A propos de la braderie de Lille...
Dimanche ensoleillé ; paisible tandis que la frénésie accapare bien des esprits. Incessant va-et-vient de la foule innombrable, au loin sur l’autoroute. Tant la braderie de Lille attire de désœuvrés… On se rue sus à l’événement sans trop savoir pourquoi ; par habitude, par nécessité de s’affairer. Il m’est arrivé, plus jeune, de céder aussi, plus qu’à mon compte, à l’injonction impérieuse de ce bougisme pathologique ; encore que je trouvais là quelques motifs bien déterminés qui pouvaient faire illusion. Mais ces intérêts évaporés, après une ou deux tentatives où je n’éprouvais plus que lassitude un peu triste, un sentiment d’absurde tenace, je suspendis le rituel adoré jadis. Cependant, je doute fort que la plupart de ces millions de gens, rassemblés en grappes immenses et poussés sans discontinuer dans les rues par de nouveaux contingents de badauds frénétiques déversés par les bouches du métro, aient encore de bonnes raisons de souscrire toujours à cette messe gargantuesque ; sauf à justifier de la sorte un sentiment d’intense vacuité.
Ce que je ne savais pas, c’est que l’origine de cette braderie de Lille était à chercher au moyen âge. Et si, par manque de documents on ne peut pas véritablement en dire beaucoup plus, sauf à broder, il est au moins attesté que cette manifestation se transforme peu à peu " en vide-grenier au début du XVIe siècle, lorsque les domestiques obtinrent le droit de vendre les objets usagés de leurs patrons entre le coucher et le lever du soleil "(1). Depuis lors, les temps ont bien changés, et entre les camelots itinérants professionnels, les enseignes de grande distribution qui trouvent là prétexte à ouverture dominicale et autres patentés vendeurs de babioles produites industriellement, bien hardi ceux parviennent encore aujourd’hui à dégotter l’objet rare sorti tout droit du grenier de grand-mère. Après, on peut bien déplorer, comme ce chroniqueur en 1873, " que l’esprit braderie est en train de disparaître ". Mais encore eut-il fallut qu’on définisse et fixe cet esprit ; entreprise vaine s’il en est.
Ce qu’arbitrairement je retiens quant à moi, c’est ce tableau de Watteau, achevé en 1800, avec Lille représenté beau comme Venise. Méfions-nous ainsi des représentations idéales. Et pour les amateurs d’histoire et de chiffres, je renvoie à la source cité en note de bas de page.
Enfin, face à ceux, et ils sont légion, qui la larme à l’œil invoqueront toujours la mémoire d’un événement populaire, une belle tradition à préserver, où la convivialité embrasse la bonne humeur sur la bouche – à croire qu’ils n’ont jamais croisé ces viandes avinées roulant dans les caniveaux sur les débris des bouteilles qu’ils ont fracassés, il se trouvera toujours quelques grincheux dans mon genre pour casser l’ambiance ; d’invétérés fâcheux, donneur de leçon et soupçonnés de misanthropie. Que les thuriféraires de la foire aux moules se rassurent, la " tradition ", surtout si elle fait de l’argent, gagne toujours. Et à l’instar de ces défenseurs à courte vue du Paris – Dakar, se presseront ici cohorte de doctes analystes pour démontrer que l’affluence et le regain d’intérêt pour ce qui n’est plus qu’un monstrueux supermarché à ciel ouvert, transformant chaque année le cœur de Lille en grosse poubelle, est la conséquence directe de la dénonciation radicale de la société de consommation.
Permettez-moi juste d’en rire avant de m’en retourner à mon jardin, où, dans l’alentour du soleil, haut dans le ciel, une buse cherche – et trouve – des courants ascendants tandis que des bandes d’hirondelles de cheminées tournoient en piaillant, fébriles au dessus de mon toit. Ca sent le départ pour la grande migration…. Et oui, aujourd’hui je ne sacrifie pas au salariat, puisque la seule retombée directe pour moi de cette orgie lilloise, c’est que le lundi suivant la braderie m’est un jour férié. Un avantage acquis comme on dit… Ah ces vertu de la tradition !
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(1) Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Braderie_de_Lille
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