Pornographie et « thornographie » médiatique, de Sébire à Fourniret
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Le sexe comme l’amour et la mort relèvent du sacré. Qui n’a pas désiré regarder dans le trou de la serrure ? Pour voir les ébats amoureux. L’érotisme suggère, la pornographie entre dans la chambre nuptiale et filme l’acte sexuel. Ensuite, le marché commercialise ces documents ethnologiques, appelons-les films X en toute simplicité, qui, pour certains, ont un effet antidépresseur et pour d’autres un côté détente, récréatif. Le sexe et la mort. Que penser de l’exposition médiatique de ces deux affaires foncièrement distinctes, mais réunies sur un point essentiel. Le rapport avec la mort et l’exposition comme pour le sexe, « thornographie ». De Sébire à Fourniret.
Chantal Sébire, comme on s’en doutait, s’est donné la mort après un long combat contre la souffrance et une lutte symbolique pour en appeler aux autorités de l’Etat afin de pouvoir gérer sa propre mort en étant sûre que ceux qui l’aideraient ne seraient pas poursuivis par la loi. Puis ce fut la fin, logique, évidente comme une poétique dramatique analysée par Aristote, catharsis et rideau ! Mais ce fut sans compter les profanateurs officiels. Certes, les uns ont bien tenté de laisser cette dame tranquille et de différer l’information. Déceler du phénobarbital ne prend que quelques minutes d’analyse. L’annoncer a pris une semaine. Et les médias de suivre et la justice d’envisager quelques investigations pour savoir qui a procuré le poison à la dame qu’on ne veut pas laisser en paix et les médias de suivre. Un poison qui ne se trouve pas en pharmacie précise le communiqué. Quel intérêt à diffuser ce genre d’information, si ce n’est confirmer ce que tout le monde pressentait, un suicide, info qui n’ajoute absolument rien aux débats ayant suscité cette affaire. Et cette justice qui remue le drame, incapable de faire preuve de retenue et profanant cette tragédie en traquant quelques justes qui auraient aidé Chantal. Et ces médias qui jouent les justes en se délectant de l’idée du boycott des JO, mais sont bien incapables de boycotter ce genre d’infos justifiant une retenue parce qu’elles n’instruisent plus et ne jouent que sur l’émotion et l’évocation du scabreux, du suicide de Sébire, aux crimes de Fourniret ; médias qui du reste en redemandent. La vertu, elle est toujours louée quand elle est exigée pour les autres. Ceux qui la pratiquent sont au contraire très discrets et pudiques.
L’affaire Fourniret est d’un autre calibre, du lourd comme on dit. L’intéressé a déclaré être dépourvu de tout sentiment humain et vouloir le huit clos sous prétexte que ce qu’il a à déclarer n’est guère plus reluisant que le silence, singeant un précepte zen. On pressent le personnage, rien d’un paumé, mais tout d’une intelligence mise au service de la mort, un degré de plus que le pervers narcissique, lui aussi intelligent, mettant son subtil talent au service de la destruction de sa compagne ou son compagnon. Il y a les sex addicts, Fourniret est un death addict. Cet intérêt de la presse autour de cette affaire mérite un néologisme, celui de « thornographie ». Fourniret a déclaré refuser la médiatisation et la présence de ce qu’il désigne comme les badauds du scabreux. Les médias en premier lieu, ces « thornographes » épris de macabre. Et tels des vautours de la République jugeant que cette affaire les concerne, ils virevoltent autour du tribunal, chacals en quête de scoop pour sevrer une foule spectacularisée en quête de diversion, pour oublier le quotidien. Comme au bon vieux temps de la Terreur, quand les gens venaient assister aux exécutions à la guillotine sur la place publique. Maintenant, c’est par médias interposés que la mort fait vibrer les émotions, telle une mauvaise coke qu’on sniffe devant son écran pour planer quelques instants et oublier ses souffrances de l’âme. Et ces proches des victimes dont on se demande par quel masochisme ils sont venus s’infliger des tourments sans que le procès puisse leur proposer un zeste de rédemption.
Les médias filment la mort comme les réalisateurs de X filment les ébats sexuels. C’est cru et même cruel quand il s’agit de poursuivre le macabre dans ses moindres recoins, à l’instar du caméraman filmant en gros plan un sexe en action pour une diffusion cryptée, mais à la portée de tous les enfants. La mort médiatisée est livrée crûment, se banalise, comme la mécanique du sexe, la mort fait de l’audimat, comme la pornographie fait du chiffre, la mort occupe le cerveau émotionnel, comme les films X du reste. Mais on peut changer de séquence et lorgner du côté faste et érotiquement pudique de ce couple présidentiel en visite à Londres. On aurait dit du David Hamilton. Tout dans l’image, rien dans la cervelle. Carla Bruni en nonne grise asexuée en ballerines, mais offerte au fantasme comme les jeunes filles en tennis blancs et en flou dans les champs filmées par Hamilton. Du soft. Les médias ont retrouvé leurs fondamentaux. Mais quel ennui. Ce dîner de cons où rien ne se passe hormis Sarkozy toussant et la reine lorgnant sur Kouchner comme s’il faisait partie du repas, incarné en sac de riz cantonais. C’est là le problème. Quant on fait dans le X ou le porno soft, ce sont les dialogues et le scénario qui font défaut ! Mais ne blâmons pas les journalistes. S’ils traquent la mort, c’est parce que le public en redemande. Pourquoi ? Se distraire ? Exorciser l’angoisse de l’issue fatale ? Se délecter de quelques détails chirurgicaux sur les viscères de l’âme, le neurone qui veut en finir, les neurones qui compatissent, dans l’affaire Sébire, et le neurone assassin d’un Fourniret incarnant l’énième exemplaire de ces tueurs en série qui ont, du reste, fait écrire et vendre bien des journaux et des livres. La thornographie renvoie au sacré ; qu’on peut se permettre de diffuser à la messe du 20 heures, la une macabre, vite oubliée car les autres événements défilent et le timing n’aime pas qu’on le fasse attendre.
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