CPE, une bataille ridicule
Il nous est toujours difficile, en France, d’examiner un problème autrement que par les lunettes déformantes des clivages socio-politiques, ceux-ci prévalant dans l’analyse. Au lieu de chercher à étudier une question dans sa globalité, en hiérarchisant les points à aborder pour l’étude, le débat actuel se résume, pour les pro-CPE comme pour les anti, à développer une argumentation partiale à l’aide d’idées abruptes ajustées à la hâte, et à accuser d’autant plus l’autre partie de mauvaise foi qu’on la pratique soi-même. Les Gaulois auraient-ils repris à leur compte les pratiques courantes de l’Assemblée nationale ?
Pourtant, la question posée par le CPE (le chômage des jeunes peut-il être amélioré par un contrat de travail prévoyant un licenciement sans motif pendant deux ans ?) n’est pas des plus insurmontables, pour autant qu’on veuille bien l’examiner sereinement.
S’agissant d’une question économique, il est bon de ne pas inverser les priorités, et de le considérer tout d’abord sous l’angle de l’éthique ou de la justice sociale, puis sous l’angle de son efficacité (l’économie étant destinée à l’épanouissement humain, et non l’inverse). Schématiquement, les syndicats et la gauche se placent sur le plan éthique, alors que le gouvernement et la droite défendent le plan économique. Mais ces deux plans sont liés : en effet, en dehors de certains cas évidents, la justice sociale ne peut pas être définie comme un absolu, et il peut être pragmatiquement judicieux de tolérer une situation de justice « tangente » au regard de son intérêt pour le bien commun (le vieux principe de philosophie énonçant que « la fin ne justifie pas les moyens » restant applicable). C’est toute la difficulté, mais aussi l’intérêt, de l’existence ici-bas !
Or, il faut bien admettre que le CPE ne satisfait pas aux critères de la justice sociale. En effet, la possibilité de licenciement sans motif est une mesure applicable seulement aux jeunes, et sans que le critère de jeunesse justifie cette différenciation : si on comprend bien que certains contrats puissent ne s’adresser qu’à la jeunesse, tenant compte de son inexpérience professionnelle (contrats d’alternance ou d’apprentissage), on ne voit pas pourquoi seuls les jeunes pourraient être considérés comme variables d’ajustement de l’activité de l’entreprise. Que voudrait-on faire comprendre à un jeune en le licenciant sans motif ? Qu’il n’est que du « consommable », pour l’entreprise ? Est-ce le meilleur moyen pédagogique pour valoriser la dimension anthropologique et sociétale du travail ? Comment ce jeune peut-il songer à fonder une famille s’il ne dispose pas d’un niveau de sécurité raisonnable ?
Le fait de pouvoir licencier sans motif viole aussi un autre principe, qui est celui de la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis des salariés. Les droits et devoirs des salariés et des entreprises sont une relation réciproque, basée sur le contrat de travail qui les lie, ainsi que sur le code du même nom, et la responsabilité de l’entreprise fait profondément partie des traditions françaises. Même le MEDEF, peu suspect de faire prévaloir la justice aux intérêts matériels de ses membres, a suggéré au Premier ministre de retirer du projet le licenciement sans motif, c’est dire !
Sous l’angle de l’efficacité à résoudre le problème énoncé, à savoir celui du chômage des jeunes, l’apport du CPE reste très douteux. En effet, il existe déjà beaucoup de contrats (stages, intérim, alternance, période d’essai, CDD), qui permettent aux entreprises d’une part de faire varier leurs effectifs en fonction de l’activité, et d’autre part d’évaluer les candidats à un poste. Si le CPE apporte une flexibilité nouvelle et objectivement excessive, on ne voit pas qu’il apporte d’élément nouveau de nature à réduire le chômage des jeunes (mais peut-être son objectif réel est-il de résoudre d’autres problèmes ?). En revanche, l’augmentation de la précarité qui en résulterait est largement reconnu, même dans les rangs pro-CPE. Et là encore, le MEDEF, bien placé pour connaître les réalités de l’entreprise, a demandé la réduction de sa portée à un an, cette deuxième demande vidant le CPE de toute sa substance.
Lorsqu’on a posé que le CPE ne respecte pas les critères de la justice sociale, que son efficacité à résoudre le problème posée est très douteuse, et que son impact sur le bien commun est négatif (ajoutons au passage que la démocratie a été quelque peu bousculée dans l’affaire !), on peut se demander quelle mouche pique M. de Villepin à mobiliser ses qualités sur une inflexibilité mal employée plutôt que sur une recherche de sortie honorable. Cette attitude n’est pas sans rappeler celle de M. Raffarin sur la question du lundi de Pentecôte, dont on sait ce qu’elle lui a coûté...
Cela n’excuse pas, bien sûr, les débordements violents auxquels on assiste actuellement.
Violences, manifestations infiltrées par des casseurs, universités et collèges bloqués par des personnes souvent extérieures aux établissements, manœuvres politiciennes (y compris intra-UMP) de récupération des manifestations, incendies criminels (l’irréparable perte des cartulaires de la Sorbonne), etc. Mais ces débordements, d’une part, ne sont que la conséquence d’un raidissement sur une mesure inadaptée qui en constitue le fait générateur, et, d’autre part, font partie du « jeu politique », dont M. de Villepin n’ignore pas les règles, pour lesquelles il dispose de tous les moyens nécessaires (cabinet, communication, mouvements-godillots qui lui sont inféodés, police).
Il ne s’agit pas, non plus, de négliger dans ce dossier que l’intégration de la France dans des ensembles supra-nationaux réduit sa marge de manœuvre. Le pays ayant perdu beaucoup de son indépendance en matière économique, monétaire et douanière, ce type de projet vise à prendre en compte, dans la marge de manœuvre qu’il reste encore au gouvernement, les nouvelles contraintes induites des pays avec lesquels nous sommes maintenant en concurrence. Ce qui n’est pas sans poser d’autres questions de fond : faut-il s’aligner sur les conditions sociales des Chinois, ou rechercher un autre projet pour la France ? Il est à craindre que, CPE ou pas, les Chinois réussissent toujours à nous inonder de leurs productions. Voilà peut-être un sujet de débat qui pourrait différencier les candidats pour 2007 ?
Enfin, reste le problème du chômage, dont celui des jeunes.
Beaucoup de recruteurs et de DRH n’hésitent pas à souligner, même si l’expression est caricaturale, que « les jeunes ne veulent plus bosser ». D’autre part, l’idéal professionnel de 60 à 75% des jeunes de 18 à 25 ans, selon les sondages, est de devenir fonctionnaire (sic).
On perçoit très bien que l’un des aspects du problème, et peut-être le plus important, est celui de la valeur travail dans notre société, aspect sur lequel nos responsables politiques font l’impasse, et qui a été fortement dégradée par l’étouffement des responsabilités individuelles, et l’imposition d’un modèle social pesant, confinant à l’assistanat permanent. Il serait temps, à mon sens, que la culture au sens large, à commencer par l’enseignement, fasse prendre conscience, en particulier aux jeunes générations, que tout ne découle pas de l’assistance de l’Etat, que le travail est source de réalisation de soi et d’épanouissement personnel, que les ASSEDIC sont une assurance et non pas un mode de vie, que le travail un des fondements les plus importants de la solidarité, qu’il est un échange et non un dû, qu’il conditionne la liberté, et qu’une existence sans responsabilités individuelles, et sans les prises de risques qui vont avec, serait bien terne.
Mais ceci est une autre histoire !
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