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NEMROD34 NEMROD34 27 mars 2009 19:48

 

Taguieff : « Le Web favorise la diffusion massive des pires délires »
Insolite. L’idée d’une apocalypse en 2012 ne s’arrête pas aux Mayas et lorgne du côté des théories d’un complot mondial. Le philosophe Pierre-André Taguieff revient pour ParisMatch.com sur la puissance nocive de ses idées.


Propos recueillis par Antoine Bayle

Paris Match : Avez-vous suivi ces rumeurs sur Internet concernant l’Apocalypse en décembre 2012 ?
Pierre-André Taguieff* : Depuis les recherches que j’ai entreprises pour la rédaction de mon livre La Foire aux Illuminés (2005), suivi par L’Imaginaire du complot mondial (2006), je n’ai cessé de suivre les avatars des rumeurs et des mythes conspirationnistes sur les sites Internet spécialisés. M’intéressant parallèlement aux prophéties catastrophistes de la « fin du monde » et au retour dans la culture médiatique du thème de la « fin des civilisations » (le succès du livre important de Jared Diamond** en témoigne ), ainsi qu’au rajeunissement récent de la mentalité apocalytique (notamment dans l’islamisme radical), je suis inévitablement tombé sur les multiples références qu’on trouve sur le web au livre de Lawrence E. Joseph, Apocalypse 2012 [éd. Michel Lafon]. Ouvrage assurément attrayant pour le lecteur pressé, à l’exigence de rigueur plutôt faible, que ce mélange savamment dosé de croyances religieuses sélectionnées, d’extraits de diverses numérologies traditionnelles, de prophéties plus ou moins fantaisistes et d’inquiétudes nourries par les résultats habilement simplifiés de certaines recherches scientifiques. On se trouve devant un discours-éponge, qui aspire n’importe quel élément susceptible de conforter la prophétie attribuée aux Mayas. Toute la pseudo-démonstration repose sur un sophisme, qui consiste à transformer la moindre coïncidence en preuve décisive ou en argument d’appoint. Mais comment prendre au sérieux un auteur qui affirme sans plaisanter que les Mayas « avaient tout prévu depuis deux millénaires » ? Ce qui caractérise les récits qui circulent sur le Web, mariant l’ésotérisme, le prophétisme religieux, la science-fiction et les thèmes conspirationnistes, c’est que le vrai et le faux, le probable et l’improbable, y sont mélangés. Or, comme le disait Paul Valéry, « le mélange du vrai et du faux est plus faux que le faux. »

Comment passe-t-on d’une prophétie d’apocalypse prêtée aux Mayas à un complot mondial qui viserait à cacher cette date fatidique ?
Notons d’abord que, dans la culture ésotérico-complotiste contemporaine, tout mène à tout. Ensuite que la dénonciation d’un complot pour étouffer ce qui est présenté comme une vérité ou une prophétie permet de dramatiser les enjeux de la « révélation ». Le raisonnement est simple : s’il y a complot pour empêcher la diffusion de la prophétie d’apocalypse, c’est bien la preuve que celle-ci est aussi sérieuse que troublante. En outre, si le complot est mondial, s’il est donc un mégacomplot, c’est que des puissances occultes se sont concertées pour dissimuler la terrible mauvaise nouvelle d’une « fin du monde » ou de la « fin d’un monde » (le nôtre) dont la date est proche. On suggère par là que les « maîtres du monde » veulent cacher scandaleusement aux humains ordinaires une information qui les concerne pourtant au premier chef, mais qui risquerait de provoquer un affolement général. La pseudo-explication par le mégacomplot renforce ainsi l’impression qu’il s’agit d’une affaire extrêmement sérieuse.

Comment définir les idées conspirationnistes ?
Les croyances conspirationnistes sont fondées sur quatre principes : 1° Rien n’arrive par accident, donc toute coïncidence est significative et a valeur de révélation ; 2° tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées. Mais ce sont les intentions mauvaises qui intéressent les esprits conspirationnistes, voués à privilégier les événements malheureux, les bouleversements, les catastrophes ; 3° Rien n’est tel qu’il paraît être. Tout se passe dans les coulisses de l’Histoire ; 4° Tout est lié, mais de façon occulte. La thématique conspirationniste est un produit dérivé de la légende des Illuminés, fabriquée par l’abbé Barruel à la fin du XVIIIe siècle, et du mythe du complot juif mondial, véhiculé par le plus célèbre faux de l’histoire occidentale : les Protocoles des Sages de Sion. Or ce faux, destiné à révéler le grand complot « judéo-maçonnique » menaçant la civilisation chrétienne, fonctionne aujourd’hui, plus d’un siècle après sa première publication en Russie (1903), comme moyen privilégié de dénoncer le grand complot « américano-sioniste », incarnant le mauvais Occident dans l’esprit des nouveaux ennemis de ce dernier. Le mythe du complot mondial s’est reformulé autour de la diabolisation de l’Occident judéo-chrétien, dont les dirigeants occultes sont accusés d’être coupables des malheurs de tous les peuples.

