(suite et fin du Chapitre I de « La main droite de Dieu »)
La proportionnelle intégrale, instaurée pour les élections législatives de 1986, offre au Front national un groupe parlementaire et l’installe dans la durée. Pour Pascal Perrineau [28], le changement de mode de scrutin s’inscrit dans la stratégie du président :
" Avec ces élections, on voit bien la gestion du phénomène Le Pen. On attend 1985, après les cantonales, pour donner un débouché politique au Front. C’est, à ce moment-là, l’utilisation du scrutin proportionnel.
- Cela faisait partie des 110 propositions du candidat Mitterrand en 1981 [29]...
- Oui, mais pourquoi attend-il 1985 pour le mettre en oeuvre ? Et pourquoi cet intégrisme dans le choix d’une proportionnelle intégrale [30] ? "
A la même époque, la stratégie présidentielle poursuit un deuxième objectif, complémentaire du premier : après s’être employé à diviser la droite, il s’agit de ressouder un électorat de gauche en déshérence, en favorisant l’émergence d’un pôle antiraciste. L’opération SOS-Racisme commence. Son symbole, la petite main frappée du slogan : « Touche pas à mon pote ! »
« Tout est parti du petit groupe Filoche [31], tenu par Julien Dray, Didier François, alias »Rocky« [32], et Harlem Désir, explique Benjamin Stora. Ils avaient été très marqués par la Marche des Beurs [33] et se disaient qu’il fallait faire quelque chose. Tous décident d’en parler à leur camarade Jean-Loup Salzmann, dont le père est en poste à l’Élysée [34]. Salzmann en parle au président, qui passe le bébé à Bianco. Et l’affaire est lancée [35]. »
Désormais, tout est piloté de l’Élysée. Jean-Louis Bianco, alors secrétaire général de la présidence de la République, témoigne sans retenue :
« Mon premier contact, c’est Jean-Loup Salzmann. Il m’a dit : »J’ai des amis qui voudraient lancer un mouvement et j’ai même un type pour le diriger, il s’appelle Harlem Désir... Je te jure, c’est son vrai nom !" Je rencontre donc pour la première fois Julien Dray, Rocky, Harlem Désir. On les met en contact avec Pilhan [36] pour la communication. On consulte aussi Marti [37].
- Pourquoi faire appel à des hommes de marketing ?
- Parce que c’est la plongée dans les sondages. C’est 83-84, les années noires pour le PS. Mitterrand voit à ce moment-là plein de gens, il commence à les écouter et il donne son feu vert... Pilhan les guide, leur dit : « C’est bon, c’est pas bon ! » Sauf pour l’emblème, la petite main, ça, c’est Rocky [38]. Vous savez, tous les gens qui sont sortis de ces années-là sont des créations de François Mitterrand : Élisabeth Guigou, même « Juju » [39] et Harlem, bien sûr...
- Et votre rôle concret dans le lancement de SOS ?
- Moi, j’essaie de les aider à trouver des financements des ministères [40]. "
Le ministère de la Culture répond à l’appel avec empressement. Ministre des « fêtes » et des « coups » tous azimuts, Jack Lang ne peut pas manquer une si belle occasion. Tout l’art consiste alors à récupérer le phénomène en se présentant comme l’un de ses inspirateurs : « J’ai participé à la Marche des Beurs en 1983. Plus tard, je réfléchissais à organiser moi-même ou à faire organiser un grand rassemblement. Je les ai vus, je leur ai donné un coup de main. Mais l’idée de la Concorde, c’était moi. J’ai bien versé de l’argent, c’était proprio motu et pas sur ordre. D’ailleurs, au début, je n’ai pas compris quels étaient les fils qui allaient de ce groupe à l’Élysée [41]. »
A ce financement public s’ajoute la manne des fonds dispensés par des industriels proches de François Mitterrand, comme Jean Riboud, PDG de Schlumberger, les frères Seydoux, des Chargeurs réunis, et Pierre Bergé, PDG de la société Yves Saint Laurent.
Le cofondateur de SOS-Racisme, Julien Dray, devenu député socialiste de l’Essonne, conteste tout « calcul machiavélique » de l’Élysée à l’époque et affirme même qu’en 1983-1984 « le PS voit SOS comme une divine surprise car il ne sait pas répondre au FN [42] ».
