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En un siècle, la liberté, la démocratie et la civilisation ont été ramenées à l’état d’hypothèses. Tout le travail des dirigeants consiste dorénavant à ménager les conditions matérielles et morales, symboliques et sociales où ces hypothèses sont à peu près validées, à configurer des espaces où elles ont l’air de fonctionner. Tous les moyens sont bons à cette fin, y compris les moins démocratiques, les moins civilisés, les plus sécuritaires. C’est qu’en un siècle la démocratie a régulièrement présidé à la mise au monde des régimes fascistes, que la civilisation n’a cessé de rimer, sur des airs de Wagner ou d’Iron Maiden, avec extermination, et que la liberté prit un jour de 1929 le double visage d’ouvriers qui meurt de faim. On a convenu depuis lors – disons : depuis 1945 – que la manipulation des masses, l’activités des services secrets, la restriction des libertés publiques et l’entière souveraineté des différentes polices appartenaient aux moyens propres à assurer la démocratie, la liberté et la civilisation. Au dernier stade de cette évolution, on a le premier maire socialiste de Paris qui met une dernière main à la pacification urbaine, à l’aménagement policier d’un quartier populaire, et s’explique en mots soigneusement calibrés : « Ici on construit un espace civilisé. » Il n’y a rien à y redire tout à y détruire.
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Extrait : L’insurrection qui vient, La Fabrique Editions