Cinéma et nouvelles technologies
En 2004, les entrées dans les salles de cinéma se chiffrent à 195 millions. Bon bilan ? Mais quand on regarde de plus près ces résultats, on s’aperçoit que les films classés Art et Essai sont en baisse de 9%.
En 2004, les entrées dans les salles de cinéma se chiffrent à 195 millions. Beau et bon bilan, diront les néophytes. Mais quand on regarde de plus près les résultats, et qu’on les ventile par catégorie de films, on s’aperçoit que les films classés Art et Essai sont en baisse de 9%. Ne tournant pas autour du pot, les films à gros budget, c’est-à-dire les films américains, se taillent la grosse part du gâteau.
Ainsi les films dits ‘’fragiles’’ ou indépendants (réalisés dans une économie méprisée par les adeptes du profit maximum, ou bien qui échappe aux majors) sont doublement victimes, et de la mondialisation et des nouvelles technologies. Est-ce une nouveauté, s’agissant d’activités économiques ? Pas le moins du monde. Cette situation résulte d’une logique historique implacable, à savoir qu’une économie qui subit les assauts des découvertes scientifiques et techniques et qui de plus est sous la direction de forces politiques détentrices de ces techniques, cette économie donc finit par rendre l’âme ou les armes.
Victimes de la mondialisation ? Oui, parce que la liberté de circulation des biens et capitaux, (qui est train d’être codifiée par l’OMC -organisation mondiale du commerce) va permettre aux majors d’élargir leurs marchés, d’imposer des règles (interdire par exemple les subventions en faveur de la production et de la distribution de films). Ce processus finira par porter ses fruits amers, la mort d’un type de films et la fin d’un cinéma dit national. Ces fruits pourrissent déjà sur l’autel de la prestigieuse Cinecetta. Ailleurs et à une autre époque, les exemples ne manquent pas, le processus a fait ses preuves, comme le montre la destruction de l’industrie textile de l’Inde, devenue colonie anglaise, par la redoutable et envahissante industrie de Manchester.
Victimes des technologies nouvelles ? Assurément ! Les
puissants groupes industriels, détenteurs des techniques du numérique
et des satellites, vont imposer leur hégémonie, car la circulation des
films (grâce à la diffusion simultanée dans le monde entier à partir
d’un projecteur unique ayant pour nom satellite) est à nos portes.
Il ne faut pas être un économiste distingué pour deviner les baisses
des coûts qui en découleraient, et donc la progression exponentielle des
profits qui en résulterait. Que devient le cinéma comme art, dans de
telles conditions ? Si le processus suit son cours, le cinéma ne sera
plus "un art et par ailleurs une industrie", (André Malraux), il
deviendra surtout ou seulement une industrie. Les films indépendants en
France souffrent déjà du nombre de copies (d’un même film) occupant les
écrans, de leur vitesse de la circulation (un film qui ne remplit pas
son ratio de rentabilité le week-end est "déménagé" en début de
semaine). Un autre danger menace les films, le cinéma, c’est
l’émergence de nouveaux "espaces" de diffusion, qui risquent de
transformer les bonnes vieilles salles en musées réservés aux
cinéphiles. Or, la salle de cinéma est le lieu où se crée un lien social
entre spectateurs, et où le public reconnaît la qualité
d’œuvre artistique aux films. Si la diffusion en salle est condamnée,
les films connaîtront le même sort que les films de la télévision :
1) Ils seront de plus en plus soumis aux variables de l’idéologie du consensus et de l’audimat.
2) Ils seront frappés du mal insupportable de l’oubli. Certains d’entre eux (qui auront de la chance) finiront dans les archives que des historiens ou sociologues exhumeront pour les besoins de leurs recherches.
Or un film, comme les autres œuvres d’art, doit vivre, et la meilleure façon de le pérenniser, c’est de le faire voir aux spectateurs. Les échos qui proviennent de certains exploitants sont inquiétants. L’un d’eux déclare sans autre précaution : "La vitesse de diffusion est une fatalité, liée à une façon de vivre". Contre le fatalisme de ces marchands, il peut exister une autre logique, à condition de se nourrir de l’esprit d’innovation, d’anticipation, bref de résistance. Croire que le marché est la loi suprême relève du même dogmatisme que cette affirmation hurlée par ces intégristes religieux : "Hors du texte sacré, il n’y a point de salut’". Il faudrait donc faire confiance à l’esprit de résistance pour éventer les secrets de cette économie moderne. Celle-ci recèle dans ses entrailles moult secrets, dont le plus élaboré est celui de la circulation des biens et services.
La vitesse à laquelle circulent ces biens et services risque de sonner la mort du travail vivant, composé du temps social, de l’intelligence et de la sueur des hommes. Mais voilà, pour les prédateurs d’aujourd’hui, il faut compresser le temps car time is money. Il faut se passer de l’intelligence humaine, puisque l’intelligence artificielle disponible est plus obéissante. Ainsi cette économie mondialisée pousse la division du travail à la perfection. Résultat de l’opération, le travail vivant est segmenté. Dans certains pays (les USA pour ne pas les citer) il y aura la conception et la fabrication des films. Ailleurs, dans les périphéries, il n’y aura plus que des marchés, dont la seule fonction est de consommer. Cette situation dite d’échange inégal est bien connue des pays dits sous-développés (pourvoyeurs de matières premières et consommateurs de gadgets). Voilà que des pays dits modernes risquent de connaître (certains la connaissent déjà) cette situation de dépendance, si la logique du marché alliée à la ‘"magie’" des nouvelles technologies l’emporte. Dépendance économique, mais aussi formatage, qui sonnerait le glas des cultures nationales, tel est le danger qui guette, entre autres, le cinéma. Du reste, ce formatage a déjà des effets aussi bien idéologiques que pratiques. On constate, hélas, l’engouement des spectateurs, surtout jeunes, pour les films américains, mieux "faits" et qui font plus "rêver".
Quand les biens circulent, (ici certains films), à la vitesse de la lumière, au détriment d’autres films, au bout de ce voyage, l’orage finit par éclater. A trop vouloir ignorer les histoires des hommes et des femmes, on ouvre les vannes de la colère. A trop vouloir décomposer le présent, on finira par récolter un futur anéanti.
Pour éviter les catastrophes qui s’annoncent, il est temps de se poser les vraies questions, et de cesser la fuite en avant sous la poussée des miracles de la technologie. Les vraies questions, c’est-à-dire le droit de chaque pays à produire, échanger et consommer les fruits de son travail, c’est-à-dire, aussi, le plaisir et le devoir d’utiliser en retour le travail d’autrui. Le monde en a assez de consommer les produits en provenance d’un même lieu, et fabriqués par des agents économiques dont la seule motivation est de gonfler leur bourse, quitte à faire mourir d’ennui les hommes vivant dans un monde devenu triste -ô paradoxe !- par son opulence.
Cesser la fuite en avant veut dire accueillir la technologie avec tout le respect que l’on doit à l’intelligence de l’homme qui la crée, tout en veillant à ce que l’Homme reste l’unique ordonnateur des bienfaits des jardins d’Eden de notre temps, loin, très loin des halls assourdissants et hystérisés des Bourses du monde.
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