La révolution, une fausse bonne idée ?
Je lis régulièrement des articles de blogs appelant à une nouvelle révolution politique. L’ennemi déclaré est en vrac le capitalisme, les médias, le nouvel ordre mondial, le libéralisme, la classe politique pourrie, les banksters, l’union européenne. Une révolution est-elle réaliste ? Quels mécanismes l’alimentent, et de quel éventuel projet de société est-elle porteuse ?
Tout va mal
Le mécanisme fondamental est de faire des listes interminables de ce qui ne vas pas dans un pays. Je lisais ce sondage effectué au pays où les citoyens sont maîtres en aut-dénigrement, la France, et relayé en vue de justifier une révolution :
- 56% des Français craignent le chômage,
- 65% estiment qu’il faut renforcer le pouvoir de décision de la France,
- 62% estiment que les politiciens sont corrompus,
- 72% estiment que le système démocratique fonctionne mal,
- 82 % estiment que les politiciens n’agissent que dans leur propre intérêt,
- 73% estiment que les journalistes ne sont pas indépendants.
Le mythe de la chute reste très fort dans notre culture. On pourrait évidemment faire une liste inverse et parler de ce qui va. Et surtout : comparer la société actuelle aux périodes pré-révolutionnaires. Les grands thèmes qui ont précipité les révolutions d’alors n’existent pas aujourd’hui. A l’époque les acteurs de la société médiévale, inégalitaire mais mutualiste, avaient perdu beaucoup crédit. La royauté absolue remplaçait déjà le système des trois ordres sans plus s’intéresser au sort des population rurales. La famine précipitait le peuple dans la rue. De plus la bourgeoisie commerçante montait en force et prônait un système libéral et un changement profond du système politique. Le « Siècle des Lumières », dont une des activités était d’éteindre les lumières brillantes du Moyen-Âge, avait posé les bases d’une nouvelle organisation sociale et roulait déjà pour le libéralisme. Il y avait un vrai paradigme nouveau à l’époque.
Deux points théoriques fondamentaux sont sortis de ce bouleversement : la liberté individuelle, donc le libre choix de sa vie, de ses idées, de son appartenance religieuse, entre autres. Et l’égalité, dont la démocratie et son droit de vote est une illustration forte : une personne, une voix. La société s’est largement réorganisée sur ces idéaux et le droit s’est fondé progressivement sur la question de ce nouveau paradigme : libre consentement, contrat, réciprocité, toutes notions élevant à un haut degré la liberté et en garantissant l’exercice généralisé.
Changer tout
En même temps deux autres mouvements ont été décisifs dans les transformations sociales : l’organisation des pays autour d’un Etat centralisateur et le développement de l’industrie et du commerce mondial. Aujourd’hui, la différence majeure entre les idéologies politiques se situe autour du rôle de l’Etat dans l’organisation de la vie des citoyens et dans la régulation économique. Faut-il plus d’Etat, plus d’intervention centraliste, plus de contrôle sur l’économie, plus d’encadrement ou d’assistance au citoyen ? Faut-il au contraire ne confier à l’Etat que les grandes fonctions régaliennes et desserrer son emprise sur la société ?
Depuis la période de la Renaissance et plus encore depuis la révolution française et à sa suite, la notion de progrès s’est également imposée. Alors que la société médiévale, profondément religieuse, ne voyait comme mouvement que celui du retour du Christ, la culture qui a pris sa place a posé le thème du progrès en nouvelle prophétie : « Demain sera mieux ». Le langage s’y est mis : on est progressiste ou réactionnaire. La technologie et la politique ont commencé à promettre un monde heureux, un monde sans peine, sans souffrance, libéré de l’accablement du travail, de la maternité et de la soumission. Nous sommes depuis lors dans un monde qui change constamment au point d’en être déstabilisé.
