M. Jegou,
Les points que vous soulevez me paraissent clairs.
Je crois qu’ils sont intellectuellement partagés par beaucoup. Ce qui semble beaucoup moins clair : pourquoi ça n’avance pas, pourquoi on a l’impression d’être de plus en plus éloigné du but, pourquoi l’armée des démocrates apparaît de plus en plus faible. Bref, pourquoi la faille de représentation n’aboutit à une réforme démocratique ? La question est : représenter oui, mais quoi ? Quand on saura quoi représenter, quel moteur social représenter, les choses changeront dans le bon sens.
Un premier point : la confusion entretenue des phases démocratiques ; la contradiction entre ce qui était écrit, ce qui est dit, ce qui se fait.
Quand on vote pour un Président on nous dit : on vote pour un projet. Mais alors on ne vote plus pour un homme ?! on vote pour le gouvernement ?! Les années passées de cohabitation ont montré historiquement et de fait que l’élection présidentielle n’est pas celle d’un projet mais celle d’un individu. D’ailleurs, Sarkozy l’a bien compris : il individualise toute la politique.
Après les Législatives : on se dit là on vote pour un projet et on nous dit non, là vous votez pour des hommes de terrain. Pourtant ce qui en sort c’est l’Assemblée NATIONALE et non une assemblée de représentants locaux. Et un gouvernement donc un projet.
Et ainsi de suite. De fait on glisse vers un Président-gouvernement, un Premier Ministre rien du tout, un gouvernement exécutant et une Assemblée qui n’est plus nationale mais une somme départementale. Tout ça dans le non-dit ou dans le tout-dit-et-son-contraire. Ce n’est plus une Constitution appliquée mais une bouillie faite de restes.
Deuxième point : il faut savoir quelle force réelle fera la prochaine démocratie. Il faut un moteur social réel. Le moteur de la démocratie fut pendant longtemps l’équilibre dans la société entre des forces économiques dirigeantes et des forces syndicales et associatives. Aujourd’hui ce moteur est fini mais aucun autre ne vient le remplacer. Cette absence de fond démocratique réel crée les conditions d’une accentuation dans le mauvais sens, dans le sens de l’individualisation de notre système. La construction (et sa détection, parce que ce moteur d’avenir est déjà là) de la nouvelle force sociale et démocratique de la société est la tache politique principale dans les pays avancés.
Cordialement, Pierre Arrighi