussi agissent en fonction de leur environnement socioculturel. Par conséquent, l’orientation qu’ils vont donner à leurs recherches et leur savoir est fonction de cet environnement socioculturel.

Il n’est pas étonnant que des milliers de scientifiques et des millions d’ingénieurs dans le monde contribuent à divers degrés aux innombrables causes de catastrophes : ils sont utilisés et requis par un système tourné vers le profit, et ils n’en sont que les petites mains. Ils s’adaptent, comme n’importe qui, à leur environnement. Ils se vendent, tout comme la plupart d’entre nous, à ceux qui leur offrent le plus, qu’il s’agisse d’argent, de renommée, de statut social ou d’opportunité de développer leurs recherches. Ils ne sont pas différents d’un politicien, d’un fonctionnaire ou de n’importe qui.

Le point crucial, c’est donc l’environnement socioculturel, et donc, en définitive, les croyances qui sont véhiculées (notons au passage que croyances = opinions - du latin opinio, -onis « croyances »). Il est difficile de faire évoluer les croyances des gens car, comme le dit je ne sais plus qui « l’Homme est un animal religieux » : ce qu’il recherche, par facilité, ce n’est pas la connaissance, mais la certitude. Il veut être rassuré. Donc, les humains ont tendance à s’accrocher à leurs croyances (opinions).

Selon mes observations, le mouvement transhumaniste est une conséquence, une dérive logique de la perversion intrinsèquement contenue dans le modèle d’économie monétisée (créée à l’origine pour gérer la pénurie et non générer l’abondance) fondée sur le profit, et qui engendre inévitablement la compétition, la concurrence, les avantages différentiels, la malveillance, les inégalités et la structure hiérarchisée de la société. Cette société génère fatalement son lot de folies, de dérangements, de déséquilibres physiologique, psychiques et psychologiques.

Le transhumanisme n’est rien d’autre qu’un des symptômes délirants de la pathologie sociale de notre système. Une folie. Et ce qu’elle a d’inquiétant, c’est qu’elle engendre une réaction (logique) de rejet de « la science », parce que la fibre humaine en nous se rebelle contre ces dérives et perçoit bien - même intuitivement, qu’il y a là folie, excès, déraison et danger.

Prenons donc garde d’analyser ce phénomène avec discernement et de ne pas nous laisser entraîner dans une confusion de principe qui nous ferait rejeter en bloc un ensemble de connaissances et de techniques qui - en elle-mêmes - ne sont que des outils. Soyons attentifs à ce que ces outils soient utilisés par et pour de bonnes causes, par et pour de nobles objectifs, par et pour des personnes responsables et réellement progressistes.

Les sciences en elles-mêmes ne sont pas notre ennemi, ce sont les orientations qui découlent de choix orientés par une logique de profit et de compétition qui sont le véritable danger. L’un de nos principaux problèmes, pour pouvoir correctement analyser ce genre de problèmes, c’est notre illettrisme scientifique.

Cordialement,
Morpheus


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