Le changement, dont on se méfiait au Moyen-Âge, est devenu un principe de vie et de société. La tranquille assurance médiévale dans le destin de l’humanité croyante s’est transformée en angoisse avec toutes les déclinaisons possibles dues au risque de non-performance ou de non-salut : économique, politique, sexuelle, intellectuelle. Aujourd’hui il faut avoir le nouvel iPhone, la nouvelle voiture, les nouveaux habits, aller dans le nouvel endroit à la mode, voter pour une nouvelle promesse politique, changer d’homme ou de femme, car l’ancien, ce qui existe déjà, est désigné comme la cause du manque de bonheur. Incapable de prendre vraiment sa vie en main l’humain demande à l’Etat le beurre et l’argent du beurre.
La révolution, page 8 du catalogue
Cette course en avant ne semble pas pouvoir être freinée par la sagesse des humains. On vote comme jamais dans la plupart des démocraties libérales. Certains voudraient voter encore plus souvent et disposer du pouvoir de mettre à la porte un élu à la moindre déception. Trop d’élus, pris dans l’angoisse de l’élection, passent une partie de leur mandat dans la séduction en vue d’être réélus. La pression écologique s’ajoute aux difficultés économiques : comment les humains pourraient-ils être content de ce qu’ils ont quand les médias et les politiques s’acharnent à nous peindre à monde sans foi et perdu ? Il faut une dose énorme de confiance individuelle dans la vie pour faire le contrepoids.
Le désir de révolution me semble du même ordre aujourd’hui que le besoin obsessionnel de changement. Le catalogue moderne de ventre par correspondance propose la révolution en page 8, entre un nouvel ordinateur portable et les couleurs à la mode cet été. Pourtant le degré de liberté, le vote, la possibilité de créer son propre univers professionnel, de faire des études, entre autres, sont des facteurs dont nous n’avons pas encore pris la pleine mesure. La révolution française et ses suites ont instauré des principes que nous n’avons pas fini de perfectionner. Le monde est en travail. Beaucoup sont attelés à ce travail. Or une révolution, qui suppose une rupture violente, n’est jamais que l’imposition opportuniste par un petit nombre d’une pensée qui se veut globale ou du moins que l’on imposera comme telle. Le passé a montré comment cela fonctionne. Qui peut encore être dupe ? Qui peut croire que l’étiquette de progrès a encore un sens autre que de prendre le pouvoir à son propre compte en discréditant ses adversaires ?
Une révolution n’est concevable que si elle a été préparée idéologiquement par des décennies de pensée uniforme, par une classe sociale capable d’entraîner le reste de la société dans son propre univers en utilisant à son profit des crises interne majeures comme par exemple une famine. Il ne semble pas que ce soit le cas aujourd’hui. Il y a beaucoup à perdre, et si peu à gagner. On peut améliorer le système. Mais une révolution a pour but de remplacer. Remplacer par quoi ? Tout est là. La loi et les les moyens existent pour limiter et modifier ce qui ne fonctionne pas et pour sanctionner les excès (cartels, détournements, etc). Et puis tout le monde n’est pas pourri. Le « tous pourris » est le slogan facile de ceux qui ne se mouillent pas et qui voudraient avoir des solutions simplistes à la complexité du monde.
La révolution est un besoin compulsif de ceux qui, pour quelque raison, ne veulent pas reconnaître la force du système, ni mettre leur énergie à l’améliorer. Ceux dont le besoin personnel d’être héros prime sur le bien de tous. Il ne saurait y avoir de vraie évolution sociétale sans une dynamique personnelle de conscience. Or aucune des idéologies révolutionnaires aujourd’hui n’en propose. Une révolution ne saurait donc mener au pouvoir que de nouveaux oppresseurs, à côtés desquels on aura tôt fait de regretter les quelques politiciens malhonnêtes ou pleutres actuellement en place, et la poignée de grands patrons qui font payer chèrement l’essor qu’ils tentent de donner à leur entreprise.
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