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Commentaire de Marsupilami

sur Daniel Carton, l'homme qui dérange l'establishment des médias classiques ?


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Marsupilami Marsupilami 22 juin 2007 11:22

Le commentaire de Icxs Pey, qui se fait très mal noter par les Agoravoxiens, est pourtant pertinent. En témoigne cet article du San Francisco Chronicle repris par Courrier International (vu qu’il n’est accessible qu’aux abonnés en ligne, je vous le copie-colle pour information) :

La presse asphyxiée par les moteurs

Etranglés financièrement, les journaux réduisent le nombre de leurs journalistes. Pour éviter qu’ils ne disparaissent, Google et Yahoo !, en partie responsables, doivent leur venir en aide. En annonçant, au début du mois de mai, la suppression de cent postes de journaliste en raison d’une crise financière croissante, le San Francisco Chronicle a ouvert le dernier chapitre de l’histoire tragique du déclin du journalisme traditionnel. Le groupe Hearst, propriétaire du journal (qui perd 1 million de dollars [740 000 euros] par semaine), estime qu’il n’avait pas d’autre choix que réduire ses coûts en licenciant toute une série de professionnels qualifiés ou en incitant les journalistes les plus expérimentés à partir. Les départs toucheront le quart de la rédaction du Chronicle.

A l’ère des nouveaux médias, cette compression de personnel est peut-être, de mémoire récente, la plus sévère qui touche un “vieux” média, mais elle n’a rien de neuf pour le grand public. Les facteurs ayant engendré cette situation sont tristement connus. L’essor d’Internet a engendré une chute brutale des recettes publicitaires de la presse écrite. Les sites de petites annonces gratuites comme Craigslist.com ont gravement entamé l’une des sources traditionnelles de revenus de celle-ci. Si de nombreux journaux se sont efforcés de se forger une présence sur la Toile - y compris le Chronicle, dont le génial sfgate.com fait partie des dix sites d’information les plus visités des Etats-Unis -, les recettes des annonces en ligne sont misérables par rapport à celles du traditionnel support papier. Résultat, des journaux comme le Chronicle doivent réduire leurs effectifs pour survivre - et ceux qui doivent partir sont des journalistes extrêmement compétents qui se consacrent à la recherche et à la couverture de la vérité, en toute indépendance et sans peur ni parti pris.

Le citoyen moyen ne perçoit peut-être pas à quel point ces compressions de personnel menacent l’accès des gens à des informations importantes réunies selon des exigences élevées. Lorsqu’on supprime des emplois de journaliste - et, en particulier, en aussi grand nombre que le Chronicle l’envisage -, le produit est inévitablement moins bon qu’il ne l’était. Le fait est qu’il n’y aura rien sur YouTube, ni dans la blogosphère, ni ailleurs sur la Toile pour remplacer efficacement le précieux travail de ces professionnels. Il y aura moins de moyens pour enquêter, par exemple, sur des affaires aussi importantes pour le pays que le scandale BALCO [laboratoire californien qui a fourni des produits dopants à plusieurs grands noms du sport américain] ; moins de professionnels pour s’entêter à dévoiler les pratiques financières douteuses de l’université de Californie et contraindre certains dirigeants à reconnaître publiquement leurs erreurs et à les réparer ; moins de journalistes pour suivre les mairies, les tribunaux et les écoles locales et transmettre à la communauté des informations que celle-ci considère comme dues et sur lesquelles les autres médias, télévisions et radios locales incluses, se fondent pour élaborer leurs programmes d’informations.

Une société plus vulnérable à la propagande politique

Il n’y aura pas moins d’informations ni moins de scandales ; seulement moins de limiers formés aux dures tâches d’enquêter sur l’événement et d’en assurer la couverture. Les adorateurs des sites d’information en ligne, du journalisme “citoyen” et de la blogosphère des journalistes autoproclamés avancent que les vieux piliers de l’information comme le Chronicle n’ont en fait que ce qu’ils méritent. Si les “vieux” médias ne peuvent pas s’adapter à l’ère numérique, tant pis pour eux, soutiennent-ils. D’ailleurs, les groupes de presse n’ont jamais été tellement bons, et il leur est déjà arrivé plus d’une fois de faillir misérablement à leur mission. La Toile ne manque pas de solutions capables de remplacer le journalisme traditionnel, par exemple les millions de blogueurs qui donnent leur opinion sur l’actualité, sans parler des puissants agrégateurs comme Google et Yahoo !, dont les moteurs de recherche récoltent une foule d’informations et de contenus fournis par d’autres... et génèrent des milliards de dollars chaque année pour leurs propriétaires.

