Merci pour cet article très intéressant d’un point de vue historiographique. Il répond à plusieurs interrogations et approfondit (contrairement au film, on peut le déplorer ou pas - j’y reviendrai) le contexte philosophique, politique et moral.
J’ai justement vu 300 hier soir. Au-delà de beaucoup de ses aspects que je n’ai pas du tout aimés (rapidement : ésthétique hideuse, mise-en-scène grossière et sans grande personnalité, jeu exagéré des acteurs, etc.), j’avoue avoir oscillé sans cesse, en ce qui concerne le scénario et l’histoire, entre le rejet et la séduction.
Rejet, d’une part, du fort manichéisme du scénario, particulièrement par le manque de recul par rapport aux conditions morales dans lesquelles vivaient les Spartiates et les Perses à une époque somme toute extrèmement éloignée de nous à ce niveau. En particulier dans le fait que le Christianisme n’existait pas encore à cette époque, qu’elle en était même fort éloignée dans ses conceptions morales (ce que vous rappelez justement) et qui n’est pas du tout mis en valeur dans le film. Cet aspect aurait évité justement au scénario de sombrer dans la bête apologie de la violence virile - aspect qui n’est peut-être qu’apparent, mais qu’encore une fois un manque de recul rend étouffant. Une autre faiblesse du scénario, dans le même ordre d’idée, concerne selon moi la sous-intrigue politique entre la reine et Theron. Cet aspect de Sparte (le Conseil, les lois de la guerre, les malversations politiques, etc.) n’est que survolé, apparemment plus pour soulager le film entre deux scènes de combat que pour nous faire partager ce grand paradoxe, valable dans toute la Grèce antique, entre des institutions politiques relativement avancées et des guerres incéssantes et meurtrières.
Paradoxalement, d’autre part, séduit par l’aspect malin du scénario : malgré les faiblesses du scénario, on perçoit vivement, et même pour tout dire de manière assez émotionnelle, la force de l’engagement spartiate, leur absolue soumission à leurs lois, leur bravoure suicidaire pour défendre leur mode de vie et leur liberté. De ce point de vue, le dernier combat de Léonidas et de son dernier carré d’hommes est assez réussi.
Néanmoins, j’avoue rester sceptique quant au « message » du film. Vous appronfondissez très bien mon dilemne dans votre dernier paragraphe. Car si je considère les faiblesses du film telles que je les ai listées ci-dessus, je ne peux me départir de ce sentiment que le film ressemble très fort à une propagande virile et belliqueuse... Car mettre ainsi en avant et en valeur, encore une fois sans présenter aucun recul historique ou philosophique, l’exaltation de la force, du sacrifice, du sang versé, de la guerre comme seule activité noble, de l’eugénisme meurtrier, etc. me reste en travers de la gorge. Une réplique en particulier m’a mis en ce sens très mal à l’aise : « Il n’a pas dit »au revoir, mon amour« , car ici à Sparte, on n’est pas mou. Il n’y a pas de place pour cette faiblesse. » Présenter l’amour comme une faiblesse et la violence comme une vertu me paraît, surtout dans le contexte actuel, très tendencieux.
« Surtout dans le contexte actuel », oui, voilà, le mot est lâché. Je ne voulais pas, avant de voir le film, rentrer dans la polémique, que vous évoquez, dans laquelle Frank Miller s’est engouffré sans complexe, du « clash des civilisations ». Mais force est de constater que le film ne fait rien, euphémisme, pour l’éviter. Les Perses sont les ancêtres directs des Iraniens. Le film évoque même souvent le combat entre l’Asie (les Perses) et l’Occident (Sparte).
De ce point de vue, je voudrais aussi mettre en avant un aspect du film sur lequel je me suis interrogé : l’aspect fortement « fantasmé » des Perses. En effet, dans la seule séquence à l’intérieure du camp Perse, on voit évoluer bon nombre de créatures fantastiques, des « freaks », des « débauches » sexuelles, etc. En totale opposition, donc, avec le côté « loi et ordre » des Spartiates, qui rejettent les enfants difformes et moquent les Athéniens « philosophes et enc*leurs de petits garçons ». N’a-t-on pas là une très bonne illustration d’un certain ordre moral ? La barbarie et la débauche contre la pureté et la civilisation ? Très tendencieux, encore une fois... Tendencieux mais ridicule si l’on considère le côté « mirroir » de ce discours : les fondamentalistes religieux (qu’ils soient Chrétiens ou Musulmans) reprochent toujours aux autres leur barbarie et leur impureté ! Mais je m’éloigne.
Votre second degré dans l’analyse politique du film (les Américains garants de la Démocratie par la violence jusqu’au-boutiste s’il le faut contre le fanatisme aveugle des Islamistes) semble donc être la bonne vision du film. De plus, savoir que Zack Snyder, le réalisateur, est un fervent supporter de la NRA (National Riffle Association - je l’ai vu, à Paris pour la présentation des 30 premières minutes du film, arborer sans complexe une casquette frappée de ce logo), ainsi que son support à l’intervention en Irak, ne font rien pour adoucir cette impression.
Peut-on pour autant parler de propagande ? Certes le mot est sévère. On m’a déjà reproché, sur divers forums de cinéma américains, de « trop réfléchir sur les films, comme tous les Français ». Je ne le nie pas, mais, en ce qui concerne un film comme 300, doit-on absorber sans broncher la vision belliqueuse qu’il met ostensiblement en avant sans y réfléchir ? Voilà ma question. Car ne nions pas que nombre de spectateurs, et plus particulièrement Américains, ont parfaitement bien compris cet aspect du film !
Alors si je parle de « propagande », c’est tout simplement parce que 300 ne nous montre qu’un seul aspect des choses, sans recul, sans mise en perspective historique, philosophique et morale, et que donc le spectateur ne peut confronter les points de vues sur la seule vision du film. J’avoue m’inquièter de la multiplication des films (qui font d’énormes scores au box-office) de cet acabit (voir aussi Apocalyptico)...
Bien à vous.
PS : j’avais commencé mon tout premier post sur AgoraVox en pensant juste donner mon petit avis et le clavier a filé, soyez donc indulgent si mon argumentation a elle aussi filé !
28/05 18:40 - Fanch
La double mise en perspective ne me semble pas si binaire que cela. Je crois plus à un message (...)
28/05 18:24 - Fanch
Ce film est construit comme une BD très flashy avec beaucoup d’onomatopées et peu de (...)
23/05 00:24 - prgrokrouk
Je suis très partagé. De nombreux posts et l’Article sont d’un intérêt rare. Je me (...)
22/05 22:45 - Xerxès
Le monde entier a gouté à cette merde, pondue par une bande d’incultes Américains, avec (...)
18/05 13:39 - henry
De plus, toujours à propos d’inversion, j’ajoute que l’extrêmisme Islamique, (...)
18/05 01:49 - henry
Merci pour cette analyse intéressante, car en effet ce film a beaucoup de signification, même (...)
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