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Commentaire de Reinette

sur Service minimum au 20 heures de France 2


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Reinette Reinette 20 août 2007 17:32

Encore un message de Pierre Bourdieu !

(...) j’invoquerai simplement les effets du mécanisme de circulation circulaire auquel j’ai fait allusion rapidement : le fait que les journalistes qui, au demeurant, ont beaucoup de propriétés communes, de condition, mais aussi d’origine et de formation, se lisent les uns les autres, se voient les uns les autres, se rencontrent constamment les uns les autres dans des débats où l’on revoit toujours les mêmes, a des effets de fermeture et, il ne faut pas hésiter à le dire, de censure aussi efficaces - plus efficaces, même parce que le principe en est plus visible - que ceux d’une bureaucratie centrale, d’une intervention politique expresse.

(Pour mesurer la force de fermeture de ce cercle vicieux de l’information, il suffit d’essayer d’y faire pénétrer - pour qu’elle en ressorte vers le grand public - une information non programmée, sur la situation en Algérie, sur le statut des étrangers en France, etc. La conférence de presse, le communiqué de presse ne servent à rien ; l’analyse est censée ennuyer, et il est impossible de la passer dans un journal, à moins qu’elle ne soit signée d’un nom célèbre, qui fait vendre. Pour briser le cercle, il faut procéder par effraction, mais l’effraction ne peut être que médiatique ; il faut parvenir à faire un « coup » qui intéresse les médias, ou, du moins un « medium » et qui pourra être relayé par l’effet de la concurrence).

Si on se demande, question qui peut paraître un petit peu naïve, comment sont informés ces gens qui sont chargés de nous informer, il apparaît que, en gros, ils sont informés par d’autres informateurs.

Bien sûr, il y a l’AFP, les agences, les sources officielles (ministères, police, etc.) avec lesquelles les journalistes sont tenus d’entretenir des relations d’échange très complexes, etc. Mais la part la plus déterminante de l’information, c’est-à-dire cette information sur l’information qui permet de décider ce qui est important, ce qui mérite d’être transmis, vient en grande partie des autres informateurs.

Et cela conduit à une sorte de nivellement, d’homogénéisation des hiérarchies d’importance. Je me rappelle avoir eu un entretien avec un directeur des programmes ; il vivait dans l’évidence totale. Je lui demandais : « pourquoi mettez-vous ceci en premier et cela en second ? » Et il répondait : « C’est évident ». Et c’est sans doute pour cette raison qu’il occupait la place où il était ; c’est-à-dire parce que ses catégories de perception étaient ajustées aux exigences objectives. (En l’entendant parler, je ne pouvais m’empêcher de penser à Godard disant : « Verneuil est un tzigane par rapport au directeur de FR3. Enfin, par comparaison »).

Bien sûr, dans les différentes positions à l’intérieur même du milieu du journalisme, les différents journalistes trouvent inégalement évident ce qu’il tenait pour évident. Les responsables qui incarnent l’audimat ont un sentiment d’évidence qui n’est pas nécessairement partagé par la petite pigiste qui débarque, qui propose un sujet et à qui on dit : « Ça n’a aucun intérêt... ».

On ne peut pas se représenter ce milieu comme homogène : il y a des petits, des jeunes, des subversifs, des casse-pieds qui luttent désespérément pour introduire des petites différences dans cette énorme bouillie homogène qu’impose le cercle (vicieux) de l’information circulant de manière circulaire entre des gens qui ont en commun - il ne faut pas l’oublier - , d’être soumis à la contrainte de l’audimat, les cadres eux-mêmes n’étant que le bras de l’audimat.(...)

Extraits du texte de Pierre Bourdieu « Sur la télévision » - ed. Raison d’agir - 1996


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