Depuis un peu plus d’un an, il y a une personne qui s’amuse franchement, c’est Stéphane Guillon. Un humoriste.
Enfin, une personne qui cherche à faire de l’humour.
Personnellement, je souris rarement à l’écoute de ses chroniques sur France Inter. Je trouve souvent ses blagues de mauvais goût. Il est très apprécié.
Il gagne sa vie à faire dans le caustique, sur scène, sur Canal+ et sur France Inter où il officie trois jours par semaine avant l’interview de l’invité de Nicolas Demorand. Inutile de dire que sa chronique est l’émission la plus écoutée de France Inter. Et la tranche horaire au top par rapport à la concurrence.
Bon, Stéphane Guillon n’est qu’un provocateur. Il écoute bien l’actualité (il le faut) et il cogne. Il cogne gratuitement. Enfin, pour l’audience. Dans les ficelles de la provocation, le politiquement incorrect, et donc, forcément, le sexisme, le racisme, le jeunisme, le complotisme etc. Plus il provoque, plus il a de réactions et plus il "buzze". Il a même dû être épaté du succès de sa chronique sur les faux singes vaccinés.
En général, si ses textes sont souvent méchants, peu approfondis, peu subtils sauf quelquefois, cela reste quand même bien senti. C’est léger. C’est une caricature. C’est sain. Bref, c’est de l’humour qui ne prête pas à conséquence. Et finalement, "on" ne lui demande que cela. Le but, c’est de dérider le pauvre automobiliste coincé dans son bouchon sur le périphérique pour aller à son travail.
Il n’est que lui. Il n’a aucune fonction politique ni sociale. Il est là pour s’amuser. Pour se moquer. Ce sont les autres qui le prennent pour ce qu’il n’est pas, à savoir, quelqu’un d’important, une voix qui compte dans la société.
Lundi 22 mars 2010, c’était Éric Besson qui était l’invité.
Vous vous rendez compte ? Il n’a peur de rien, celui-là ! Il est à peu près la cause à lui tout seul de la remontée du FN aux régionales, il est détesté par la plupart des parlementaires de la majorité et quelques heures après, Nicolas Sarkozy va faire un remaniement. Moi, à sa place, je me serais fait tout petit. J’aurais au moins attendu que le remaniement passât. Et si je restais, j’aurais paradé après, pas avant.
Lui aussi, c’est un provocateur, il n’y a pas de doute.
Alors, évidemment, c’était trop tentant pour Stéphane Guillon. Il a imaginé qu’Éric Besson était un agent du FN. Envoyé au PS pour couler Ségolène Royal puis à l’UMP pour couler Nicolas Sarkozy. Enfin, pour placer Marine Le Pen à l’Élysée et lui à Matignon. Et Éric Zemmour à la Culture. Ce n’est pas vraiment rigolo, mais c’est quand même bien vu. Une caricature. Comme Plantu avec son crayon.
Éric Besson arrive donc dans le studio sans avoir écouté la chronique de Stéphane Guillon. Mais son téléphone bruisse de sms de ses amis qui lui disent de réagir. Que les propos ont été racistes.
À sa place, j’aurais passé sous silence. Je n’aurais pas combattu dans la même catégorie. Faire rire sans chercher à proposer, construire, c’est plus facile que de faire de la politique, surtout avec ses retournements de veste opérés (ce n’est pas facile).
Ben non ! Sans avoir entendu les paroles, Éric Besson lâche sa colère. Et ça commence à faire brouhaha. Et patata et patati. On est à la limite de l’insurrection populaire, mais on papote du dernier pet mondain.
Éric Besson est conscient de sa réaction : « Lorsque je parle comme je suis en train de le faire, je sais très bien que je lui fais de la publicité, je sais très bien qu’on va considérer que c’est un martyr et qu’au nom de l’humour, il a droit de tout dire. ».
Mais ce dont Éric Besson ne se doutait pas, c’est que Stéphane Guillon, fort opportunément, en profite pour gagner un cran dans son rapport de forces avec son employeur.
Le lendemain, Jean-Luc Hees, le président de Radio France, se sent obligé de présenter ses excuses au ministre. En revanche, Nicolas Demorand défend Stéphane Guillon qui ne rate pas Éric Besson ce mardi matin dans sa chronique en comparant la démarche ministérielle à l’immaturité colérique et sanguine de sa fille Violette qui a trois ans.
Mais surtout, il lance une nouvelle pique contre le directeur de France Inter, Philippe Val, en prédisant : « Si jamais [Philippe Val] avait envie de me virer en juin, maintenant, il ne peut plus. Il est coincé. On dira qu’il obéit à Éric Besson. Heureusement qu’on s’apprécie beaucoup, ce n’est pas d’actualité. ».
Stéphane Guillon se sait un peu condamné dans la grille. Jean-Luc Hees ne voudrait pas vivre la fin du mandat de son prédécesseur Jean-Paul Cluzel.
En fait, Stéphane Guillon s’en moque. Il sait qu’il rapporte plus à France Inter que France Inter ne lui rapporte. Il est aussi sur Canal+, ses livres se vendent bien (reprise de ses chroniques), ses spectacles sont un succès, et il sort même un nouveau film en faisant l’acteur. Un travail qui n’a rien à voir et qui le met dans les traces d’un Coluche par exemple. Ou d’un Guy Bedos.
Grâce à ses victimes, il se fait de plus en plus connaître, de plus en plus apprécier. C’est cela, le rôle du provocateur. Et ses chroniques sont autogénérées : il parle de la chronique d’avant etc. Très égocentré. Très égo-bobo.
Éric Besson aussi a tout intérêt. Certes, il peut montrer un manque de sens de l’humour (on peut se rappeler que François Léotard avait écrit un article dans "Le Monde" contre les Guignols de l’Info), mais il fait avant tout parler de lui. Il en a tellement envie.
Bref, ce non-événement est devenu un événement médiatique qui, bien que dérisoire, occulte les vrais événements. Petite société médiatique qui tourne en rond et qui se complaît dans le dérisoire.
Finalement, Stéphane Guillon pourrait être ce qu’on appelle un troll : un type qui n’a pas de responsabilité ("on" ne lui demande pas d’en avoir), qui provoque, et qui réussit à susciter polémiques et discussions à n’en plus finir.
Car, c’est bien de cela qu’il s’agit, des discussions inutiles puisque Stéphane Guillon ne pense pas un mot de ce qu’il raconte, il se marre, c’est tout.
Pour aller plus loin :