Bonjour,
Pourquoi s’appeler Cadérange lorsqu’on écrit un article bien sympa comme celui-ci (et surtout quand ce même article fait la promotion de mon boulot de géologue ! :) ) Ceci dit, quelques petites exactitudes, pas bien graves cependant...
A l’époque de Jules Vernes, on ne connaissait absolument rien des abysses. Nous connaissons aujourd’hui un tout petit peu plus que rien et avons remplacer la fiction de Jules Vernes par quelques observations réelles (même si Jules Vernes a fait preuve d’une imagination déconcertante, parfois, de réalité !).
Aux XIXème et début du XXème siècles, nous n’avions qu’une très vague connaissance d’une « chaîne de montagnes » au niveau de l’Atlantique... Cependant, les océanographes de l’époque n’avaient pas concluent à un relief continu mais à une « zone haute » courant par endroit, au hasard des relevés bathymétriques identiques à de vulgaires fils à plomb. Les données étaient donc ponctuelles et avec un degré d’erreurs extrêmement important (dû par exemple aux courants marins ou à la morphologie même du fond). Il ne pouvait donc qu’être dessinés quelques trais caractéristiques des fonds marins, notamment le long des routes maritimes : un plateau continental, une pente, une zone abysale et quelques « colines ». Ce n’est donc que très tard (il y a environ 50 à 60 ans) que les premières cartes « intégrales » des fonds marins ont pu être réalisées avec une suffisante définition, notamment avec l’arrivée des premiers sondeurs mono-faisceaux... Et puis il y a eu l’invention des multi-faisceaux embarqués, puis tractés auprès du fond... Et c’est ainsi qu’il a été découvert la plus grande chaîne de montagnes au monde, courant sur plus de 60 000 km autours des océans : la Dorsale Médio-Océanique.
Nous n’avons cartographié aujourd’hui que de petites portions avec une relativement bonne définition, 100 m de résolution. Ceci ne suffit pas à une bonne exploration de la dorsale, d’autant plus que ce n’est qu’une petite dizaine de pourcent de la Dorsale Médio-Océanique dans sa globalité qui a été ainsi investiguée. Nous ne connaissons donc que ses grands traits morphologiques caractéristiques ainsi que quelques processus responsables à sa formation.
Aussi, la campagne franco-russe Serpentine 2007 équivaut à une portion de dorsale s’étendant entre 13° et 17°N dans l’Océan Atlantique, 144 km parcourus sur fond dont 96 km de cartographie haute résolution (4 degrés de latitude correpondent à plus de... 400 km !). Pendant les plongées du merveilleux Victor 6000 ont été prélevés 22 fluides hydrothermaux, 50 échantillons d’eau de mer, 255 échantillons biologiques et 128 morceaux de roche géo-référencés. Il y a eu également 10 dragages, une dizaine d’opérations de bathysonde et des relevés magnétiques. Et c’est une des premières campagnes au monde dont la cartographie descent sous les 100 m de résolution... Seulement quelques dizaines de centimètres de résolution, ce qui équivaut à une avancée technologique extraordinaire !!!
Ensemble, les processus géologiques et leur(s) réponse(s) biologique(s) peuvent ainsi être précisés, mais non élucidés et uniquement sur la zone d’étude bien entendu. Il est en effet encore illusoire de pouvoir reconstruire une histoire de la dorsale dans son intégralité, car chaque dorsale est différente l’une de l’autre et car chaque portion de dorsales évolue en son long. Si la campagne Serpentine 2007 a été d’un très grand succès (et cela devrait se connaitre dans les prochains mois avec le nombre de papiers publiés !), elle doit cependant être reconduite sur différentes portions.
Sinon, il y a cette phrase qui me dérange : « Une vie bien sûr très précaire car tout incident volcanique, tout mouvement tectonique, peut instantanément supprimer à ces espèces les éléments nutritifs qui leur permettent de vivre » Je ne pense pas que la variabilité nutritive évolue autant que cela ! Je ne pense donc pas aussi que des espèces peuvent être radiées aussi... radicalement ! Si cela est remarquable en un point, cela n’est pas forcément sur l’ensemble d’un site ni même si une portion de dorsale. C’est un peu comme sur le continent où l’extinction des espèces équivaut à une lente agonie qui prend souvent plusieurs milliers d’années (lorsqu’elle se fait naturellement). De plus, les processus tectoniques ne sont pas si rapides, et il apparait que l’extinction d’une fumeur noire ne se fait pas du jour au lendemain mais progressivement... Pour souvent reprendre un peu plus tard.
Et enfin, une petite remarque au passage. « Ce milieu est probablement proche de celui des premiers âges de notre astre, celui pendant lequel la vie est née. » Rien n’est moins sûr car les enregistrements de l’apparition de la vie sont inexistants et aucune vraie expérience scientifique n’a permi de recréer plus d’une dizaine de fois de suite, avec les mêmes conditions, une espèce de soupe originelle (acides aminés et compagnie). Nous n’en sommes qu’à l’état d’hypothèse donc...
En résumé, si l’article est très sympa à lire (et je suis heureux du réjouissement des intervenants du forum), il ne faut cependant pas trop s’emballer. D’une part, il y a une p’tite pointe de catastrophisme qui me dérange un peu. Et puis j’aimerai qu’un tel sujet montre combien la Recherche Scientifique est primordiale pour l’avancée de la Société et la connaissance de l’Humanité...
... d’où les problèmes actuels dans la Recherche française !
Bien à vous, Cédric