Contrairement à ce que vous dites, Monsieur le Professeur, il n’y a pas de projet actuel ou nouveau de privatiser l’Éducation nationale, parce que c’est déjà fait depuis cinquante ans. La privatisation de l’Éducation nationale est déjà complètement réalisée, en faveur de certains syndicats d’enseignants qui se sont crus investis de la mission de tout révolutionner, de tout changer, de tout affranchir, et qui sont devenus propriétaires de la structure administrative qu’ils (co-)gèrent dans l’intérêt exclusif de leurs adhérents et clients.
On trouve ce genre d’abus de pouvoir, par exemple, dans le fait que leurs appareils contrôlent le déroulement des carrières individuelles, alors que la fonction d’un syndicat est uniquement de défendre - sur un plan général et anonyme - les statuts des personnels (nom qui est donné aux conventions collectives dans le secteur public). Par exemple, le principe à tout travail salaire égal, qui devrait suffire à faire disparaître les maîtres auxiliaires en les payant autant que les professeurs titulaires. Ce contrôle individuel des carrières leur donne un pouvoir abusif sur leur adhérents, et par voie de conséquence défavorise injustement les non adhérents. Il a en plus l’inconvénient de récompenser la soumission à l’appareil et la conformité idéologique, au dépend des critères de capacité profesionnels objectifs.
Être un service public, ce n’est pas être au service des corps d’enseignants et de la défense de leurs petits avantages catégoriels, ni encore moins d’une faction de ces corps, mais être au service du public, des choses publiques, de la République. C’est-à-dire des familles, des entreprises, des traditions, des métiers, de l’ordre et de la paix sociale, de l’agriculture, du progrès, de l’histoire, de la gentillesse, des paysages, de la culture, de la vérité, des arts, des sciences, de la civilisation, etc. D’assurer d’une génération à l’autre leur transmission, leur protection, leur conservation, et non leur destruction, au nom d’un idéal de libération, de modernisation, de révolution qui n’a aucune légitimité.
En ce qui concerne l’autorité et son rétablissement, je ne trouve pas étonnant que la Bureaucratie de l’EN en vienne à préconiser ce genre de méthodes miracles de gestion des problèmes, tout-à-fait typique du pragmatisme américain depuis Benjamin Franklin (Comment devenir riche, comment se faire des amis, comment être cultivé, comment ne plus avoir peur des chiens, comment redevenir jeune, comment asseoir son autorité devant une classe de racailles..). Pendant ce temps là, Réseau Éducation sans frontières se donne beaucoup de peine pour saboter l’autorité publique en dehors de l’école, celle de la police, et paralyser l’exécution des mesures de limitation de l’immigration clandestine, celle qui justement pourrit toute la vie scolaire (Comment peut-on faire la classe dans des communes où, comme à Villiers-le-Bel, il y a maintenant 52 nationalités différentes et 2/3 des parents illetrés).
La bureaucratie de l’EN est imbibée de l’idéologie des grands ténors de Mai 68, comme Alain Geismar. Elle est donc radicalement révolutionnaire, contre l’autorité qu’elle considère comme toujours illégitime, même la sienne qu’elle prétend ne pas exercer, contradiction qui suffit à faire émerger un monde de fous. En effet, cette idéologie considère que son rôle est aussi d’éradiquer toute autorité des fonctions enseignantes ou éducatives, non seulement dans les écoles et les lycées qui dépendent de son administration, mais aussi dans les familles et dans l’ensemble de la société. En ce qui la concerne, elle parvient à surmonter la contradiction entre son discours anti-autoritaire et sa fonction d’autorité, en agissant de façon officieuse, sournoise, par coups de forces et par mensonges, ce qu’on appelle la terreur grise (pour l’ambiance, lire le Château de Kafka).
À force d’éradiquer tout ce qui fondait réellement l’autorité, l’enseignement en arrive à devenir complètement impossible. Or, ce genre de livre de recettes pour rétablir l’autorité sur des bases fonctionnalistes ou utilitaristes, est comme les produits miracles que les camelots vendent devant les Grands magasins.
Les relations sociales, et tout particulièrement les relations d’éducations, ne peuvent se réduire à la Raison, au raisonnement, au raisonnable, et à la négociation. L’enfant, comme le collègue, le conjoint, le voisin, le client ou l’ami, ne sont pas sensibles qu’au rationnel et à l’utile : il y a aussi l’admiration, la séduction, la passion, la beauté, l’irrationnel. D’une façon plus générale, il n’existe pas de rapport pédagogique sans autorité, et pas d’autorité sans rétablissement général du sens du sacré (dont le respect n’est qu’une modalité superficielle).
Comme à la base du sacré, il y a les religions dans ce qu’elles ont de plus archaïque : le rite, le mythe et la loi morale, ce seraient donc toutes les valeurs que l’Éducation Nationale a éradiquées qu’il faudrait commencer par restaurer, non seulement en recommençant à y croire et à les célébrer à l’école, mais aussi dans les familles. Pour cela il y a les arts et les traditions populaires.
L’école laïque, ou plutôt laïciste, ou plutôt même scientiste ou rationaliste, c’est-à-dire celle qui voudrait uniquement fonctionner sans transcendance, a atteint le seuil d’abstraction qui la voue inexorablement à la dissolution et au chaos. Ce mouvement de perdition ne commencera à pouvoir être renversé qu’à partir du moment où les autorités recommenceront à accepter l’idée que la pédagogie est d’abord fondée sur l’autorité, que la base de l’autorité n’est pas la rationalité mais le sacré. Et c’est là qu’on va s’apercevoir que le trou noir laissé par la sécularisation des religions occidentales traditionnelles (catholicisme, judaïsme) attire inexorablement d’autres religions ou ou d’autres paganismes pour prendre leurs places.