Aller au-delà de la réforme des retraites
Une réforme conçue pour diviser et pour confondre les opposants
La réforme des retraites est un piège tendu par Emmanuel Macron. Elle permet en effet de diviser son opposition, en mécontentant les uns tout en semant la confusion chez les autres.
A gauche et dans les syndicats révolutionnaires, on ne veut pas entendre parler de sacrifices, quels qu’ils soient. Bien sûr ! puisque les systèmes de retraite vont évidemment continuer à évoluer dans le meilleur des mondes, comme si l’effondrement de la démographie française, comme si les graves difficultés de l’économie française n’existaient pas. Mais fausses difficultés que tout cela ! Car on peut toujours augmenter les dépenses publiques, même si elles représentent 56 % du PIB ; car il est toujours possible, n’est-ce pas ? de combler les vides dans les effectifs des cotisants en faisant appel à l’immigration…
Le Rassemblement national, fidèle à son orientation mariniste, fait peser sur l’immigration tous les problèmes du pays, ce qui est bien sûr un moyen commode pour dédouaner ses électeurs de tout effort. Il en est demeuré à son programme présidentiel de 2017, qui préconise le retour à l’âge légal de la retraite à quarante annuités… Qu’en dire de plus, sinon que ce mouvement est prêt à toutes les contorsions pour récolter des voix, de même que la gauche non-macroniste, n’ayant sur celle-ci que l’avantage de dénoncer un vrai problème, celui de l’immigration ?
Voilà pour les opposants systématiques, dont les discours sont peu crédibles, même si cela ne les empêche pas de récolter des voix, sur le thème des retraites comme sur d’autres. Le discours gouvernemental est plus retors, en revanche, à l’égard de l’opposition de droite, dans laquelle s’inscrit le Centre national des indépendants et paysans (CNIP). Face aux risques de déséquilibres croissants des régimes de retraite, qui peuvent aller jusqu’à en compromettre l’existence même, la droite est la première à préconiser des efforts et des réformes. Bruno Retailleau, Président du groupe sénatorial Les Républicains, a ainsi probablement raison de préconiser le recul en dix ans de l’âge minimal de départ à la retraite de 62 ans à 65 ans[1]. Il a également raison d’évoquer les risques de « captation » (euphémisme pour désigner un vol) par l’Etat, avec la réforme macroniste, des 140 milliards d'euros de réserves des régimes complémentaires, dont 70 milliards d’euros pour l’Agirc-Arrco, 22 milliards pour les régimes des professions libérales (CNAVPL), 5,4 milliards pour celui de la Banque de France et 1,8 milliard pour celui des avocats (CNBF)[2]. On voit donc la difficulté dans laquelle se trouve la droite responsable quant à l’attitude à adopter devant cette réforme, qui fait coexister des mesures équitables ou nécessaires (suppression des privilèges les plus exorbitants liés à certains régimes spéciaux, tels que celui de la SNCF) avec le risque d’un véritable hold-up. Là où il aurait fallu procéder régime par régime (et l’on sait bien que l’argument de complexité administrative d’un système comportant 42 régimes n’est qu’un faux problème, car les quelques principaux régimes correspondent à l’essentiel des modifications à effectuer), pour supprimer les abus en toute connaissance de cause, le gouvernement macroniste préconise la guillotine pour tous, de sorte que chacun fasse la même taille que son voisin. Ainsi, dans la fameuse série Les Mystères de l’Ouest, le Docteur Loveless voulait-il couper les pieds de tous ceux qui étaient plus grands que lui pour les ramener à sa propre taille – celle d’un nain... Disons-le tout net : dans le cas d’un certain nombre de régimes, bien gérés et qui risqueraient de perdre leurs réserves en raison de la réforme envisagée, la grève du 5 décembre est parfaitement justifiée.
