Gergovie : des textes irréfutables
Ce que la postérité retiendra probablement de plus incroyable dans l’histoire de la guerre des Gaules est cette étrange difficulté que nous avons, encore aujourd’hui, à traduire et à interpréter correctement les textes grecs et latins qui nous en parlent. La muse antique qui inspirait jadis les poètes s’en est allée, nous abandonnant à nos incohérences, à nos passions et à nos fantasmes.
Premier témoignage, celui de Jules César.
Quel est le pays, quelles sont les cités sur lesquelles le général romain donne le plus d’informations ? Il s’agit de la Gaule. Il s’agit de Gergovie (cf. DBG VII, 36 - 52).
La ville (urbs) était posée (posita) sur un mont particulièrement haut (monte). Le mot urbs ne donne lieu à aucune hésitation. Il s’agit d’un ensemble de maisons formant une agglomération. Posita est un qualificatif couramment employé pour désigner l’assiette d’une ville. Contrairement à notre mot montagne dont le sens est assez vague, le sens du mot latin mons, montis est plus précis. Il désigne une forme de terrain en hauteur avec un sommet, tel que le mons Jovis. Cela peut être un très petit mont, un monticule, un mont de hauteur moyenne que nous appelons en français colline, ou un très haut mont, ce qui est le cas de la hauteur du Crest vue depuis le fond de la vallée.
César parle ensuite de l’oppidum. Il ne s’agit donc plus de la ville mais de la haute fortification qui la domine et la protège et dont il ne subsiste qu’une ancienne tour. Le vieux cadastre lui donne le nom de masure de l’ancien château. C’est là que se tient, logiquement, Vercingétorix. Le chef gaulois a installé ses camps autour de lui (circum se) sur le mont (in monte) près de l’oppidum (prope oppidum). La racine pro donne une indication supplémentaire : en avant de l’oppidum. Les camps ceinturent donc tous les flancs du mont. Et ce bon ordre est confirmé par le fait que Vercingétorix a pris soin de mettre des intervalles entre les troupes de chaque cité. Voilà ce que César a pu voir du fond de la vallée où il se trouvait mais qu’il n’aurait pas vu ainsi si les Gaulois s’étaient retranchés sur le plateau de Merdogne, site encore officiel de la capitale arverne !!!
Et César ajoute (atque), dans la même phrase, que tous les versants (collibus) de la ligne de crête (jugi) étaient tenus (occupatis), c’est-à-dire : occupés et défendus. Après la description de l’éperon du Crest, César nous fait ici la description précise de la montagne étroite de la Serre, avec ses deux versants. Le mot jugum ne donne lieu à aucune hésitation. A l’origine, il désignait très certainement l’échine d’un animal de trait, d’où le joug, mot dérivé. Sachant que les anciens s’inspiraient des formes vivantes pour désigner celles du terrain - exemple : une croupe - rien d’étonnant donc à ce que la montagne serpentine de la Serre ait été désignée par le mot jugum en raison de sa ressemblance avec l’échine d’un animal de type plutôt reptilien. Quant au mot collibus que le dictionnaire Gaffiot traduit par collines, il suffit d’étudier le contexte du récit de César chaque fois qu’il utilise ce terme pour comprendre que c’est le sens de versants qu’il lui donne.
Et le général écrivain conclut, toujours dans la même phrase, que sur quelque côté qu’on pouvait observer (dispici), le spectacle était terrifiant. Ceci signifie que César a fait le tour de la montagne depuis la plaine pour reconnaître la position de son adversaire, ce qui est tout à fait logique.
Ensuite, il évoque la colline/versant de La Roche-Blanche qui se trouve, en effet, aux pieds de l’éperon du Crest... bien que sur l’autre rive de l’Auzon.
Confirmation de mon interprétation, César précise que le dos de la ligne de crête (dorsum jugi) était à peu près plat mais étroit et boisé. On ne peut pas rêver de meilleure description de la montagne/plateau de la Serre. Quant à l’autre bout de l’oppidum, on le découvre à l’extrémité du plateau où s’offre, encore aujourd’hui, un autre accès possible, donc un endroit à défendre.