Moi qui enseigne le journalisme, je vois les choses différemment. Je vois un monde où l’art de transmettre une information en toute indépendance et sans parti pris est extrêmement menacé. Je vois aussi émerger une société de plus en plus divisée, de fait moins informée et plus vulnérable à la propagande politique et commerciale, aux clichés et aux partis pris. Je vois un monde dans lequel la poursuite de la vérité au service de l’intérêt général perd sa valeur culturelle au milieu du tumulte technologique, un monde où le journalisme professionnel pratiqué selon une éthique largement reconnue disparaît rapidement de systèmes d’information en pleine expansion car tout le monde va sur la Toile pour se repaître de la dernière actualité. Je vois un monde dans lequel de grandes sociétés comme Google et Yahoo ! continuent à s’enrichir sans reverser grand-chose aux entreprises journalistiques, tandis que des légions de journalistes professionnels se retrouvent aujourd’hui sans emploi aux Etats-Unis parce que leur employeur, un vieux média, ne peut plus se permettre de les payer.

Il n’y a pas longtemps, Sam Zell - le milliardaire de l’immobilier qui a racheté, début 2007, les journaux du groupe Tribune, parmi lesquels le Los Angeles Times [voir CI n° 838, du 23 novembre 2006] - a mis les pieds dans le plat et comparé Google et Yahoo ! à des pirates des temps modernes qui raflent les trésors produits par d’autres. “Si les journaux des Etats-Unis ne laissaient pas Google voler leur contenu, Google serait-il rentable ? Pas tellement”, a-t-il déclaré en avril, lors d’une conférence à l’université Stanford. Les dirigeants de Google déclinent, pour leur part, toute responsabilité dans les malheurs que connaît aujourd’hui la presse américaine. Pour eux, leurs services d’information aident simplement les gens à trouver ce qu’ils cherchent. Les problèmes des journaux sont dus, à leur avis, aux forces du marché, qui sont animées par une révolution technologique permanente. C’est cet argument que Marissa Mayer, la vice-présidente de Google, a invoqué fin mai, lors d’une conférence sur l’état de la presse américaine, rappelant simplement que “nous [Google] sommes informaticiens, pas journalistes”.

C’est peut-être vrai, mais il est temps que les groupes comme Google acceptent de prendre davantage de responsabilités en ce qui concerne l’avenir de la presse, en reconnaissant la menace que l’“informatique” fait peser sur la place du journalisme dans une société démocratique. On ne peut plus accepter que les dirigeants de Google déclarent ne pas faire de journalisme, mais uniquement s’employer à fournir des liens vers les “fournisseurs de contenu”. Le journalisme, ce n’est pas qu’une question d’emplois et de pertes financières : c’est une institution pu-blique essentielle dans une société libre. Il est évident que Google et les groupes similaires, qui tirent indirectement des bénéfices énormes du coûteux travail des journalistes, doivent commencer à prendre leurs responsabilités. Google pourrait d’une façon ou d’une autre soutenir davantage l’industrie de l’information traditionnelle et les journaux locaux importants, devenant ainsi un acteur de la solution et non plus une partie du problème.

L’information se résumera aux délires des blogueurs

Google et Yahoo ! pourraient offrir un soutien plus direct aux écoles de journalisme, de façon que les valeurs et les compétences de cet art soient transmises à la prochaine génération. Ces entreprises florissantes pourraient s’associer plus étroitement au travail d’organisations vénérables comme la Société des journalistes professionnels [créée en 1909, c’est le principal organisme professionnel aux Etats-Unis] pour soutenir leur mission et préserver ce métier important. J’aime à penser que c’est possible. Dans le même temps, je ne peux m’empêcher d’imaginer un avenir dépourvu de journalistes compétents, dans lequel le moteur de recherche Google Actualités ne fournirait pas des informations mais les derniers délires de blogueurs isolés et les informations truquées du gouvernement et de services de communication, habilement déguisées en journalisme par des publicitaires qui ne souhaitent que vendre, vendre, vendre.

Neil Henry, ancien correspondant du Washington Post, il enseigne le journalisme à l’université de Californie à Berkeley. San Francisco Chronicle.


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