Contre toute spoliation, vers une vraie réforme de société
Mais il faut bien constater que la prise en compte du problème sous le seul angle des régimes de retraite est tout simplement un non-sens. En effet, ces régimes s’inscrivent dans une situation démographique et économique d’ensemble, qu’ils influencent, mais dont ils sont surtout étroitement dépendants. On peut – et il faut certainement – repousser à 65 ans l’âge minimal de départ à la retraite. Une telle mesure améliorerait la situation des régimes infiniment plus que le bulldozer macroniste, et de façon plus équitable. Mais il est clair que l’on se rapprocherait de limites biologiques au-delà desquelles il est impossible d’aller : 65 ans soit, 66 ans peut-être… mais au-delà ? On considère souvent l’âge de 68 ans comme un âge limite à partir duquel les ennuis de santé les plus graves surviennent de manière à peu près aléatoire : valide et même en bonne santé aujourd’hui, malade, grabataire ou mort le lendemain, telle devient alors la question. Introduire cette dimension de la réflexion incite puissamment à s’intéresser à d’autres voies.
On peut améliorer la viabilité des régimes de retraite en augmentant les cotisations, en diminuant les retraites ou en retardant l’âge de départ. Les deux premières solutions sont à écarter d’emblée, l’une en raison du poids déjà absolument déraisonnable des dépenses publiques, l’autre en raison du faible montant d’un grand nombre de retraites. Quant au levier de l’âge, on peut encore le manœuvrer, mais on vient de souligner les limites de l’exercice. Il est cependant un élément majeur d’amélioration de l’équilibre des retraites que l’on passe généralement sous silence, alors qu’il représente la voie la plus naturelle et la moins douloureuse en ce sens : celui de l’augmentation du taux d’activité, dont on sait qu’il est en France l’un des plus bas de l’OCDE, surtout pour les plus de 55 ans. Il est certainement possible d’augmenter ce taux en favorisant l’emploi des salariés les plus âgés, par exemple en allégeant les charges des entreprises qui les recrutent, ainsi que le CNIP le préconise[3]. Un autre volet de la question, encore moins abordé, est celui d’une réforme majeure de l’enseignement. Aujourd’hui, la France distribue le baccalauréat à 80 % d’une classe d’âge et compte 2,7 millions d’étudiants. Cette immobilisation de la jeunesse française pour l’obtention de diplômes qui souvent ne signifient plus rien, tant ils sont dévalués (tel est sans conteste le cas du baccalauréat), est un gaspillage financier et surtout humain. Le meilleur service à rendre aux régimes de retraite et aux jeunes eux-mêmes serait d’avancer l’âge moyen d’entrée dans la vie active en rendant l’enseignement plus sélectif. Au-delà de l’équilibre des régimes de retraite, les conséquences à attendre d’une telle réforme seraient bénéfiques à bien des égards :
- développement de la formation professionnelle et de l’apprentissage, d’où une diminution du chômage (via, en particulier, la baisse du chômage structurel) et, avec lui, des phénomènes d’aigreur, de découragement et de déclassement qui minent des classes d’âge entières ;
- diminution de la durée des études, d’où une baisse des dépenses publiques et, surtout, une série de conséquences qui pourraient modifier en profondeur la sociologie de notre pays dans un sens conforme à l’ordre naturel :
- fin de l’adolescence prolongée qui est le lot de trop de jeunes, coincés entre des filières d’enseignement sans objet et l’isolement dans le monde virtuel des réseaux sociaux et d’Internet. On pourrait en espérer à terme un sens accru des responsabilités et donc une meilleure capacité à s’engager, d’où davantage de mariages durables et de fondations de familles. La baisse du chômage jouerait aussi en ce sens, en donnant aux Français de meilleures perspectives d’avenir ;
- allongement de la durée de la vie active grâce à une entrée plus précoce sur le marché du travail. Cela permettrait aussi plus facilement des retraites précoces pour les professions physiquement ou moralement pénibles où celles-ci se justifient ;
- amélioration des comptes sociaux grâce au redressement de la natalité et à l’entrée moins tardive dans la vie active.
Une telle réforme, tout en permettant d’accroître la durée de la vie active, aurait des conséquences économiques et sociales dans de nombreux domaines de la vie du pays, bien au-delà de celui des retraites. Elle illustrerait la solidarité des générations et l’unité de la vie active, du début de celle-ci jusqu’à la fin. Voilà ce qui caractérise une véritable réforme de société. L’entreprendra-t-on avant qu’il ne soit trop tard ? Avant l’effondrement des régimes de retraite et du système éducatif français ?
Jean-Paul Tisserand
Délégué général aux études
du Centre national des indépendants et paysans (CNIP)
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