Et aussi :
Jacques Heers, célèbre et éminent médiéviste, directeur des études médiévales de la Sorbonne, a de fortes pages à ce sujet quand il écrit :
(pp. 169-170)
« On nous dit »sans les Arabes, vous n’auriez pas connu Aristote !« C’est inexact, archi faux. Parler d’ »Arabes" n’est pas seulement une facilité de langage mais une grave impropriété qui cache sans doute une mauvaise
volonté, à savoir la volonté de taire la véritable identité des auteurs musulmans les plus féconds et les mieux connus, ceux qui ont le plus écrit en toutes sortes de domaines.
C’étaient, pour la plupart, des Syriens, des Égyptiens ou des Espagnols qui, soumis par la conquête, avaient adopté la langue et l’écriture des maîtres. Les Perses, eux,
avaient gardé leur langue.
En tout état de cause, les clercs d’Occident n’ont pas attendu les musulmans. Aristote était connu et étudié à Ravenne, au temps du roi des Goths, Théodoric et du philosophe Boèce, dans les années 510-520, soit plus d’un siècle avant l’Hégire. Cet enseignement, celui de la logique notamment, n’a jamais cessé dans les écoles cathédrales puis dans les toutes premières universités et l’on se servait alors de traductions
latines des textes grecs d’origine que les érudits, les philosophes et les hommes d’Église de Constantinople avaient pieusement gardés et largement diffusés.
Les traductions du grec en langue arabe et de l’arabe en latin, que l’on attribue généralement à Avicenne, à Averroès et à Avicébron (auteur juif) sont apparues tard, pas avant les années 1200, alors que tous les enseignements étaient déjà en place en Occident et que cela faisait plus d’un siècle que la logique, directement inspirée d’Aristote, était reconnue comme l’un des « arts libéraux » du cursus universitaires. De
plus, ce que donnaient à lire les Arabes ne fut pas bien accepté. Les autorités ont interdit ces travaux d’auteurs musulmans qui revendiquaient pour eux seuls l’héritage antique mais qui ne présentaient que des versions « arrangées », inspirées davantage par une propagande religieuse que par le respect des textes originaux. Les
« traducteurs » avaient supprimé tout ce qui pouvait apparaître en contradiction avec l’enseignement de l’Islam.
En tout état de cause, ces traducteurs, auxquels nous devrions tant, n’étaient certainement pas des Arabes et, pour la plupart, pas même des musulmans. Les conquérants d’après l’hégire n’ont porté que peu d’intérêt à la philosophie des Grecs de l’Antiquité dont les populations soumises, em Mésopotamie, en Syrie et en Chaldée, gardaient pieusement
les textes et les enseignement. Les lettrés ne s’étaient pas tous convertis et n’ont pas, loin de là, adopté volontiers la langue de l’occupant. Le grec demeura langue officielle en Égypte et la Syrie jusque vers l’an 700. Le syriaque, parler araméen de la ville d’Édesse, ne fut abandonné par les lettrés qu’au cours du XIIIe siècle. Pendant plusieurs centaines d’années, les grands centres intellectuels de
l’Orient, Ninive, Damas et Édesse, sont restés ceux d’avant la conquête musulmane.
[...]
Dans les années 800, l’un des célèbres savants de Bagdad, Houmane ibn Isbak, helléniste distingué qui entreprit de longs voyages à travers l’Asie mineure pour recueillir quantité de manuscrits grecs, traduits ensuite dans son atelier d’écriture, était chrétien. En Espagne, la ville de Tolède et plusieurs autres cités épiscopales ainsi que les grands monastères étaient des centres intellectuels très actifs, tout particulièrement pour les traductions de l’antique, bien avant
l’invasion musulmane et la chute des rois Visigoths. L’école des traducteurs arabes de Tolède est une légende, rien de plus.
En réalité, ces travaux des chrétiens sous occupation musulmanes n’étaient, en aucune façon, l’essentiel. Ils ne présentaient que peu d’intérêt. Les chrétiens d’Occident allaient aux sources mêmes, là où ils étaient assurés de trouver des textes authentiques beaucoup plus
variés, plus sincères et en plus grand nombre. Chacun savait que l’Empire romain vivait toujours, intact, vigoureux sur le plan intellectuel, en Orient. Métropole religieuse, siège du patriarche, Constantinople est demeurée, jusqu’à sa chute et sa mort sous les Ottomans de Mehmet II, en 1453, un centre de savoir inégalé partout ailleurs. On n’avait nul besoin d’aller chercher l’héritage grec et latin à Bagdad ou à Cordoue : il survivait, impérieux et impérissable,
dans cette ville chrétienne, dans ses écoles, ses académies et ses communautés monastiques.
[Suit une longue liste d’exemples de la vivacité de cette culture antique vivante, exegèse de nombreux auteurs latins par évêques, sculptures dans palais impériaux sur les exploits d’Achille, d’Alexandre, etc.]
Nos livres de classe disent que [nos hommes d’Église, marchands et savants d’Occident] ils ont attendu les années 1450 et la fuite des habitants des rives du Bosphore devant les Turcs pour les découvrir et connaître les savants et les lettrés grecs, pour faire d’eux leurs maîtres, mais c’est, là encore, pécher par ignorance ou par volonté de tromper.
[suit description de l’importance de Byzance en termes économiques et les traductions faites par les Italiens négociants des Pères de l’Église, des traités de médicine de Gratien et Hippocrate, recueil d’avis juridiques de Justinien, etc.]
"
Forts passages également que ceux qui portent sur la réalité de la coexistence entre les « trois religions du Livre » dans l’Espagne musulmane.
http://www.amazon.fr/L-histoire-assassin%e9e-pi%e8ges-m%e9moire/dp/28...
http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=1820996
L’histoire assassinée : Les pièges de la mémoire (Broché)
de Jacques Heers
# Broché : 269 pages
# Editeur : Editions de Paris (5 avril 2006)
# Langue : Français
# ISBN : 2851621750
... Bill