Quel usage politique François Mitterrand peut-il faire de l’instrument SOS-Racisme ? Pascal Perrineau livre l’analyse suivante : « On se redonne du contenu avec SOS-Racisme. Il y a la solution cynique qui consiste à utiliser le Front national pour diviser la droite et en même temps cela permet de ressaisir les socialistes et les déçus du socialisme en leur redonnant une identité et des valeurs. On se retrouve grâce à un diable xénophobe. François Mitterrand, pour sa part, a toujours privilégié une lecture cynique du Front national [43]. »
Notes :
5. Entretien avec les auteurs, ler juin 1994.
6. Sur ces relations estudiantines, voir Gilles Bresson et Christian Lionet, Le Paris, Éd. du Seuil, 1994.
7. Cette scène nous a été restituée par les deux protagonistes (Guy Penne, le 13 mai 1994, et Jean-Marie Le Pen, le 27 mai 1994).
8. Cette scène nous a été racontée par Georges Fillioud le 10 juillet 1990
9. Cette scène est racontée par Annik Beauchamps. Entretien avec les auteurs, 10 septembre 1990.
10. Entretien avec les auteurs, 6 novembre 1992.
11. Extrait sonore des archives de l’INA.
12. La fête des Bleu-Blanc-Rouge est la fête annuelle du Front national.
13. Entretien avec les auteurs, 20 septembre 1990.
14. Entretien avec les auteurs, 9 octobre 1990.
15. Interview au Monde, 20 juin 1990.
16. Entretien avec les auteurs, 9 octobre 1990.
17. Association ayant pour objet de " lutter contre le racisme, le fascisme, les idées et pratiques sécuritaires et xénophobes > .
18. Le 10 mai 1990, plusieurs tombes du cimetière de Carpentras sont profanées par des inconnus. L’émotion est grande dans toute la société française.
19. Sur RTL.
20. Le Président, Paris, Éd. du Seuil, 1990.
21. Entretien avec les auteurs, 25 avril 1994.
22. Entretien avec les auteurs, 26 mai 1994.
23. Entretien avec les auteurs, 8 mars 1994.
24. Entretien avec les auteurs, l-juin 1994.
25. Entretien avec les auteurs, 11 février 1994.
26. Propos rapportés par Benjamin Stora. Entretien avec les auteurs, 22 février 1994.
27. Entretien avec les auteurs, 28 octobre 1993.
28. Directeur du Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF), à l’Institut d’études politiques de Paris, Pascal Perrineau est l’auteur du Front national à découvert, en collaboration avec Nonna Mayer, aux Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989.
29. La proposition n°47 prévoyait : " La représentation proportionnelle sera instituée pour les élections à l’Assemblée nationale, aux assemblées régionales, aux conseils municipaux pour les communes de 9 000 habitants et plus. Chaque liste comprendra au moins 30 % de femmes. >
30. Entretien avec les auteurs, 17 mars 1994.
31. Gérard Filoche, leader de la Ligue communiste révolutionnaire, est à l’époque le mentor de Julien Dray, Didier François et Harlem Désir.
32. Didier François est aujourd’hui grand reporter à Libération.
33. Entre octobre et décembre 1983, à la suite de crimes racistes dans le quartier des Minguettes à Vaux-en-Velin (banlieue est de Lyon), est organisée, de Marseille à Paris une grande marche « pour l’égalité et contre le racisme ». Plus de 100000 personnes sont à l’arrivée dans la capitale.
34. Charles Salzmann est chargé à cette époque des sondages et statistiques au cabinet de François Mitterrand.
35. Entretien avec les auteurs, 22 février 1994.
36. Ex-directeur de stratégie à l’agence RSCG (cofondée par Jacques Séguéla), Jacques Pilhan est, avec Gérard Colé, à partir de l’été 1984, le conseiller en image du président de la République.
37. Claude Marti conseille divers hommes politiques, dont Michel Rocard, pour leur stratégie de communication.
38. L’agence de Jacques Pilhan, Temps public, réalise le projet de la petite main.
39. Surnom affectueux de Julien Dray.
40. Entretien avec les auteurs, 14 avril 1994
41. Entretien avec les auteurs, 20 avril 1994.
42. Entretien avec les auteurs, 9 février 1994.
43. Entretien avec les auteurs, 17 mars 1994.
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