Au moment où les occidentaux continuent à faire évacuer leurs ressortissants
Le Liban devient le champ d’expérimentation du concept de projection de puissance
Le rapatriement des ressortissants devient en quelque sorte un alibi pour justifier le déploiement d’un dispositif militaire dont l’usage dépasse le strict cadre humanitaire
Mardi 15 Août 2006
Par Mahfoudh Yacine
Alors que le Liban continue de compter ses morts, les principales puissances occidentales se soucient de l’évacuation de leurs ressortissants. Les moyens pour assurer une telle tâche ne manquent pas : de gigantesques bâtiments de guerre équipés de tous les accessoires nécessaires pour l’exécution de telles opérations font la navette entre le Liban et Chypre, lieu d’évacuation des ressortissants. Ces évacuations sont devenues, au fil du temps, des opérations routinières faisant partie du meuble de cette guerre aux lendemains incertains. La médiatisation à outrance de cette guerre a banalisé quelque peu ces opérations d’évacuation des ressortissants étrangers. Mais cela n’est que la partie visible de l’iceberg. La face cachée en est que ces évacuations dénotent une volonté de la part de certaines puissances occidentales d’instrumentaliser cette guerre pour expérimenter leur capacité de projection de puissance. De fait, le rapatriement des ressortissants devient en quelque sorte un alibi pour justifier le déploiement d’un dispositif militaire dont l’usage dépasse le strict cadre humanitaire.
L’intervention dans les crises comme baromètre de puissance Ce penchant des pays occidentaux pour la projection de leur puissance participe de ce désir de réadapter leurs stratégies de défense pour faire face aux contingences de la nouvelle réalité géostratégique internationale née après la guerre froide. Les différents sommets de l’OTAN et de l’Union européenne, qui se sont tenus depuis le début des années 90 du siècle précédent, ont soulevé cette question de la capacité d’intervenir dans les crises et conflits tant elle donnait la mesure de l’étendue de la puissance d’un acteur de peser sur les relations internationales. Cette question est en fait un défi pour les Américains et les Européens qui, après la désintégration de l’URSS, devaient faire face à de nouveaux types de défis sécuritaires. Il s’agit en fait d’expérimenter leur aptitude à répondre efficacement aux crises et conflits internationaux. Désormais, l’intervention avant l’éclatement (la prévention) et après (la gestion) devient un axe prioritaire dans la stratégie transatlantique. Dans cette perspective, Européens et Américains font de l’intervention pour l’évacuation des ressortissants occidentaux l’un des piliers de leurs stratégies d’intervention. Ainsi a-t-on assisté aux interventions des armées américaines en Afrique (Côte d’Ivoire), françaises, et britanniques pour rapatrier leurs ressortissants bloqués dans des pays empêtrés dans des guerres civiles. Avec la guerre qui ravage actuellement le Liban, le désir de démontrer cette capacité de répondre aux crises et, par ricochet, de projeter sa puissance devient pour les uns et les autres une obsession. Les puissances occidentales se sont lancées dans une course contre le temps en dépêchant dans des délais relativement réduits leurs navires de guerre pour évacuer leurs ressortissants. On comprend aisément par l’exhibition à coup de renforts médiatiques de leur dispositif militaire déployé pour la circonstance que certaines grandes puissances voient dans cette guerre une occasion de prouver leur capacité à projeter leur puissance, une façon de signifier leur aptitude aussi à peser sur le cours de cette guerre. Peut-on parler dans ce cas-là d’une compétition entre ces grandes puissances dont l’origine remonte aux premières années de l’après-guerre-froide ?
Le Liban comme terrain de compétition euro-américain. On ne peut exclure une telle hypothèse sachant qu’Européens et Américains divergent sur la façon de gérer ce conflit. Et même s’il existe une certaine entente franco-américaine sur le meilleur moyen d’en finir avec cette guerre, en témoigne leur résolution conjointe, il n’en reste pas moins vrai qu’aussi bien Paris que Washington instrumentalisent cette guerre à des fins de puissance. Pour la France, ce qui se passe au Liban constitue un défi à un double niveau. En premier lieu, l’agression militaire israélienne assène un sérieux coup à son prestige et à son influence dans le pays du Cèdre, cela d’autant plus qu’elle est dans l’incapacité d’imposer un cessez-le-feu. En second lieu, cette guerre se veut un test pour sa capacité à faire face aux Etats-Unis en lui démontrant que la France de manière particulière et l’Europe de manière générale peuvent s’émanciper de la tutelle stratégique américaine. En dépêchant ses navires de guerre pour rapatrier ses ressortissants, la France voulait, apparemment, prouver aux Américains sa capacité de projeter sa puissance et, par extension, son refus de rester dépendante des américains. Une obsession qui la taraude depuis bien longtemps, et notamment depuis la fin de la guerre froide. La France s’est placée à la première ligne des pays réclament une plus grande autonomie vis-à-vis des Etats-Unis. La controverse soulevée au début des années quatre-vingt-dix sur l’identité européenne de défense n’est pas étrangère de cette obsession française de rendre la défense de l’Europe indépendante de celle des Etats-Unis. En exprimant un tel désir, la France a, en quelque sorte, exhumé des archives un vieux débat qui date de la période de la guerre froide : l’Europe doit-elle jouir de sa propre autonomie stratégique ? La désintégration de l’URSS a rendue cette question un peu plus saillante. Les différents sommets de l’OTAN ont le plus souvent été marqués par des dissensions entre partisans d’un maintien de la tutelle stratégique de l’OTAN (les Etats-Unis, s’entend) sur l’Europe et entre ceux qui souhaitent une émancipation stratégique de cette dernière. Le débat n’a pas encore été tranché même si la tendance est vers le maintien de cette tutelle. Quoi qu’il en soit, la projection de puissance demeure et demeurera le problème de discorde entre Européens (Français notamment) et Américains. Les crises et les conflits armés sont l’occasion pour les uns et les autres de démontrer leur capacité de se projeter dans des zones où les autres jouissent d’une certaine influence. Et dans cette guerre feutrée pour le contrôle des zones d’influence, le Liban constitue un terrain privilégié et un champ d’expérimentation par excellence pour les grandes puissances de se projeter au-delà leurs frontières stratégiques. M. Y.
21/11 18:47 - Rajaoelina Samuel
05/09 12:12 - David du Liban.
Je tiens à remerçier personnellement M. David Fournié pour son article, qui relate enfin une (...)
02/09 00:20 - Xerxès
@ Ceux à qui il faut faire un dessin pour comprendre l’histoire du régime Sioniste (...)
30/08 19:31 - magloire
Pas mal.Quelle inspiration de genie.Je me vois presque sur le champ de faire renaitre la (...)
26/08 11:57 - Patrick Adam
@ Christophe Exact pour ce qui est de la Syrie, on pourrait aussi signaler ceux qui sont (...)
26/08 11:43 - Christophe
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