@Jesse,
Pas d’accord. C’est justement par la création de personnages et d’intrigues que Nabe et Houellebecq sont romanciers. Enfin surtout Nabe. Houellebecq est capable de créer d’excellents personnages, mais il est moins bon dans la construction de l’intrigue. Ce qui d’ailleurs me semble le principal point faible de La Carte et le Territoire.
Vous êtes victime d’un trompe-l’oeil. Ce n’est pas parce que tout est vrai dans ses personnages que Nabe n’en fait pas de purs personnages de romans. C’est même précisément par là qu’il renouvelle et élargit les limites du genre.
Nabe a créé des personnages extraordinaires. Peu importe que ces personnages soient réels. Quel personnage incroyable que le Linden du Bonheur ! Il suffit de comparer avec Lindenmeyer dans le Journal Intime, pour voir la différence entre le même personnage dans le Journal et sa version dans le roman. Celà tient justement à la structure. Le Linden du Bonheur n’est pas dilué par des apparitions espacées (conséquence de la chronologie du Journal Intime). Le personnage, le même, apparzait entièrement condensé, beaucoup plus travaillé, donc encore plus vrai, ramassé en un seul chapitre qui en fait l’un des personnages les plus inoubliables de Nabe. Voilà la différence entre roman et journal chez Nabe. Le roman dit encore plus la vérité.
Choron est extraordinaire dans le journal. Qu’est-ce que ça aurait été si le personnage avait été développé dans un roman !
Dans L’Homme qui arrêta d’écrire, Nabe crée même à mes yeux un nouveau type de personnage de roman, qui n’avait pas encore fait son entrée en littérature : Le Libre Penseur. La figure du complotiste obsessionnel algero-marseillais cinglé dans son inarrêtable flot de paroles. Si ça c’est pas un personnage !
La transposition de la réalité n’est pas un obstacle à la richesse de la création. Au contraire.
Le Michel Houellebecq de La carte et le Territoire est un des meilleurs personnages que Houellebecq ait jamais créé . Son Beigbeder est complètemnt raté par contre.
Je ne crois pas que le roman soit figé (fini ?) aux grands noms que vous citez. On pourrait d’ailleurs en citer d’autres qui comme Nabe ont tenté, par les personnages, l’intrigue, la remise en question de la séparation entre réel et fiction, ou diverses torsions sur la forme romanesque, de faire autre chose du roman tout en lui donnant un nouvel accomplissement.
Céline, bien sûr, que vous citez, mais qui pourrait justement constituer un contre-exemple. Le Céline de Nord ou de Féérie pour une autre fois est-il un romancier selon vos critères ? Mais également Joyce ou Gadda (la subversion du genre du roman policier), qui font de toute évidence partie des références de l’auteur d’Alain Zannini ...
La question du roman est une des réflexions de Houellebecq. Il a essayé de son côté de faire de la science-fiction autre chose. Et le résultat n’est pas sans intérêt.
Enfin pour répondre à votre dernière remarque. Non l’écriture de Nabe dans L’Homme n’est pas houellebecquienne. L’écriture « plate », « neutre » est différente du tempérament morne mais ironique et provocateur des Particules élémentaires, par exemple . Chez Nabe, l’écrivain s’efface volontairement, mais de la façon la plus neutre possible. Toutefois son flot de pensées continue à courir. Et ce flot n’a rien du tout de houellebecquien. Ce sont les personnages qui dans les dialogues prennent tout seuls le dessus par leur « voix » propre, et rendent ce livre paradoxalement très vivant.
Je pense en outre que de janvier à Septembre date de parution de son roman, Houellebecq a tout à fait eu le temps de lire le livre. Je ne crois pas qu’il ait écrit la Carte à partir de ça, mais il me semble bien probable que l’Homme l’ait amené à en reconsidérer la finition.