Quels sont les types de grands complots qui circulent aujourd’hui sur Internet ?
Il faut peut distinguer deux grands types de mégacomplots fictifs : 1° ceux qui sont attribués à des minorités actives, qu’elles soient déviantes, subversives ou révolutionnaires (sur le modèle du complot communiste) ; 2° ceux qui sont attribués aux élites dirigeantes, ou censés être organisés par des conspirateurs appartenant au pouvoir en place ou à une grande puissance (comme les États-Unis). Les complots fictifs les plus populaires aujourd’hui sont des complots attribués aux « puissants » ou aux « dominants » : capitalistes et financiers, États « impérialistes », hauts dirigeants politiques, clubs transnationaux élitaires et fermés, etc. On aime à se faire peur avec les méfaits supposés des « maîtres secrets » du monde. Dans les sociétés occidentales de l’après-1945, les hantises conspirationnistes visent de plus en plus souvent les États ou les grandes organisations internationales, soupçonnés ou accusés de cacher leurs véritables objectifs, leurs plans secrets, leurs connivences souterraines. Dans l’ordre des micro-complots, ce qui prédomine, c’est la méfiance et le soupçon des citoyens vis-à-vis du gouvernement ou de l’establishment. On connaît le refrain : « Ils nous cachent tout ». C’est croire que les puissances occultes malfaisantes sont parmi nous, comme en témoigne la mythologie américaine très élaborée depuis les années 1950 du « gouvernement secret » (agrémenté en général de CIA) dans le gouvernement officiel.

Quelle est actuellement l’ampleur de la diffusion des idées conspirationnistes qui impliquent notamment les États-Unis ou encore Israël ?
L’Internet se prête tout particulièrement à la dissémination des éléments de la culture conspirationniste, ainsi que des rumeurs et des mythologies contemporaines. Mais il est impossible d’évaluer précisément l’ampleur de leur diffusion, car celle-ci passe autant par les nombreux sites conspirationnistes spécialisés que par l’ensemble informel des sites de tous ordres (politiques, culturels, etc.) où s’exprime l’imaginaire du complot mondial, du type « américano-sioniste », à travers des récits visant à expliquer non moins qu’à épouvanter.

L’exemple de l’« Apocalypse 2012 » et des théories du complot sont-ils symptomatiques d’une époque de troubles ?
La croyance au complot donne l’illusion d’expliquer ou de pouvoir expliquer certains événements paraissant incompréhensibles ou inintelligibles. C’est là sa fonction principale. La grande « utilité » de ce la « théorie du complot » est de répondre à une demande sociale. C’est pourquoi la Révolution française et la Révolution d’octobre, perçues comme inintelligibles par nombre de leurs contemporains, ont été suivies d’une flambée de récits conspirationnistes. Croire au complot, c’est se mettre en mesure de donner du sens à ce qui en paraît dépourvu, et qui inquiète. Or, aujourd’hui, avec l’évolution chaotisante liée à la mondialisation, l’obscurité semble s’accroître avec l’incertitude, laquelle provoque le désarroi et nourrit des angoisses. D’où l’intensification de la demande de sens, et l’extension indéfinie du domaine du complot. Car le soupçon de complot peut se porter sur toutes les formes d’interaction humaine qui, aussi banales soient-elles, font des « perdants » ou des « victimes » : du commerce et de l’industrie à la politique internationale. Mais, bien sûr, ce sont surtout les guerres dévastatrices (telle la guerre d’Irak) et les catastrophes dites naturelles, où l’on soupçonne une responsabilité humaine (pollution, réchauffement climatique), qui nourrissent l’inquiétude des gens, les rendant ainsi perméables aux pseudo-explications conspirationnistes. On se met à répondre d’une façon délirante à la vieille question : « À qui profite le crime ? », et l’on désigne les coupables.

Quel est votre sentiment face à la propagation de ces thèses sur le web ?
S’il ne faut pas diaboliser Internet, dont l’utilité n’est plus à démontrer, il faut bien constater que ce média favorise la diffusion massive des pires délires, qui empoisonnent l’esprit public. Mais Internet n’est pas seul en cause : il fait couple avec la production systématique d’ouvrages destinés à devenir des best-sellers en jouant cyniquement sur les passions les plus basses et les rumeurs les plus folles. Devant le succès international croissant de ces mauvais livres fabriqués par des marchands de fantasmes, et dont les thèmes sont relayés par d’innombrables sites Internet, je suis plutôt pessimiste. Ce ne sont pas les idéaux des Lumières qui ont aujourd’hui le vent en poupe.

*Philosophe et historien des idées, directeur de recherche au CNRS. Prochain livre : La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob ; en librairie le 25 août 2008. 
**Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie [2005], tr. fr. Agnès Botz et Jean-Luc Fidel, Paris, Gallimard, 2006.
 
http://www.blogparanormal.com/2012/2012-activite-soleil-apocalypse-calendrier-maya/
 

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