JOURNALISTES PRÉCAIRES
En 1998 paraissait le livre Journalistes précaires, ahurissante plongée dans les ateliers de confection médiatique coordonnée par Alain Accardo.
7 ans plus tard (2005), le nombre de précaires munis d’une carte de presse était passé de 5 000 à plus de 6 000, sans compter les innombrables journalistes non encartés qui zigzaguent entre Assedic, débrouille et tafs alimentaires.
Alors que la lanterne des citoyens ne s’éclaire quasiment plus qu’à la lumière des Lagardère, Dassault, Bouygues ou Rothschild...
« En termes d’aggravation continue... On pouvait s’y attendre, étant donné que les causes fondamentales du phénomène de précarisation du travail salarié ne sont pas plus combattues dans la presse qu’ailleurs. Le phénomène étant approuvé, justifié et encouragé aussi bien par nos dirigeants politiques que par nos économistes les plus autorisés, au nom de la mobilité, de l’ouverture et du changement exigés par la modernité, on ne voit pas pourquoi les entreprises de presse comme les autres se priveraient de ce bon moyen d’accroître leur rentabilité. » Alain Accardo
Malgré les soucis matériels et les humiliations, le journaliste précaire se sent rarement du même monde que les intérimaires du bâtiment ou les caissières en CDD. L’illusion d’appartenir à une profession prestigieuse lui permet de se sentir différent, de rester corvéable et de ne pas regimber contre sa condition.
Il est certain que la forte attraction que le journalisme exerce, notamment sur les jeunes, est liée au prestige qu’il possède aux yeux du grand public, lequel n’en connaît d’ailleurs que la vitrine la plus illuminée et la plus fallacieuse.
Dans une société structurée par des rapports de domination, les dominés des uns sont les dominants des autres, d’où l’extrême difficulté de fédérer les dominés, spécialement ceux de la petite-bourgeoisie qui préfèrent être inférieurs chez les bourgeois qu’à égalité avec les prolos, alors même qu’ils sont victimes de cette nouvelle forme de prolétarisation objective qu’entraîne souvent la précarisation du travail, même dans le tertiaire.
La précarisation des journalistes n’est pas seulement imputable aux grands groupes de presse et d’armement, qui après tout n’ont jamais caché leur amour du tiroir-caisse.
Elle se pratique aussi dans des journaux ou chez des producteurs qui se revendiquent de gauche et dénoncent la précarité chez les autres.
Exemple : l’éviction par Daniel Mermet de deux journalistes en CDI qui refusaient le statut de pigiste auquel l’animateur voulait les rétrograder.
Même remarque pour Le Monde diplomatique, réputé pour le tarif cassé auquel il paie ses précaires, ou pour Charlie Hebdo, qui ne tolère que des bons soldats.
Beaucoup de pigistes expliquent d’ailleurs qu’il est particulièrement pénible de travailler pour un taulier de gauche, que ce soit en termes de revenus ou de despotisme.