M. Reboul, j’ai plaisir à vous retrouver 16 ans après le bac.
Si je partage votre point de vue sur la nécessité de respecter l’iconographie des religions, quelles qu’elles soient, je voudrais ajouter une réflexion.
Les réactions émanent maintenant des Etats eux-mêmes, et s’expriment à l’encontre d’Etats et non des auteurs des caricatures incriminées.
Je crois que votre distinction entre l’intolérance de ceux qui réagissent, et leur droit à le faire, bien que frappée au coin du bon sens, disparaît maintenant sous les flots de ce qu’il est convenu d’appeler un incident diplomatique grave.
Vous parlez de guerre des dieux, je parlerais plus volontiers de guerre des civilisations.
Les démocraties européennes se réclament d’un fondement spirituel : l’humanisme (les droits de l’homme si vous préférez ce terme), qui est ni plus ni moins qu’une vision du monde par une société donnée à une époque donnée, au même titre que toutes les autres civilisations, ni plus ni moins justifiable à l’échelle de l’Histoire. Elle défend l’individu, comme la religion prône une morale religieuse ; elle structure la société, comme le fait n’importe quelle cosmogonie ; elle est issue d’une histoire, de traditions (en majorité judéo-chrétiennes, soit, mais tenons-nous en aux principes de la laïcité).
Il n’existe pas de démocratie mondiale. Pas de régulation non plus des dialogues entre les civilisations en dehors du « marché ». Il n’existe pas, pour simplifier, de lieu commun de spiritualité. Pas d’universalité.
Aussi, lorsqu’il y a conflit entre les modes de pensée des uns et des autres, et que ce conflit peut se cristalliser sur des territoires, inévitablement, la guerre est à portée.
Le terrorisme, ou guerre civile selon les endroits, est la manifestation de cette guerre de civilisations sur des territoires où les sociétés sont imbriquées.
Par conséquent, il importe de bien peser les conséquences de notre absolu principe de la liberté, sur le choc que cela peut créer avec des sociétés qui tentent de survivre et de se développer sur d’autres modèles. Il est bel et bien question de guerre, avec ou sans arme nucléaire.
Face aux modèles fascistes, dictatoriaux, totalitaires de ces Etats qui prétendent indiquer quoi penser et quelle religion suivre sur leur territoire, je remarque que la paix est toujours du camp de la sagesse, mais elle est aussi, parfois, du camp des faibles et des collaborateurs : c’est l’Histoire qui les dénonce.
Il y aura un moment où, face aux agitations provoquées, il faudra savoir choisir son camp et tirer les leçons des valeurs que l’on défend, et où faire la distinction entre intolérance et défense des convictions ne suffira plus pour survivre, même si, je suis d’accord avec vous encore une fois, cette distinction est à la base de nos valeurs.
Les contradictions sont fondatrices...