Puisque on a eu ici quelques témoignages intéressants je vais y aller du mien.
J’enseignais en collège l’an dernier et j’ai accueilli en 6eme un élève que l’on m’a très rapidement signalé comme relevant de l’autisme Asperger.
Disons tout de suite que je me fous totalement du nom : autiste, asperger, choufleur ou TCNE (trouble cognitif non expliqué, copyrighté par moi) : ce qui compte c’est ce que l’on voit, la caractérisation externe.
Et je retrouve parfaitement les attitudes typiques : sociabilité difficile, moments de mutisme, difficultés à regarder dans les yeux, sortes de tics (je tripote un interrupteur, allumé, éteint, allumé ...), et à côté de cela des capacités intellectuelles évidentes, notamment en mathématiques, ma matière, une discipline très pratique pour étudier certains troubles cognitifs ou du comportement, notamment parce qu’elle comporte des régles très claires et limitant les ambiguïtés (beaucoup de dyslexiques sont bons, voire excellents en maths, bref).
Donc heureusement que j’ai été prévenu très tôt car c’est quand même très complexe à gérer ; pour une fois l’administration a bien fait son boulot, en tout cas la seule chose qu’elle sait faire, transmettre des formulaires qui ne serviront à rien.
La manière dont l’E.N. gère tous ces « troubles des apprentissages » est scandaleuse, mais c’est un autre sujet qui prendrait des pages.
L’autiste en question, pour qui ça se passait assez mal en primaire, a une chance énorme : les parents très organisés et d’une éducation élevée (le père est également Asperger, niveau de qualification élevée), la classe de 6eme dans laquelle il a atterri était extrêmement tolérante et éduquée, l’équipe éducative briefée à temps.
ça a été un peu délicat les premiers mois mais malgré quelques incidents et angoisses l’année c’est bien passée.
Un cas très encourageant ... mais c’est maigre pour faire des stats.
Et là pour les courageux lecteurs qui n’ont pas zappé le message j’en viens à cette anecdote qui montre qu’un Asperger ça peut donner des instants magiques comme n’importe quel enfant.
Pendant une interro de maths l’autiste ne fait rien les premières minutes. Je passe à côté lui, je le laisse tranquille, je ne dis rien parce qu’il fait habituellement le travail et j’ai pris l’habitude de ces absences.
10 minutes passent ... toujours rien, pas un caractère sur la copie.
Je viens le voir et je m’adresse à lui :
- qu’est-ce que tu fais ? si tu traines tu vas manquer de temps.
Il me regarde sans s’inquiéter puis, calmement il commence l’interro.
Il n’a pas eu le temps de finir mais au final il a eu une note correcte. Sur l’année ça c’est bien passé ; il peut-être même brillant, très difficile à analyser.
A la fin de l’heure quand les élèves quittent la salle, je lui demande de venir me voir.
Je le questionne, sur un ton un peu réprobateur : pourquoi il n’a pas commencé l’interro en même temps que tout le monde et je lui dis que je l’ai vu parler avec son voisin.
L’autiste m’explique, très calmement, qu’il avait « expliqué » l’interro à son voisin ; en fait il donnait les réponses de l’interro à son voisin (un élève « en difficulté ») .
De toutes manières, pour l’autiste les notes semblaient de peu d’intérêt.
Des moments comme ça j’en rencontre pas souvent.
L’autiste avait passé un bon moment je pense et puis moi j’ai trouvé ce moment empli de cette poésie rare qui donne l’impression que c’est beau d’enseigner.
Il y a peu d’élèves que j’ai vu capables d’une telle originalité positive, brisant tous les codes logiques sans pourtant être en faute.
ça change des crises d’adolescences tellement normales et insupportables, chargées de mesquinerie et de méchanceté.
Putain il est tard !