Les victoires de la musique

Ou : le triomphe des cigales.

Monsieur de la fontaine, pardonnez-moi de vous sortir du séjour des morts un instant ; je voudrais vous montrer ce qu’est devenue votre fable de la cigale et la fourmi aujourd’hui dans notre douce France.

Je vous emmène soit au festival de Cannes, soit aux triomphes de la musique. Vous y verrez un monde en représentation, la foire aux vanités des cigales triomphantes.

Vous y verrez aussi des fourmis béates, formatées, programmées pour applaudir. Vous entendrez chacune de ces cigales qui chantent tout l’été parler des fourmis en ces termes : « mon public » et prétendre à une histoire d’amour avec ces fourmis.

Apprenez, Monsieur de la Fontaine que, de nos jours, dix pour cent des fourmis sont désormais exclues du partage des biens, c’est ce que l’on nomme le « chômage ».

Toutes ces cigales s’agglutinent à Paris, épicentre de ce monde en représentation ; c’est là qu’on en trouve les plus fortes concentrations. Le devant de la scène est aussi le devant de la Seine et il essaime en France et en Navarre.

Les cigales s’unissent en une espèce de corporation et elles s’attribuent des prix entre elles, des oscars, pour le cinéma et des victoires de la musique pour les chansons dites de variétés qui, entre nous soit dit, seraient vraiment à varier ? Depuis plus de quarante ans, ce sont toujours les mêmes têtes qui nous prennent la tête.

 Dans ces milieux là, Monsieur de la Fontaine, on se passe la rhubarbe et le séné, on se congratule devant les caméras, on use de superlatifs pour cela : untel est formidable, l’autre est géant ou merveilleux. Ainsi la communauté de ces artistes se donne t-elle un satisfecit pour défendre son corporatisme à la vue des naïves fourmis qui les nourrissent. Hors caméras, c’est autre chose, la fable serait plutôt le loup et l’agneau.

Comprenez bien, Monsieur de la Fontaine, que si les fourmis du peuple sont ruinées, il faut leur donner du rêve à la place. On leur donne du pain et des jeux ; ça, ça n’a pas changé.

Il faut vous dire, Monsieur de la Fontaine, que si nous n’avons pas avancé suivant votre morale, nous avons avancé pour ce qui est de la technologie et que celle-ci a été accaparée par ce que l’on appelle les médias, des gens au service de cette vanité qui vivent de cette collusion avec icelle. Les médias conduisent le bal de ces vanités.

L’entreprise de communication est verticale et unilatérale, vous avez les producteurs de variétés et les consommateurs : les fourmis. Je comprends votre stupéfaction, monsieur de la Fontaine à voir que les cigales se sont transformées en mantes religieuses ?

Le triomphe des cigales est tel qu’elles ont même entraîné dans leurs manigances les hommes politiques contribuant à faire du jeu politique une sorte d’abstraction, un monde virtuel.

Vanité, tout est vanité. Ces gens là, monsieur le fabuliste, sont devenus des affabulateurs dans un monde du paraître. Ils servent aussi une publicité débile pour des fourmis devenues malheureusement débiles et consommatrices en ce conditionnement.

Ah ! Pardonnez-moi, Monsieur de la Fontaine de vous avoir sorti un instant de votre repos éternel mais je me devais de vous montrer la relativité de la morale de votre fable. Vous ne pouviez imaginer qu’elle ne tiendrait pas en un contexte de grande richesse mais sans partage équitable, que l’on nomme : « démocratie ».

Voyez, ici chacun veut devenir roi mais ne devient que roitelet sur son petit lopin de terre. Nous vivons un temps où il est plus rassurant de percer dans le monde des cigales plutôt que de jouer les fourmis dans les entreprises, d’où le rêve du superfétatoire et l’éloignement du réalisme.

Monsieur de la Fontaine, vous voulez repartir, je vous comprends. En un temps où des agriculteurs qui nourrissent le monde se trouvent ruinés, il se pourrait que votre fable du laboureur et ses enfants soit aussi remise en question, je ne peux vous imposer ça.

A.C.