Le Point - Publié le 07/10/2013
L’application
de la réforme Peillon vire à la farce. On a testé ce temps d’école
garanti sans école dans une élémentaire parisienne.
« C’est demain, le truc ? Le péri-machin, là, c’est demain ? » Oui, ma
chérie, demain, mardi, c’est TAP - temps d’activité périscolaire. Pas
claquettes, non, ni chorale, ni même ce misérable atelier de recyclage
créatif dont tout le monde aurait fini par se contenter, mais une
heure trente désespérément vide où il faudra, de gré ou de force,
aller dans la cour.
Demain,
c’est « machin », car dans cette école élémentaire parisienne où plus
du quart des élèves n’a pas eu de place aux ateliers, on se serre deux
fois par semaine dans une cour grande comme un mouchoir de poche,
sous la surveillance de dames de cantine appelées à la rescousse et
d’une REV - responsable éducation ville - qui se tord les mains. "Ils
sont beaucoup, beaucoup trop nombreux. Et quand il pleuvra, comment on
fera ?" Inutile de suggérer une étude pour qu’ils aient au moins
bouclé leurs devoirs, ni même cette fameuse aide personnalisée pour
élèves en difficulté prise d’ordinaire sur leur temps de cantine.
C’est du TAP, vous répète la REV, du Pé-RI-scolaire : du temps d’école
garanti sans école, il faut être ministre pour inventer ça.
Sans échiquiers
Allez,
c’est peu dire qu’elle se démène, cette REV, constamment pendue au
téléphone avec la cellule de crise de la mairie ; seulement voilà, sept
des associations sportives et culturelles qui étaient enrôlées ne se
sont pas présentées au début de l’année, il a donc fallu dans une
cacophonie sans nom réattribuer d’une semaine à l’autre les ateliers aux
élèves dont la mine s’est peu à peu allongée. L’association d’échecs
est venue... sans échiquiers, on a donc fait, croyez-le ou non, du
basket. À l’atelier judicieusement rebaptisé « les mots de la danse », on
parle danse, certes, mais on n’en fait pas. Victor, qui se rêvait en
Gene Kelly, a hérité de l’atelier modelage mais est verni comparé à
Laura, larguée dans un mystérieux atelier égalité filles/garçons qui n’a
pourtant été annoncé nulle part. À tout prendre, la cour, après
tout... Mais non, ça y est, votre fille est prise une fois par semaine
au « théâtre », elle qui n’en voulait pas, et sa copine échappe de
justesse à l’égalité des sexes, finalement réservée aux CP/CE1.
Dans
cette maison de fous qu’est devenue cette petite école jadis
formidablement tenue, le directeur rase les murs, alpagué en permanence
par des parents qui n’y comprennent goutte et auxquels il s’épuise à
expliquer qu’il n’y comprend goutte... non plus. Et, surtout, surtout,
qu’il n’est pas responsable.
Les maîtres ne savent rien
C’est
d’ailleurs tout l’absurde de cette réforme : il se passe désormais
des choses au sein de l’école dont ni les directions ni les maîtres ne
savent rien. Cette institutrice de moyenne section jure ainsi qu’elle
n’a pas la moindre idée de ce que font ses élèves, à 15 heures,
lorsqu’elle est elle-même sommée de quitter la classe. C’est une dame
croisée dans le couloir, trois semaines après la rentrée, qui vous
informe qu’elle leur enseigne... l’anglais. C’est drôle, car cette
gentille dame, dans vos souvenirs, était l’an dernier animatrice de
cantine, d’ailleurs à voir votre tête elle se reprend vite : "Enfin, on
écoute des comptines."
Et puis le niveau sonore, à l’étage
des petites sections... Comme pas un jour de la semaine ne ressemble au
précédent, et que ces petits réveillés de la sieste ne savent jamais
s’ils retrouveront ou non leur maîtresse, ni dans quelle salle on va
les emmener, ni si c’est l’heure du goûter, des mamans, ou du TAP, ils
hurlent comme de mémoire de maîtres ils n’ont jamais hurlé. Allez
courage, demain c’est mercredi. « Y a pas école ? » Si.