L’Université, rien n’est simple....
C’est une très vieille dame, rayonnante au treizième siècle, perclue de rhumatismes au seizième, plutôt comateuse jusqu’à Napoléon qui essaya d’en faire quelque chose, sous la surveillance de l’église à l’époque du second empire, et rescussitée avec la République au dernier quart du dix-neuvième siècle. Cette vieille souche n’a cessé depuis de multiplier ses racines et ses rejets. La théologie, la médecine et le droit furent ses passions de la première heure, puis les lettres, la philosophie, les sciences exactes ou humaines... Elle est obèse depuis deux générations et souffre de palpitations dès qu’elle remue...
Certains la traitent de service public, c’est la confondre avec la poste ou la sncf : ici le prix du timbre ou du billet garantissent pour tous un résultat précis et personne n’espère que sa lettre arrivera sans timbre ou que le prix du billet ne vaudra que le centième du kilométrage... Ce n’est pas parce que trop de bacheliers entrent la tête en bas dans la cour des universités qu’elles peuvent garantir qu’ils l’auront sur les épaules à la sortie... Cette institution de la république a pour vocation de fournir des élites dont nous avons besoin. Quand elle défaille, on se tourne du côté des grandes écoles, qui sont nées souvent de l’incapacité des universités à prendre en charge de nouvelles disciplines. Un équilibre s’est institué au fil des temps : aux grandes écoles les formations pour le secteur privé, la haute administration, aux universités la formation des cadres du secteur public... Le partage était si tranché que dans les années soixante ou soixante-dix, un docteur en chimie de l’université avait plus de chance de vendre des champagnes que de faire des recherches du côté de Rhône-Poulenc... Depuis queques années on parle de malaise. Celui des étudiants frais sortis des lycées qui débarquent dans le supérieur avec un ticket d’entrée qui ne coûte rien, moins difficile à obtenir du premier coup que le permis de conduire les véhicules à moteur... déshabitués des livres et des savoirs conséquents, nos jeunes amis ont du mal avec les textes, les bibliographies, l’orthographe et la conjugaison... pour le reste ils sont évidemment aussi astucieux que leurs aînés mais peu préparés à encaisser le coût du temps perdu dans les apprentissages bénins du secondaire. J’ai entendu des voix graves prétendre que le but des universités était de former des citoyens... admirable chanson dans une république qui n’aurait plus besoin de savants...j’ai entendu un proviseur de lycée soutenir que l’instruction civique était la discipline la mieux adaptée à la préparation des lycéens à l’enseignement supérieur... C’est sans doute pour cela que des étudiants de première et deuxième année de géographie traitent de salope une maîtresse de conférence qui leur demande de lire trois ouvrages de cent pages en quinze jours... que d’autres demandent qu’on relève les notes de leur devoir hors-sujet car « j’y ai passé tout un week-end.. » Mais laissons là ces intrusions de vulgarité ordinaire que tout démocrate est bien obligé de supporter. Le refus de la sélection est une des mammelles du syndicalisme étudiant. On ne rêve que de « décantation » naturelle en quelque sorte, chacun finissant par trouver sa chacune, sans bagarres ni dangers. A quel âge faut-il prendre le risque de se tromper ou d’essuyer un refus ? Tout le monde se vante de son Bac + n et réclame en conséquence des salaires convenables, à commencer par les infirmières qui le méritent amplement... Mais que signifient ces bac+ s’ils ne sont que des « passages » guère plus dangereux que ceux des clases de collège et de lycée ? De quel droit des demi-instruits peuvent ils ensuite prétendre à mieux que des travailleurs manuels sous-estimés ? La sélection veut dire qu’il n’y a plus de moyenne qui compte et que faire des études est un investissement personnel, famillial et social qui vaut la peine d’être vécu. Donc ce n’est pas un délit d’exiger qu’après quatre ans d’études il faille faire ses preuves pour prétendre à la prétention. Les chercheurs ? Ils sont bien formés en France. Dans le climat de désindustrialisation et de financiarisation de l’économie que nous connaissons, ils souffrent du désintérêt chronique du secteur privé pour la recherche. Ce n’est pas un hasard si on a inventé le CNRS, l’état se substituant aux défaillances du privé. Les entreprises françaises ont trop souvent fait l’économie de l’investissement à long terme : sur la main d’oeuvre en ravalant l’apprentissage au pis-aller, dans les labos en limitant les frais. C’est la grande différence avec nos voisins allemands qui dépensent par apprenti deux fois ce que nous dépensons par étudiant et où depuis le 19ème siècle le privé finance la recherche... Donc ouvrir les universités sur le secteur privé ce n’est pas un abandon c’est aussi forcer le privé à prendre en charge une partie de l’effort national, ce qu’il se garde bien de faire... et je parie volontiers qu’on ne verra pas le medef descendre dans la rue pour exiger de prendre une part dans les budgets de la recherche.... Nos « chercheurs » devront heureusement ou malheureusement poursuivre leurs séjours à l’étranger... En ce qui concerne les universités, on ne dispose pas d’un état précis des publications... tous les universitaires ne publient pas au même rythme et quelque chose me dit que certains d’entre eux mènent une vie de sous-préfet aux champs, que d’autres sont bouffés par des tâches d’enseignement en surnombre....Le bilinguisme n’est pas bien établi et si nos facs sont invisibles depuis la chine c’est que nos publications ne sont pas assez traduites... Les franco-français sont inconscients de leur isolement linguistique. Le système universitaire est aujourd’hui mondial et il est tout à fait normal par exemple pour un jeune docteur en géographie de parler couramment le coréen et l’anglais, d’enseigner en chine , aux pays-bas , d’être invité à des conférences à athènes ou Sydney... de se voir proposer des contrats de recherche à Séoul, accepter des articles dans des revues françaises et anglo-saxones réputées, et d’être refusé pour un poste de maître de conférence dans une université française où « vous comprenez, ici, on forme surtout des enseignants (sic) » . je n’en dirai pas plus pour ne gêner personne. Il est donc évident que l’argent du contribuable ne peut suffire à tout et qu’il faut ouvrir les fenêtres largement pour débarrasser les amphis des toiles d’araignées... Le risque de l’université à deux vitesses est un risque imaginaire, car nous sommes déjà dans un monde à deux vitesses ou l’université s’asphyxie. Cela fait belle lurette que les enfants d’ouvriers et d’employés ne représentent plus que 5% des grandes écoles contre 20% en 1968, que la classe supérieure s’auto-reproduit à qui mieux-mieux... donc que l’école et l’université ne sont plus au service que d’elles-mêmes, comme si le mépris de l’intérêt national avait eu pour conséquence l’aveuglement des institutions.
26/06 06:58 - michel ducruet
Bonjour Armand, vos observations sont les bienvenues, mais en reconnaissant que les situations (...)
25/06 20:49 - armand
Intéressante synthèse et état des lieux - avec quelques effets caricaturaux quand même. La (...)
25/06 07:48 - michel ducruet
L’Université, rien n’est simple.... C’est une très vieille dame, rayonnante (...)
22/06 17:39 - Ploum
Vous avez raison Armand, une différence fondamentale entre l’université et les classes (...)
22/06 15:22 - Ploum
L’université dernier bastion du trotskysme ? C’est du flan, le trotskysme est un (...)
22/06 13:31 - bozz
et paf dommage mon petit Ploum, je connais particulièrement bien l’université pour y (...)
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