La calculette de l’auteur devrait être changée
Le problème est bien plus compliqué, quand on regarde certaines évolutions
Une autre approche :
La bombe P (comme population) annoncée par le prophète Paul Ehrlich en 1970 n’explosera pas. La population mondiale a franchi le seuil du milliard au milieu du XIXe siècle et celui des 6 milliards en 1999.
Contre toute apparence, elle est en voie de stabilisation rapide.
___En
1969, la Terre comptait 3,6 milliards d’habitants ; aujourd’hui, 40 ans
plus tard, elle en compte 6,8 milliards (+84%) et dans 40 ans, elle en
comptera environ 9,4 selon les estimations de l’ONU. Cet
accroissement à venir peut sembler important en valeur absolue. Il
n’est que de +38%, soit deux fois moins rapide que dans la période
antérieure.Sur les 2,6 milliards
d’hommes supplémentaires qui peupleront la Terre en 2050, 900 millions
seront en Afrique et 1,7 milliard dans le reste du monde, ce qui
correspond pour celui-ci à un accroissement de « seulement »
28%.Les démographes sont à peu près d’accord pour considérer que la
population mondiale ne devrait pas dépasser les 10 milliards à la fin
du siècle. « Mais c’est 3 milliards de gens en plus qui vont réclamer comme les autres de brûler du pétrole et consommer du steak, disent en substance les rapporteurs de l’ONU. Ne
faut-il pas intervenir dès maintenant pour amplifier la baisse de la
natalité, en premier lieu dans les pays riches, qui ont le plus
d’impact sur l’environnement ? »
- Effet d’inertie :Ici intervient un premier principe : l’« inertie démographique »,
qui montre les limites de cette action. Les naissances des 30
prochaines années sont en effet déjà très largement programmées... de
même que les décès !En voici un exemple : l’Algérie
affiche cette année 0,4 décès pour 100 habitants (taux de mortalité)
soit deux fois moins que la France (0,9%) ! Ne croyons pas que le
soleil et la nourriture méditerranéenne entretiennent la santé...
Simplement, les Algériennes, il y a un demi-siècle, faisaient de très
nombreux enfants : plus de 6 en moyenne (c’est ce qu’on appelle l’indice de fécondité).-
Comme l’Algérie n’avait alors que 9 millions d’habitants, le nombre
annuel de naissances n’était jamais que de 270.000 naissances par an
(soit un taux de natalité de 3% par an).- La population algérienne
dépasse aujourd’hui les 35 millions d’habitants tandis qu’arrivent à la
fin de leur vie les générations peu nombreuses nées du temps où
l’Algérie était peu peuplée.De là ce taux de mortalité très bas (nombre
de décès actuels / population actuelle).Depuis
une vingtaine d’années, les Algériennes ont vu leur indice de fécondité
chuter de plus de 6 enfants par femme à un plus de 2 aujourd’hui.
D’ici une génération, elles auront le même comportement démographique
que les Européennes actuelles (c’est aussi le cas des Tunisiennes, des
Marocaines, des Iraniennes,...).
__________En attendant, l’« inertie démographique »
nous réserve là aussi un singulier paradoxe : la population de
l’Algérie continue d’augmenter à un rythme soutenu alors que la
fécondité a beaucoup baissé !...C’est que les jeunes Algériennes nées
il y a vingt ans ou plus ont le désir de fonder une famille comme la
plupart des femmes. Même si elles ne doivent avoir qu’un ou deux
enfants, ces naissances seront beaucoup plus nombreuses que les décès
concomitants de personnes nées il y a plus de 50 ans.Il s’ensuit que la
population algérienne poursuivra sa croissance pendant une génération
avant de se stabiliser. Si l’on voulait la stabiliser au plus vite, il
y faudrait des mesures dictatoriales pour empêcher des femmes
d’enfanter. Cela ne serait pas seulement immoral ; ce serait également
stupide avec le risque de déboucher sur un « coup d’accordéon »...On
a connu ce type de phénomène dans les années 1970 quand nos dirigeants
ont jugé qu’il y avait trop de médecins et pas assez de pêcheurs : ils
ont donc brutalement fermé l’accès aux facs de médecine et subventionné
l’achat de bateaux, cela pour s’apercevoir aujourd’hui que l’on manque
cruellement de personnel médical et que l’on a beaucoup trop de
chalutiers !De la même façon en démographie, les ruptures débouchent au bout d’une génération sur des tensions inédites
: c’est le dictateur roumain Ceaucescu qui interdit brutalement les
avortements en 1967, d’où, l’année suivante, un trop-plein d’enfants
qui ne trouvent pas d’accès dans les institutions et les écoles.
- Contrastes démographiques :Interpellé sur l’explosion démographique des années 1960-1970, Alfred Sauvy ne manquait jamais de souligner l’extrême diversité des situations : chaque région du monde a ses problèmes et requiert des solutions spécifiques
; on ne peut guérir l’une en soignant l’autre, de même qu’on ne guérit
pas un obèse en mettant son voisin à la diète, surtout si ce dernier
souffre d’anorexie.
_______La diversité des situations est aujourd’hui
tout aussi manifeste. On peut distinguer :- L’Europe et l’Amérique du
Nord : fécondité très faible (1 à 2 enfants par femme) et immigration
importante,- L’Extrême-Orient et l’Asie du sud : fécondité faible
(environ 2 enfants par femme) et ratio très déséquilibré des sexes avec
jusqu’à 140 garçons pour 100 filles à la naissance au lieu d’un ratio
naturel de 110/100 ; pour des raisons culturelles en effet, les
fillettes sont éliminées avant l’accouchement (ou après), ce qui risque
de provoquer dans les pays concernés de très graves tensions sociales
dans un- Le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Amérique : fécondité
déclinante (2 à 3 enfants par femme),- L’Afrique subsaharienne :
fécondité toujours très élevée (5 à 7 enfants par femme sauf en Afrique
du Sud).Le planning familial
(promotion de la contraception) a facilité la transition démographique
chaque fois que le contexte politique et culturel s’y prêtait ; elle
reste inefficace quand ce n’est pas le cas, comme aujourd’hui dans la
plupart des pays d’Afrique subsaharienne._____En-dehors
de cette région, les rares pays qui conservent une fécondité élevée
sont l’Afghanistan (5,7 enfants par femme), les territoires
palestiniens (4,6), l’Irak (4,4), le Guatemala (4,4), Haïti (4) et le
Pakistan (4 enfants par femme alors que le Bangladesh, ex-pays frère, a
un indice de seulement 2,5 enfants par femme).
_________Notons qu’à
l’exception du Guatemala, il s’agit de pays en état de guerre et
dépourvus d’institutions étatiques crédibles, tout comme l’Afrique
subsaharienne... Notons aussi qu’Israël est, de tous les pays
développés, celui qui affiche de loin l’indice de fécondité le plus
élevé : 2,9 enfants par femme. On peut y voir le réflexe de survie
d’une population confrontée au spectre de sa propre destruction.
Tout cela nous montre combien la démographie est rebelle aux calculettes des experts, même ONUsiens. Le démographe Hervé Le Bras rappelle qu’il est illusoire de prétendre gouverner les mouvements de population. « L’invocation
de la population mondiale donne l’illusion qu’on peut la modifier mais
il n’existe aucune institution capable d’imposer une législation
destinée à limiter la croissance démographique (ou à l’encourager) », écrit-il (Vie et mort de la population mondiale, Le collège de la cité, 2009).