Faut-il encore d’autres arguments pour convaincre ? En voici d’autres : « La distance entre la muraille de l’oppidum et la plaine était à vol d’oiseau de mille deux cents pas, comptés à partir de l’endroit où la montée commençait (la montée à partir de la route qui conduit au village, côté est). » 1200 pas, cela fait 1,776 km. C’est très exactement la distance qu’on peut mesurer sur la carte depuis le ruisseau de l’Auzon jusqu’au Crest. Et César ajoute : « Il fallait ajouter à cette distance celle des détours qui rendaient la montée plus facile mais augmentaient la longueur du chemin. » Cette description correspond très exactement à l’actuelle route goudronnée en lacets qui monte au village.
Les murs de la ville, les murailles de l’oppidum, la porte attaquée par les Romains ? De tout cela, on en retrouve les vestiges dans les ruines actuelles.
Deuxième témoignage, celui d’un légionnaire, rapporté par le Grec Polyen.
« Une très haute montagne (la montagne de la Serre), sise au bord d’une plaine (la plaine de la Limagne) qui portait Gergovie (la ville du Crest) à sa cime (sur l’éperon), couverte de guerriers à l’aspect imposant dans le soleil levant, bien élevée et sûre, sans hauteur au voisinage qui la dominait.
César faisait le siège de Gergovie, place à la fois bien défendue par ses murailles et mieux encore par la nature : la hauteur où elle se trouvait constituait en effet une forte position qui présentait à son sommet un plateau (la montagne de la Serre). Sur le versant gauche (l’observateur se trouve à la Roche-Blanche), des fourrés épais et médiocrement élevés atteignaient la crête. Le versant droit était abrupt (il s’agit des falaises du plateau de la Serre) ne laissant place qu’à un passage étroit (Polyen évoque l’étroitesse du plateau). Les Gergoviens l’interdisaient. Choisissant les plus énergiques et les plus intrépides de ses soldats, César les dissimula pendant la nuit, tout armés, dans les fourrés (tout à fait à gauche, dans les fourrés de la vallée du ruisseau de l’Auzon). Il ne leur avait fait prendre que des javelots courts et de petites épées, pour que, pendant leur avance, rien n’émergeât des halliers ; il leur ordonna, par surcroît, de ne pas marcher debout, mais de se glisser doucement à travers les broussailles, en ployant les genoux. Dans le secteur de gauche, au point du jour, ils se mirent donc à travers les halliers, à monter en marche rampante vers le sommet, tandis que César, à droite, progressait avec le reste de l’armée, attirant sur lui l’attention des barbares. Ces derniers, naturellement, s’élancèrent pour repousser l’ennemi dont ils voyaient l’assaut se déclencher (à droite de l’observateur). Et pendant ce temps, sans être aperçus, les légionnaires qui montaient en rampant, (à gauche de l’observateur) débouchèrent des fourrés et s’emparèrent du sommet. » Mais Polyen ne dit pas qu’ils en ont été rejetés. Il n’en reste pas moins que son explication, bien que partielle, s’accorde tout à fait avec le récit que donne César. Voyez mon plan de la bataille tel qu’il a été repris par le site italien
Battaglia
di Gergovia
Troisième témoignage, celui de Sidoïne Apollinaire, au Ve siècle après J.C.
« Au couchant, la montagne, bien que de terre, est cependant abrupte. Elle s’est vidée en quelque sorte de sa substance, en répandant à ses pieds, comme par un enfantement gémellaire, ses deux versants, lesquels ne sont séparés l’un de l’autre à leur naissance que par une longueur d’environ quatre arpents (120 mètres, cela correspond à la largeur de la montagne/plateau de la Serre dans sa partie étroite). Les flancs de chaque versant suivent la ligne de faîte centrale, jusqu’au moment où se présente une place qui se prête à l’entrée d’une résidence, aux abords de la ville. L’enceinte extérieure de la ville regarde le nord et le sud. » Puis le poète nous fait la description la plus étonnante dont on puisse rêver de l’antique Gergovie qui, six siècles après la conquête romaine, ressuscite sous le nom d’Avitacum, le viacus de l’empereur Avitus, beau-père de Sidoïne.
Les croquis et les photos sont de l’auteur
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